Le Liégeois François Gemenne: «Le pire raciste est celui qui n’a jamais vu un immigré»

Le spécialiste de l’immigration François Gemenne, régulièrement sur le devant de la scène en France, participe à une conférence à Liège ce mardi soir. Nous en avons profité pour le questionner sur l’actualité… suisse, évidemment.

Benjamin Hermann
Le Liégeois François Gemenne: «Le pire raciste est celui qui n’a jamais vu un immigré»
©Associated Press / Reporters

François Gemenne est le spécialiste des questions liées à l'immigration et aux réfugiés climatiques qui fait la fierté de ses amis liégeois. Originaire de la Cité ardente, ce chercheur à l'Université de Liège et à Science-Po à Paris fait partie des interlocuteurs incontournables en France et ailleurs, auprès des médias et des politiques, lorsque l'on traite de ces questions. On se souvient notamment qu'en octobre, François Gemenne s'était particulièrement fait remarquer sur le plateau de Thierry Ardisson en désarçonnant l'une des têtes pensantes du FN de Marine Le Pen.

En compagnie du député européen Philippe Lamberts (Écolo) et de Caroline Intrand, du Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers), François Gemenne donnera une conférence à l’ULg ce mardi soir, sur le thème «Migrations, droits d’asile: quelles alternatives à l’Europe forteresse?». C’est à l’occasion de ce passage dans sa ville d’origine que nous avons sollicité ses commentaires sur l’actualité.

François Gemenne, l’actualité en Suisse, avec cette votation qui limitera l’immigration, entre particulièrement en résonance avec votre conférence de ce soir. Même si la Confédération helvétique ne se trouve pas dans Union européenne…

C’est interpellant, effectivement. Et révélateur d’un climat anti-immigration qui règne actuellement en Europe. Ce qui est particulier, avec cette votation, est qu’il s’agit des immigrés italiens, français ou encore allemands en Suisse. Il s’agit donc d’une immigration qui n’est pratiquement pas visible. On assiste vraiment à une montée du réflexe anti-immigration.

Il faut aussi relever le contraste entre les cantons où se trouvent le moins d’immigrés et ceux où l’immigration est la plus présente. C’est dans les premiers que l’on s’est principalement exprimé pour la limitation de l’immigration. Or, à Genève, là où il y a le plus d’immigration, on s’est opposé à ce projet. Cela démontre une fois de plus que les perceptions liées à l’immigration relèvent très largement de fantasmes.

Intuitivement, on a le sentiment qu’en Belgique, en France et ailleurs, c’est aussi dans les milieux ruraux ou dans les régions peu concernées par l’immigration que l’on entend le plus de discours anti-immigration. Ce constat est-il juste ?

Le pire raciste est celui qui n’a jamais vu un immigré. C’est vrai en Suisse comme ailleurs. Et le plus interpellant, c’est que la Suisse semble se tirer une balle dans le pied économiquement. Ce n’est pas pour rien que l’essentiel des sphères économique, sociale,politique et intellectuelle se sont prononcées contre cette mesure. Franchement, c’est un non-sens absolu.

Il y a des partenariats qui existent entre l’Union européenne et la Suisse et qui devront être remis en question. Je pense par exemple aux étudiants Erasmus ou à d’autres collaborations. Le principe de l’accord est le suivant : la Suisse doit respecter les principes de libre circulation en Europe et en échange, elle peut bénéficier d’aides de programmes européens. Or, si on limite la libre circulation…

Les réactions des dirigeants européens vont dans ce sens, non ? On sous-entend des sanctions…

Exactement. Il se pourrait que la Suisse perde une série de partenariats qui lui ont profité. C’est aussi ce que j’ai entendu dans les réactions de ces dernières heures. Beaucoup de Suisses risquent de regretter cela, étant donné les sanctions qui sont suggérées.

Les Allemands, les Italiens, les Français et les autres Européens deviennent « indésirables » en Suisse. On se retrouve un peu dans la même situation que les immigrés d’Europe de l’Est, du Maghreb, d’Afrique ou d’ailleurs dans les pays d’Europe, non ? On nous ferme la porte de l’eldorado suisse…

C’est une gifle comparable à celle qu’on inflige systématiquement, effectivement. Nous devenons ceux dont on ne veut pas, ceux dont l’immigration n’est pas souhaitée. C’est l’histoire de l’arroseur arrosé, en quelque sorte.

Pensez-vous que cette situation fera bouger les mentalités dans notre pays et chez nos voisins, ou est-ce un vœu pieux ?

C’est un voeu pieux, parce que la question de l’immigration est également liée à celle de l’intégration, dans nos pays. Or, en Suisse, l’immigration est invisible. Personne ne dit que les Français, les Italiens et les Allemands s’y sont mal intégrés. Les problématiques soulevées sont sensiblement différentes.

La conférence de ce soir à l’ULg évoquera sans doute le cas suisse. Mais de quoi y parlera-t-on également, en quelques mots ?

La conférence vise à placer la question de l’immigration dans une dimension plus large, celle de l’Union européenne. On sortira du débat très à la mode « pour Maggie De Block – contre Maggie De Block » pour s’élever un peu, dans un contexte de fermeture de cette forteresse.

François Gemenne, depuis quelque temps, vous êtes régulièrement interrogé par les journalistes et sollicité par de nombreux acteurs de la société. Vous prêtez-vous toujours aussi volontiers à ce jeu, en tant que scientifique ?

Non seulement je réponds volontiers aux sollicitations, mais je considère de surcroît qu'il est de la responsabilité du scientifique de faire partie du débat public. Nous étudions certaines questions en profondeur et il est de notre devoir d'en faire part aux autres.

Sans remettre en question votre intégrité intellectuelle, on peut dire de vous que vous êtes assez proche d'Écolo, sur les plans privé et des idées. Ne craignez-vous pas qu'on vous le reproche ?

Il est évident qu'un chercheur peut avoir certaines affinités politiques. J'ai dernièrement été invité par l'UMP en France, on pourrait donc dire que je suis proche d'eux…

Un chercheur est sollicité par de nombreux partis. Et je constate que certains sont plus proches des idées que je défends que d'autres. Je tiens à dire que ce n'est pas moi qui suis proche d'un parti ou d'un autre, mais plutôt leur programme qui colle plus à ce que je défends personnellement et en tant que chercheur.

Je ne suis pas vraiment un proche d'Écolo, ni un membre comme je l'ai été par le passé. Je ne milite pour aucun parti. Mais je constate que certains responsables politiques ont davantage tendance à tenir compte de l'avis de scientifique que d'autres. C'est un reproche que j'assume.

La conférence «Migration, droit d’asile: quelles alternatives à l’Europe forteresse?» est organisée par Etopia, le centre d’animation et de recherche en écologie politique. François Gemenne, Philippe Lamberts (Écolo) et Caroline Intrand (Ciré) y prendront la parole. Entrée gratuite. Conférence à 20h dans la salle académique de l’ULg, place du XX Août.

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