Tihange 2: une construction sur fond de contestation
La construction de Tihange 2 a duré huit ans, entre 1975 et 1983. Une période marquée par une vague de contestations.
Publié le 28-01-2023 à 06h00 - Mis à jour le 31-01-2023 à 07h51
On vous parle d’un temps que les moins de 50 ans ne peuvent pas connaître. Celui où des terres agricoles et des prairies occupaient une surface de 75 hectares sur la rive droite de la Meuse à Tihange. Un peu de bétail y paissait en toute tranquillité, en profitant d’une vue dégagée sur l’autre rive puisque le pont d’Ampsin, inauguré en novembre 1978, n’existait pas encore.
C’est sur cette portion de territoire, donc, situé sur l’ancienne commune de Tihange qu’il fut décidé d’ériger un site nucléaire. L’endroit fut choisi sur base de nombreuses études portant notamment sur la qualité du sol et du sous-sol, et sur la proximité d’un fleuve avec un débit suffisant.
En 1969 débute ainsi la construction de la première centrale nucléaire, Tihange 1. Six ans plus tard, le 1er octobre 1975, elle est mise en service, alors que les travaux de construction de la deuxième unité viennent de commencer.
Une ferme et vingt habitations expropriées
Figure incontournable de la vie locale, Jacky Pleinevaux (79 ans) se souvient. "La famille Renson cultivait énormément d’hectares sur le site actuel de la centrale et a été expropriée. La ferme située plus ou moins à l’endroit actuel de la caserne des pompiers a subi le même sort, tout comme 15 à 20 habitations qui se trouvaient en bordure de la nationale, à droite en direction de Liège. Ce fut le cas de mes parents qui décidèrent alors de s’installer rue de la Campagne."
Si la famille de notre interlocuteur se fit rapidement une raison, ce ne fut pas le cas de tous les Tihangeois. "Il y avait des drapeaux noirs dans tout le village, se rappelle Jacky Pleinevaux. Un parti politique “Non à la centrale” s’était créé. Il ne fera pas long feu."
À cette époque, les opposants au nucléaire en tous genres sont nombreux. Et plus encore après l’accident de la centrale nucléaire de Three Mile Island en 1979 aux États-Unis. Le 28 mars de cette année-là, le cœur d’un réacteur fond partiellement après plusieurs dysfonctionnements. L’accident suscite la panique. Jusqu’à 200 000 personnes fuient leurs foyers durant plusieurs jours. Mais le pire sera évité et la contamination limitée.
Hubin exige la fermeture de Tihange 1 en 1979
À Huy, toutefois, l’inquiétude grandit dans la foulée de cet accident considéré comme le plus important de l’histoire du nucléaire civil américain. Le 6 avril 1979, le bourgmestre Fernand Hubin annonce un arrêté communal d’urgence exigeant la fermeture de l’unité 1 de la centrale. Celle-ci n’aura pas vraiment lieu, le gestionnaire se contentant de déconnecter le réacteur du réseau électrique et l’État cassant trois jours plus tard la décision du mayeur hutois.
Cette phase de construction de Tihange 2 est aussi marquée par les premières années des mouvements écologistes (Greenpeace, Amis de la Terre Belgique, Démocratie Nouvelle fondée par Paul Lannoye en 1973). Le 26 mars 1977, une manifestation appelée "Halte au nucléaire !" est organisée par les Amis de la Terre, Inter-Environnement Wallonie et divers groupes locaux. Elle rassemble 1 500 opposants à Huy. Un succès à l’échelle belge mais une paille par rapport aux manifestations françaises et allemandes qui regroupent à la même époque des dizaines de milliers de personnes.
Un an plus tard, le 1er octobre 1978, ce sera l’épisode de la consultation populaire d’Andenne et d’Ohey qui marquera un tournant dans l’histoire de la contestation nucléaire en Belgique. En 1969, Intercom (l’ancien nom d’Electrabel) avait signé une convention avec la cité des Oursons pour ériger une centrale nucléaire. Mais huit ans plus tard, le vent a tourné. À peine arrivé à la tête de la ville, le nouveau bourgmestre Claude Eerdekens annonce la tenue d’un référendum qui atteint un taux de participation de près de 75%. Avec un verdict sans appel: 84% des votants disent non à Andenne et 90% s’y opposent à Ohey. Au final, le projet est donc abandonné, tandis que la construction de Tihange 2 se poursuit. Sa mise en service industrielle aura lieu le 1er février 1983.
« L’équivalent de trois années de consommation électrique du pays »
"En quarante ans, cette unité a produit un peu plus de 270 000 000 MWh, soit plus de trois années de consommation électrique de l’ensemble de la Belgique", comptabilise Antoine Assice, le directeur du site tihangeois. Ce sont plus de 100 millions de tonnes de CO2 qui ont été évitées grâce à la production d’électricité nucléaire décarbonée de Tihange 2. "
On l’a compris: les arguments des uns et des autres s’opposeront toujours. Bien au-delà même du 11963e et dernier jour de production prévu mardi prochain.