Photos & Vidéo| Des scientifiques gembloutois créent des parfums de cadavres ou de drogues pour former les chiens policiers
Synthétiser des parfums pour rendre les chiens policiers plus efficaces dans leurs recherches de drogues ou de corps, c’est la mission que s’est donnée une équipe du site Terra de Gembloux Agro-Bio Tech (ULG).
/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/7JMDQJB7INCIPF3U5FMG675YQM.png)
Publié le 26-10-2020 à 18h46
:focal(544.5x314.5:554.5x304.5)/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/TJ3ZOOFS7JCLJI5GY7HP2UKJKU.jpg)
Le meilleur ami de l’homme est aussi son meilleur… nez. Utilisé par la police pour identifier les détenteurs de drogues ou localiser les disparus, le chien n’est pourtant pas infaillible. C’est un sérieux coup de pouce que tente de lui donner une équipe scientifique.
Quelques années après avoir synthétisé une odeur de cadavre (lire ci-contre), le professeur et chimiste-écologue namurois François Verheggen s'intéresse aux drogues. C'est depuis le Mexique où il écrit un livre et s'intéresse à la stérilisation d'insectes (en vue de lutter contre d'autres insectes invasifs dans les plantations), qu'il explique: «Les chiens ne se spécialisent pas, ils sont amenés à chercher toute substance illicite. Or, les drogues naturelles, comme le haschisch, ou de synthèse ont des émanations différentes. »

L'idée est de réduire cet éventail extra-large à trois ou quatre parfums représentatifs des stupéfiants actuels ou futurs. On en imbiberait alors une compresse stérile à faire renifler aux enquêteurs à quatre pattes. «Nous nous sommes donc retrouvés devant l'impressionnante armoire scellée renfermant une multitude d'échantillons de drogues.» Et le travail a pu commencer.
Un aspirateur
Si les relents semblent volatiles, insaisissables pour le commun des mortels, rien n'est moins sûr pour ces scientifiques. «Nous utilisons un appareil semblable à un petit aspirateur qui laisse passer l'air dans son tuyau mais retient les molécules dans un filtre à base d'un matériau poudreux. » Reste alors à chauffer à 300 °C le cylindre et à laisser les molécules se décoller. La séparation et l'analyse des différents composants peuvent alors commencer dans un chromatographe en phase gazeuse.

Au-delà du monde des trafiquants, le procédé permet ainsi d'analyser n'importe quelle flagrance. «Divers clients viennent vers nous. Cela va de l'industriel qui veut savoir ce que sent le croissant qu'il produit – et comment mieux le parfumer que celui de son concurrent – aux effluves de bananiers pour comprendre pourquoi ils sont infestés d'insectes. »

La suite, c'est la synthèse de la senteur voulu, comme on fait une confiture. «Une fois que tout a été passé à la moulinette, que les proportions des molécules présentes sont connues, il s'agit de les acheter synthétiques ou pures, naturelles. Pour celles qui seraient introuvables, trop chères à produire pour les industries, nous faisons appel à nos collègues chimistes. »
Une fois l’ensemble des ingrédients réunis, un peu de solvant, comme de l’alcool, est ajouté, qui permettra d’imprégner l’odeur sur une compresse avant de s’évaporer. Quand tout sera prêt, d’ici 2021, la traque pourra alors continuer, mieux armée.

Avec l'aide de Claire Diederich, spécialiste vétérinaire de l'Unamur, le comportement des chiens, leur manière de se repérer et se diriger par rapport à la cible, a ainsi été filmé, vidéotracké puis analysé. «Certains chiens sont très méticuleux, d'autres y vont au flair, continue François Verheggen. Nous ne pourrons pas déterminer si une race est plus efficace qu'une autre, nous n'avons pas eu assez de chiens différents en présence. Par contre, l'expérience joue: un adulte de 6 ans ne s'y prend pas de la même manière qu'un chiot de 6 mois. »
Puis, d'un maître-chien à l'autre, si la base de conditionnement opérant est la même, le dressage diffère. «Force est de constater que tant en Belgique qu'à l'international, il n'y a pas de protocole standard. La plupart fonctionnent avec des récompenses – un jeu, un bonbon ou une fête –, mais certains utilisent aussi la punition. Le chien sait très vite quel est son intérêt.»
À partir des tests réalisés et des informations récoltées, les chiens ont été classés par ordre d'efficacité. « Au-delà de la synthèse du parfum, nous voulons aider les policiers à améliorer leurs techniques de dressage. La demande est là.» L'assistant, Clément Martin, de son côté, serait partant pour utiliser des IRM pendant la détection, histoire d'analyser la réponse cérébrale et de préciser les zones de cerveau impliquées.

Enfin, pourquoi le chien est-il le meilleur allié de l'homme dans ses enquêtes olfactives? «Nous n'avons pas été sélectionnés pareil. Au fil de l'évolution, l'homme a été doté de bonnes vue et ouïe. Le chien, lui, descend de deux espèces de loups, adaptés à sentir de très loin la nourriture, pour survivre.
La truffe compte un nombre bien plus important de neurones olfactifs que notre nez. Elle conserve des odeurs très longtemps dans la cavité nasale. De quoi augmenter sa capacité à en identifier une diversité et abaisser le seuil de détection. Dont celles que nous ne pouvons pas capter parce que trop peu présentes dans notre milieu. »

À la base, il voulait être légiste, avant d'être appâté par le champ des possibles de l'implantation gembloutoise de l'ULG. « C'était l'odeur qui m'intéressait. Mon stage de fin d'étude, je l'ai effectué dans une cellule d'identification des victimes de catastrophes. Là, j'ai pu tester comment je réagissais à la vue des corps, parfois carbonisés ou à l'état de squelette. » Le cœur était bien accroché, Clément pouvait continuer.
Initialement, c’est dans des domaines militaires dont il avait l’autorisation que François Verheggen a pu s’approcher de ce que sent un mort, au fil des étapes. C’est en laissant se décomposer des dépouilles de cochons, dans différents milieux (forêt, plaine, maison), qu’il a tiré les premiers enseignements.
D’abord, le gonflement du corps s’observe sous l’effet du gaz, puis il entre en décomposition active quand la vermine grouille et, enfin, vient le stade avancé quand ne restent plus que la peau, les cheveux et les os. Forcément, le décor a son influence: dans un bâtiment clos, la dépouille sera épargnée des insectes nécrophages.

Pas tous la même odeur, y compris post-mortem
« 800 molécules différentes sont émises au cours d'une décomposition. Il y en a cinq de différence entre l'humain et le cochon, appuie Clément Martin. On trouve des acides, des aldéhydes, des cycliques. Des soufrées, aussi, émises très tôt et tout au long du processus. Le tout est désormais de savoir si le chien se concentre sur toutes ou sur une seule, et si la proportion a une importance?»
Plus loin que ça, les émanations divergent au fil du temps. « Jusqu'à présent, il y a eu peu d'études basées sur des réplicas restreints: 5 ou 6 corps, une vingtaine au plus. Alors que des variables très différentes peuvent influencer la décomposition et les flagrances liées: le temps, la corpulence, l'âge, le sexe, la cause du décès, s'il y a une plaie. »
C'est pourquoi (alors que les États-Unis disposent de Body Farms, à l'éthique douteuse, pour leurs expériences), Clément a rendu de nombreuses fois visite à la morgue et récolté les odeurs de près d'une centaine de défunts. Sans y toucher. « Toujours avec l'accord du légiste, j'ouvre la tirette de cinq-dix centimètres, et la seule chose invasive, c'est la cartouche que j'y glisse et qui va s'imprégner durant dix minutes. »

Après quoi, le doctorant s'en remet aux légistes pour lui décrire ou lui montrer l'état du corps et ses singularités. «Au début, ils étaient étonnés de me voir débarquer avec ma valise. Mais ils se sont très vite passionnés pour mes recherches.» Il faudra quelques mois à Clément pour analyser tous les résultats.

De son côté, François Verheggen fait le rêve d’un jour mettre dans les mains des secouristes une espèce de boussole qui, répondant à une molécule de décomposition, pourrait détecter une personne malade ou mourante dans la nature à quelques kilomètres à la ronde. Les perspectives sont géniales et une demande de fonds pour agrandir l’équipe de chercheurs vient d’être rentrée.