Notre série sur les enjeux des communales (4) – Toxicomanie : gare aux amalgames…
La problématique de la toxicomanie revient régulièrement sur la table à Liège. Trois responsables d’associations ont accepté de nous confier leurs préoccupations, mais aussi de battre en brèche quelques clichés sur le phénomène de la drogue en ville.
Publié le 11-10-2012 à 04h24
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«À Liège, on croise des tox à chaque coin de rue.» Combien de fois n’a-t-on pas entendu cette remarque dans la bouche d’un habitant ou d’un visiteur de la ville. Comme toute métropole, la Cité ardente est en proie à des problèmes de toxicomanie. Il n’est sans doute pas erroné d’affirmer que l’on y aperçoit, de temps à autre, une personne en train de consommer une drogue dure, de façon plus ou moins discrète. Pour autant, peut-on vraiment parler d’un fléau à Liège?
Un phénomène de paupérisation, mais certainement pas d’explosion
«Il y a surtout une visibilité du phénomène», indique Jacques Van Russelt, coordinateur du Centre Alfa. «Mais je ne suis pas convaincu qu'il y a une augmentation globale. Par exemple, toutes les statistiques montrent que pour les problèmes d'héroïne, il y a plutôt un tassement de la consommation, mais un vieillissement de la population.» Cela peut notamment s'expliquer par l'amélioration de l'encadrement des toxicomanes, donc de leur état de santé. «Comme dans d'autres villes, il y a aussi une visibilité liée à un phénomène de paupérisation», ajoute-t-il, «mais pas de phénomène d'explosion».
À propos de paupérisation, il semble en effet qu’un amalgame s’établisse de plus en plus entre les toxicomanes et les personnes en grande précarité. Il faut cependant veiller à nuancer chaque propos. Le problème des assuétudes est complexe et touche toutes les couches de la population.
Les drogues et la précarité, c’est l’œuf et la poule
Cela étant, «les assuétudes sont quand même liées à des problèmes de précarité», remarque Dominque Humblet, coordinatrice de l'ASBL Nadja qui reçoit notamment des jeunes et des parents. «Des problèmes de décrochage scolaire, de marquage judiciaire précoce, familiaux ou autres» sont observés au sein de cette association. Un ensemble complexe de facteurs qui, in fine, conduit certains jeunes ou moins jeunes à se réfugier dans la toxicomanie.
«La situation est difficile sur Liège comme dans pas mal de ville», ajoute Dominique Humblet. «Le problème, particulièrement des jeunes, est qu’ils trouvent dans les drogues quelque chose d’important pour eux, qui leur donne une place dans la société et crée du lien social entre eux. C’est l’œuf et la poule. Quand on est désinséré, on rencontre les drogues et on y trouve quelque chose. Et puis le fait de consommer renforce le fait d’être en dehors de la société. C’est pour ça qu’on lie précarité et toxicomanie, de façon assez juste d’une certaine manière.»
Le consommateur de cocaïne ne correspond pas au stéréotype du SDF
Ce constat est du moins valable pour «la partie la plus visible de l’iceberg, à savoir la toxicomanie qu’on croise sur la place Saint-Lambert», précise Jacques Van Russelt. Parce que les formes de dépendances sont nombreuses. «L’alcoolisme touche toutes les couches de la société. Or on a tendance à faire des amalgames entre le gars à la rue qui boit sa bière bon marché et le toxicomane.» Il convient dès lors ne pas catégoriser trop vite, d’autant plus que le phénomène de polytoxicomanie est courant: drogues dures, douces, alcool ou autres dépendances peuvent être consommés de milliers de façons et dans des proportions différentes selon les cas.
Personne n’est épargné, mais le cumul des difficultés aggrave la situation
En clair, les drogues ne sont pas l’apanage d’une catégorie sociale, loin s’en faut. «Mais c’est sûr que quand on cumule les problèmes (famille, insertion, précarité,etc.), il est beaucoup plus facile d’y entrer et plus difficile d’en sortir», note Dominique Humblet.
«On fait souvent le lien entre les gens qu'on croise dans le parking souterrain le samedi soir et les toxicomanes», explique pour sa part Cédric Libon, coordinateur de l'ASBL CAP Fly. Mais pensez au nombre de personnes qui consomment de la cocaïne et qui ne correspondent absolument pas à ce stéréotype-là…» Ceux-là sont probablement quelques milliers dans la région liégeoise, mais sont bien moins visibles que les quelques individus que l'ont peut croiser en ville.
L’héroïne est-elle la drogue la plus problématique ?
«Une fois de plus, on parle beaucoup d’héroïne parce qu’elle est visible. On verra plus rarement quelqu’un fumer son pétard ou sniffer son rail de coke en rue…», constate Cédric Libon. De fait, au sein de l’ASBL Nadja, Dominique Humblet croise des jeunes en proie au décrochage scolaire lié au cannabis et/ou à l’alcool. «Il y a toute une population qui décroche complètement à cause de ces produits-là et pas l’héroïne».
Ces addictions-là sont sans doute moins quantifiables que la dépendance à l’héroïne, «ne serait-ce que parce que l’héroïne fait l’objet de traitements de substitutions. En province de Liège, on doit être proches de 2000 traitements. Ca donne une idée du phénomène de l’héroïne. À côté de cela, on a moins de traitements efficaces pour la cocaïne, moins d’outils thérapeutiques, donc l’ampleur du phénomène est plus difficile à estimer», précise Jacques Van Russelt, qui rappelle toutefois que beaucoup de dépendants ne consomment pas qu’un seul type de substances.
« Nous militons pour que Tadam puisse avoir une suite »
La ville de Liège, en matière de lutte contre la toxicomanie, se distingue par son projet pilote «Tadam», un programme inédit de traitement par héroïne pharmaceutique. Ce système de délivrance d'héroïne prendra fin en janvier prochain. Son éventuelle prolongation demeure un point d'interrogation, mais les trois responsables d'ASBL que nous avons rencontrés sont favorables à sa poursuite.
Ce programme ne vise pas à distribuer l'héroïne aux dépendants, mais bien à en délivrer sous un contrôle scrupuleux à un panel de 36 personnes profondément toxicomanes. En parallèle, 38 personnes font l'objet d'une substitution «classique» à la méthadone. La méthode permet d'établir des évaluations et des comparaisons.
«Un programme très exigeant, qui demande trois visites par jour, requiert une grande implication du patient», relève Jacques Van Russelt. «Les premiers résultats sont très intéressants. Pour nous, partenaires de Tadam, il est évident que ce projet est intéressant et nous militons pour qu'il puisse avoir une suite», poursuit Cédric Libon, «parce qu'il vient en complément de toute une série d'autres dispositifs».
« La nécessité d'une salle d'injection »
«À côté de cela, il y a aussi la nécessité d'une salle d'injection pour le toxicomane de rue qui n'est pas capable d'entrer dans un programme exigeant comme Tadam. «Une salle d'injection, c'est un plus pour la santé publique (on ne consomme pas au coin de la rue) mais aussi un contact régulier entre les toxicomanes et les intervenants professionnels», avance Jacques Van Russelt. Des contacts qui peuvent s'apparenter à une porte d'entrée vers la réinsertion.
«Le concept de la salle d'injection est une chose pensée avec les professionnels», argumente Cédric Libon. «Il ne s'agit pas d'ouvrir une salle pour laisser les personnes consommer. Mais plutôt entrer en contact, être attentif à leurs besoins et pourquoi pas amorcer une dynamique positive» vers la réinsertion.