Christina, première transgenre du CHRH : "On a aussi notre place dans la société"
Christina Ubieta est la première personne transgenre à travailler à l’hôpital de Huy. Après avoir pas mal galéré, elle témoigne à l’occasion de la journée internationale de la visibilité transgenre.
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Publié le 31-03-2023 à 07h00 - Mis à jour le 31-03-2023 à 10h32
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Ce vendredi 31 mars, c’est la journée internationale de la visibilité transgenre. À cette occasion, nous avons rencontré Christina Ubieta, qui est la première femme transgenre à travailler à l’hôpital de Huy.
Si, aujourd’hui, elle se sent bien, sa vie n’a pourtant pas toujours été un long fleuve tranquille, loin de là. "Déjà quand j’étais jeune, je ne savais pas qui j‘étais, explique-t-elle. Je me sentais attirée par les hommes, mais pas en tant qu’homme. Je ressentais déjà un malaise. C’était très complexe dans ma tête."
Avec les années, ce malaise n’a fait que s’amplifier. "En arrivant à l’adolescence, j’ai constaté que mon corps grandissait, se musclait. C’était horrible à voir. Je me dégoûtais."
C’est à ce moment-là qu’a commencé la descente aux enfers. "Je me sentais femme, mais je ne l’étais pas. Je me disais que ce n’était pas normal, j’ai commencé à me mutiler." Elle est aussi devenue anorexique morbide. " Je me laissais mourir. J’ai fini par faire une tentative de suicide." Sa maman l’a ensuite emmenée à l’hôpital. "J’ai vu un psychiatre, qui a diagnostiqué ce qu’on appelait alors le syndrome de Benjamin."
Des parents aux petits soins
Si sa maman a directement accepté le fait que Christina voulait devenir une femme, son papa a eu un peu plus de mal. "Il se disait : “ Bah, il fait sa crise d’ado. Il est homo et il a juste du mal à l’accepter ”. Il a fallu attendre ma vagino-plastie, à 18 ans, pour qu’il accepte vraiment."
Ses parents ont d’ailleurs pris en charge ses différentes opérations. "Ils m’ont vraiment cocoonée. Mais je pense que le fait de me payer toutes ces opérations leur permettait aussi d’avoir l’esprit tranquille. Comme ça, ils étaient sûrs qu’ils n’auraient pas un enfant en moins en rentrant à la maison au soir."
D’un point de vue professionnel, ses parents ont aussi été aux petits soins. "J’ai directement travaillé dans leurs stations-service." Elle a même fini par devenir gérante indépendante. "Je gagnais bien ma vie, je pouvais m’acheter tout ce que je voulais." Mais cette situation était loin de la rendre heureuse. "Je travaillais sept jours sur sept. Et puis, j’étais toujours dans le cocon de mes parents." Bref, "ce n’était pas la vraie vie".
Elle a donc décidé de goûter à cette fameuse "vraie vie". "J’ai voulu trouver du travail. J’ai postulé à beaucoup d’endroits différents : dans des magasins de vêtements, des friteries, des librairies, des night shops..." Une ancienne gérante de station-service qui postule comme vendeuse, c’est évidemment intéressant comme profil. "On me proposait systématiquement des entretiens d’embauche. Mais quand on me voyait arriver, c’était fini. Je n’avais plus aucune chance d’être embauchée."
Christina a heureusement fini par trouver une place de technicienne de surface, en tant qu’article 60, à l’hôpital de Huy, en octobre 2021. "Dès mon premier jour, une de mes collègues est venue me trouver en me disant qu’on voyait ma culotte et qu’on parlait déjà de moi." On parlait déjà d’elle, et pourtant, elle a tout fait pour que ce ne soit pas le cas. "J’attachais mes cheveux, je ne me maquillais pas..." Bref, "je voulais rentrer dans le moule". Plus encore, elle a vraiment voulu plaire à ses collègues. "Je commençais à 6h, mais j’arrivais à 4h30 pour préparer les chariots des filles. J’essayais de m’intégrer. Mais rien n’y a fait. J’ai subi beaucoup de discriminations."
Et à force, entre "les coups de cutter dans les baskets" et les réflexions du style "elle se change dans une pièce à part pour enlever ses faux nichons", ou "il faut dégager le travelo", elle a craqué. "J’ai fondu en larmes et je suis allée trouver les responsables", qui ont décidé de mener une enquête. "C’est grâce à eux que les problèmes ont cessé."
Elle, de son côté, a fini par complètement changer d’attitude. "Je me suis dit que si le personnage que je m’étais construit ne fonctionnait pas, j’allais être moi-même." Et elle l’a été. Exit les tenues discrètes et les cheveux attachés. "Un jour je venais avec des mèches roses et le lendemain j’étais blonde platine. Plus on parlait de moi, mieux c’était."
Si elle a connu pas mal de problèmes avec ses collègues techniciennes de surface, c’est totalement l’inverse au sein du service de gériatrie, dans lequel elle s’occupe du nettoyage. "Je suis dans un cocon, on forme une petite famille."
Et il ne faut pas non plus oublier de mentionner Arjeta, également technicienne de surface. "A priori, on aurait pu croire, qu’à cause de sa religion (NDLR : elle est musulmane), elle m’accepterait encore moins que les autres. Mais ça a été tout le contraire. Elle me disait :"je m’en fous de ton passé, j’apprécie la personne que tu es."Elle m’a été d’un très grand soutien."
"D’autres que moi se seraient foutues en l’air"
En témoignant, Christina veut aussi transmettre un message. "On voit beaucoup de personnes transgenres, à la télé ou sur les réseaux sociaux. Elles sont connues parce qu’elles sont transgenres. Mais dans la “ vraie vie ”, il y a aussi de nombreuses femmes transgenres qui galèrent pour trouver un travail. Vous pouvez avoir des beaux diplômes et de l’expérience, dès que vous arrivez à l’entretien d’embauche, c’est “ mort ”. Et pourtant, on a aussi notre place dans la société."
Outre ces discriminations à l’embauche. il y a aussi la méchanceté gratuite, comme elle l’a subie au CHRH, qui peut causer des très gros dégâts. "J’ai tenu le coup parce que j’ai du vécu. Mais une jeune, qui entame sa transition, elle se serait foutue en l’air. " D’où l’importance de ne jamais banaliser ce genre de comportement.