À 90 ans, Jean tient toujours son café de la Place d’Avennes: "Etre là tous les jours suffit à mon bonheur"
Jean Winant, 90 ans, a débuté l’exploitation du café de la Place, à Avennes, en 1959. Et il n’est pas près de raccrocher. Visite d’un bistrot du terroir.
- Publié le 02-06-2023 à 06h00
- Mis à jour le 02-06-2023 à 09h55
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Les bistrots du terroir, les troquets ou encore les zincs sont de moins en moins nombreux en Hesbaye. Si c’est inéluctable, c’est sans aucun doute parce que les hardis tenanciers qui ont passé leur vie derrière le comptoir sont aussi en voie de disparition. Jean Winant, qui a fêté ses 90 ans le 22 mai dernier, a pourtant toujours au plus profond de lui-même cette volonté de poursuivre une œuvre entamée en 1959 avec son épouse, aujourd’hui décédée voici une bonne dizaine d’années. Car, à Avennes, rue de la Justice de paix, en face de l’église et à côté de l’école communale, il reste ce bastion baptisé café de la Place, l’un des derniers témoins d’un passé révolu, où on servait la goutte dans les arrière-cuisines de nombreuses maisons.
Mais à Avennes, c’est dans un véritable débit de boissons qu’on entre, sans même plus savoir s’il s’agit bien du café de la Place. Parce que son enseigne n’est plus là, emportée voici quelque temps par une manœuvre un peu maladroite d’un camion du brasseur. Il reste ce potelet qui soutenait fièrement l’enseigne. Il attend en vain de s’en voir offrir une autre.
"À quoi bon ?, sourit Jean. Après moi, le bistrot disparaîtra. Et à mon âge, cela ne vaut sans doute plus la peine d’investir dans pareil achat." Jean Winant nous ouvre la porte de son bistrot, de son île aux trésors, avec ce regard pétillant, teinté de malice et d’un soupçon de fierté. Dame, il nous fait les honneurs de la visite, alors que nous l’avons surpris en train d’arroser les fleurs disposées en pot sur les appuis de fenêtre. Le bistrot n’était pas encore ouvert. "Je n’ouvre que vers 16 h 30, explique-t-il. Jamais en matinée. Et puis, mes clients sont des habitués, ils me connaissent et il leur arrive de se servir eux-mêmes dans le frigo. Mes fils m’aident aussi lorsqu’il faut changer les tonneaux ou transporter des casiers."
Collection de pendules
L’ambiance qui doit régner au bistrot, on la devine parmi les tables et les chaises en bois qui, si elles pouvaient parler, se mettraient à livrer quelque redoutable anecdote ou quelque biture monumentale. Mais Jean est aussi là pour veiller au grain, pour choyer sa clientèle, parfois augmentée de quelques touristes hollandais de passage dans cette belle région traversée par la Mehaigne et la Burdinale.
Et puis, s’il y a de quoi étancher sa soif, comme dans tout bistrot qui se respecte, il y a aussi de quoi admirer une rare collection de pendules, horloges et autre coucous.
"J’ai arrêté d’en acquérir, sourit Jean. J’en ai compté quatre-vingts et je pense que cela suffit. Avant, je me faisais un devoir de les remonter toutes. Aujourd’hui, je ne le fais plus, cela demandait trop de temps." Sa plus belle pièce, selon lui ? Celle baptisée Jour de classe, un tableau en relief, avec, dans le coin, un élève affublé du bonnet d’âne. "J’ai une cliente, un médecin, qui, chaque fois qu’elle vient, me propose un prix pour l’acquérir. Mais je ne veux pas m’en séparer, raconte Jean. Et puis, j’ai aussi une collection de pipes. Elle avoisine les mille unités…"
Ces pipes, on peut en admirer une bonne partie derrière le vieux comptoir. Autour de ce dernier, des tabourets, mais pas n’importe lesquels. Les sièges métalliques ont été récupérés sur de vieux tracteurs et cela donne des petits airs agricoles, comme pour rappeler aussi que la Hesbaye reste une féconde terre de culture. Et puis, s’installer sur ces tabourets, résultat d’un savant bricolage du propriétaire, cela donne l’envie d’y rester…
Deux ans de fermeture
Jean Winant a aussi dû fermer pendant deux ans, crise sanitaire oblige. "Pour moi, cela n’a pas changé grand-chose, sourit-il. Je suis retraité de l’ALE (Association liégeoise d’électricité, aujourd’hui disparue) et j’avais donc d’autres ressources financières. Mais bon, j’ai été atteint de ce Covid et j’en ai gardé quelques séquelles: j’ai constamment mal aux jambes et j’éprouve parfois des difficultés d’élocution. Mais j’ai toujours une bonne tête !"
Le secret de cette longévité ? "J’ai toujours été présent dans le café, notamment après journée, lorsque mon épouse devait s’occuper des repas. Et d’être là tous les jours suffit à mon bonheur. Cela m’aide à vivre, cela me soutient."
Né à Avennes un jeudi de l’Ascension, Jean aime le rappeler. Comme de préciser dans la foulée qu’il a été baptisé dans l’église qui fait face au café, de même qu’il y a fait sa communion et s’y est marié. Sa longévité tient aussi à cette vie d’ascète qu’il s’impose paradoxalement dans un bistrot: ni alcool, ni tabac. C’est aussi simple que cela pour quelqu’un qui avoue avoir une clientèle de jeunes. "Enfin, ils ont entre 35 et 40 ans", sourit-il, comme pour s’excuser de ses nonante balais. "Si je pars, il n’y aura plus de café", répète-t-il. Mais cela ne sera pas demain pour celui qui ne craint pas de fermer après minuit, pendules remontées ou pas.