Que faire de nos hauts-fourneaux? «Ni tout garder, ni tout raser»
Les Liégeois Noémie Drouguet et Philippe Bodeux ont coécrit l’ouvrage «Vive les Hauts-Fourneaux!», un plaidoyer pour éviter que disparaissent ces symboles du patrimoine sidérurgique. Il ne reste que trois sites en Wallonie: Ougrée, Marcinelle et Clabecq.
Publié le 23-10-2017 à 22h11
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Les hauts-fourneaux se dressent, rutilants, au cœur des bassins sidérurgiques. Puis ils s’éteignent et se meurent, avant de disparaître. Le dernier à avoir été rayé de la carte a été dynamité à Seraing, le 16 décembre 2016. C’était le haut-fourneau 6 – le «HF6» -, dont la chute a été orchestrée par ArcelorMittal.
Telle est la destinée des hauts-fourneaux. S’ils ont apporté richesse et prospérité, dans une Wallonie à la pointe de l’essor industriel, ils illustrent aujourd’hui une histoire faite de labeur, de douleur, de fermetures.
Les Liégeois Noémie Drouguet et Philippe Bodeux, respectivement muséologue et journaliste, ont entrepris d'écrire et de coordonner l'ouvrage Vive les Hauts-Fourneaux!. Ce hors-série de la revue Dérivations, édité par l'ASBL urbAgora, s'arrête en particulier sur les sites de Marcinelle, Ougrée et Clabecq, les trois derniers hauts-fourneaux de Wallonie.
HF2, HF4 et HFB
Tous trois ont des histoires différentes et leurs particularités. Le HF4 de Marcinelle se dresse en bord de Sambre, à deux pas du centre de Charleroi. Il fait partie du site de Carsid, propriété de Duferco. Une réflexion sur la préservation de certains composants y est menée. Du côté de Clabecq, le long du canal Bruxelles-Charleroi, il ne subsiste plus que la carcasse du HF2. Le propriétaire, Duferco également, y mène un projet immobilier de grande envergure, à un jet de pierre de la capitale. Le HFB d’Ougrée, en bord de Meuse, face au stade du Standard de Liège, appartient à ArcelorMittal. Eteint depuis 2011, il devrait être «libéré» de sa mise sous cocon fin 2018.

Leur devenir n’est pas connu à cette heure et, à vrai dire, personne ne se penche vraiment sur la question avec un point de vue global, sur l’ensemble de la Wallonie. Ils présentent pourtant bien un intérêt en termes de patrimoine industriel, de mémoire collective ou encore de développement touristique.
Que faut-il en faire? «Tout garder serait une erreur. Tout raser serait une erreur aussi», considère Philippe Bodeux. Au minimum, soutiennent les auteurs, il conviendrait de se poser la question de leur destinée. En région liégeoise, on se félicite aujourd’hui de l’élan (politique notamment) qui a permis dès les années 70 de sauvegarder le site de Blegny-Mine, aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’Unesco, avec le Bois du Cazier notamment.
Régler leur sort n’est pas simple. «Notre objectif est de mettre en évidence la complexité du sujet, pour pouvoir la dépasser. Il ne suffit pas de se contenter de dire que reconvertir des sites sidérurgiques, c’est trop dur, trop cher, trop compliqué», estime Noémie Drouguet. «De toute façon, quoi qu’on en fasse, ce sera cher.»
Qu’ont fait nos voisins allemands, luxembourgeois, français?
Pour alimenter la réflexion, Noémie Drouguet et Philippe Bodeux se sont intéressés à la reconversion des bassins sidérurgiques dans les pays limitrophes. En Allemagne, par exemple, la région de la Ruhr est devenue un haut lieu du tourisme industriel, avec par exemple son somptueux Landschaftspark de Duisburg, où le promeneur grimpe sur un haut-fourneau, où sont aménagées des promenades, où un gazomètre a été transformé en centre de plongée.
Du côté d’Esch-sur-Alzette, au Luxembourg, le site de Belval est devenu un centre scientifique et culturel de prestige. «Là, on a gardé deux hauts-fourneaux», glisse Noémie Drouguet. «On ne doit pas copier les recettes de nos voisins, mais au moins s’inspirer de leurs démarches pour la préservation de ce patrimoine.»

À Seraing, par exemple, un grand masterplan piloté par la régie communale autonome Eriges s’attelle à transformer les anciennes industries du cœur de ville. «Mais rien n’est prévu pour le HFB», relève Philippe Bodeux. «En Wallonie, on pense à tout raser puis à dépolluer. Un organisme comme la Spaque ne pense pas vraiment au potentiel de reconversion. Souvent, le but est de tout mettre par terre et la valeur du site, c’est celle du terrain complètement dégagé.»
Dans leur ouvrage, les auteurs font appel à une série de spécialistes qui s’expriment sur la question: historiens, photographes, écrivain, journaliste, ingénieur, etc. Les responsables d’ArcelorMittal, quant à eux, n’ont pas accepté de s’exprimer. Mais ils ont pu rencontrer Olivier Waleffe, l’administrateur-délégué de Duferco Wallonie, propriétaire des sites de Marcinelle et Clabecq, qui livre sa propre vision de la préservation du patrimoine.
Quelques propositions
«Notre but n’est pas de venir avec des solutions toutes faites, mais de susciter le débat», affirment les auteurs. L’enjeu est majeur, il concerne la mémoire collective (d’une population issue de l’immigration notamment), le patrimoine immatériel. Mais aussi, très concrètement, le patrimoine matériel qui disparaîtra du paysage si l’on n’y prend pas garde. Quand un haut-fourneau se couche, c’est un totem qui s’en va.
«Nous avons bien quelques idées, mais il est important d’entendre les propositions qui peuvent être exprimées» pour ces sites. Celui d’Ougrée, pour Noémie Drouguet et Philippe Bodeux, pourrait par exemple devenir un centre d’interprétation des usines sidérurgiques, agrémenté par la numérisation, doté de la réalité augmentée. Il est permis de rêver un peu, sans doute.


Noémie Drouguet et Philippe Bodeux, Vive les Hauts-Fourneaux! Vers la reconnaissance du patrimoine sidérurgique de Wallonie, éd. urbAgora ASBL, 288 pages, 19 euros.