Il s'est immiscé au CHU de Liège durant la 1re vague: «Moi, j’ai la chance de ne pas devoir y retourner»
Christophe Hermans a posé sa caméra au CHU de Liège durant la première vague. En résulte un film, diffusé ce mardi sur La Trois, qui restitue le quotidien de celles et ceux qu’on a trop souvent rebaptisés «héros». Interview.
Publié le 15-03-2021 à 07h00
Les docus sur le Covid se suivent et ne se ressemblent pas: après le pamphlet de Bernard Crutzen (Ceci n'est pas un complot), voici, avec En attendant la deuxième vague, un témoignage plus viscéral, celui de Christophe Hermans. Ce Namurois d'origine a vécu une bonne partie de la première vague en immersion au CHU de Liège, où il a filmé le quotidien de celles et ceux – médecins, infirmiers, patients, etc. – qui l'ont prise de plein fouet. Il sera diffusé ce mardi sur La Trois puis le 24 mars dans le cadre de l'édition en ligne du Festival ImageSanté. Rencontre.
En attendant la deuxième vague - Bande Annonce from Dérives asbl on Vimeo.
Christophe Hermans, on a vu avec ce qu’a vécu Bernard Crutzen que couvrir la crise sanitaire à travers le format documentaire pouvait être périlleux: ça vous inquiétait?
Non, parce que je n’ai pas voulu «couvrir» quoi que ce soit. Il se fait qu’au début de la crise, j’ai perdu un proche du Covid. Ça m’a donné une impulsion: je me suis dit que c’est là que je devais installer ma caméra. Je voulais donner, du milieu hospitalier, une autre image que celle donnée par les médias.
Bien sûr qu’on n’est pas insensible quand un fils apprend que son père va mal, peut-être même vers une issue dramatique...
Vous portez sur lui un regard humain, loin des débats politiques stériles…
Je voulais m’attarder sur des corps qui portent et qui soulèvent. Voir comment tout ce petit monde parvenait à endurer cette épreuve à travers ce huis clos humain qu’était devenu l’hôpital.
Votre film suit essentiellement deux patients: comment fait-on pour laisser l’émotion de côté?
C’est le plus compliqué: trouver la bonne distance. Bien sûr qu’on n’est pas insensible quand un fils apprend que son père va mal. Et le fait d’avoir vécu, il y a deux ans, le décès de ma mère, pour d’autres raisons, m’a fait revivre autrement tout ce parcours du combattant. Forcément, je n’en suis pas sorti indemne.
On voit clairement, aussi, la souffrance du personnel hospitalier. Et notamment la mise à distance qu’imposent les mesures de sécurité…
Oui, et une infirmière le dit: le plus dur, c’est de ne pas voir les familles. Parce que ça reste un métier de relation, et tous ces dispositifs – masques, chasubles, gants – mettent une distance.
On m’a dit: ‘‘Vous avez pris la place de quelqu’un’’. Et, quelque part, c’était vrai
Comment s’est passé le tournage sur place? Vous parveniez à vous faire oublier?
C’était le but: ne pas être un «agresseur» avec une caméra, ni dans les pieds du corps médical. Car nous étions une équipe de deux personnes, ça prend de la place.
On se sent parfois intrus?
On m'a déjà dit: «Vous avez pris la place d'une famille». Et oui, je prenais une place qui aurait pu revenir à d'autres. Donc, là, on se sent intrus. Et ça a été la même chose quand je suis retourné au CHU au moment de la deuxième vague. J'y ai vu un patient mourir. Mais quand j'ai montré les images à la famille, elle m'a remercié. Ils m'ont dit: «Ces images, elles nous donnent accès à tout ce qu'on nous a refusé, de voir ce qu'il a traversé sans nous.» Ça a été mon seul réconfort.
Après ce que j’ai vécu au CHU, je ne peux pas adhérer pleinement à ce discours, mais le fédéral doit entendre ce ras-le-bol
Après un film comme celui-là, on comprend encore ceux qui veulent «prendre le risque», qui «en ont marre»?
Oui, et le fédéral doit l’entendre, ce ras-le-bol. Mais quand on fait un film sur ce sujet, qu’on a été touché personnellement par la maladie – ma compagne a été très impactée -, on ne peut pas adhérer pleinement à ce discours, forcément.
S’il y a une troisième vague, vous retournerez au CHU?
Là, je n’en suis pas capable: je suis trop affaibli. J’ai besoin, moi aussi, d’un retour à la vie. Ce serait trop compliqué de revivre ça une troisième fois. Et quand j’entends le monde médical se demander comment il va le supporter, je ne les comprends que trop. Mais moi, j’ai la chance de ne pas devoir y retourner, eux pas.
La Trois, mardi 22.00