La Ville de Charleroi ne sait que faire de l’œuvre monumentale de Martin Ankh Guyaux (vidéo)
Déplacée lors des travaux d’aménagement de la place du Manège, l’œuvre monumentale de Martin Ankh Guyaux dort dans un hangar de Charleroi. La Ville et l’artiste ne sont pas d’accord sur l’endroit où elle sera replacée.
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Publié le 09-05-2023 à 09h40 - Mis à jour le 11-05-2023 à 09h02
”La Passation”, c’est le nom de cette œuvre monumentale qui, jusqu’à il y a quelques mois encore, trônait fièrement devant l’entrée du Palais des Beaux-Arts de Charleroi. Une œuvre qui suscitait des avis plutôt contradictoires. Clairement, les mains de Martin Ankh Guyaux, beaucoup ne les aiment pas.
Et en particulier du côté de l’hôtel de ville, où certains n’hésiteraient pas à dire qu’elles ne seront jamais replacées, ni devant le PBA ni ailleurs. On ne peut pourtant nier la beauté et la force de cette sculpture que nous avions classée dans le Top10 des œuvres situées sur des ronds points en Wallonie, dans un documentaire que nous avions consacré à l’art giratoire.
Mais désormais, la Passation est au cœur d’un conflit entre la Ville et l’artiste. Un conflit courtois, une divergence d’opinions, mais un conflit tout de même.
Martin Ankh Guyaux nous l’explique dans notre vidéo en tête de cet article.

Le rond-point a été supprimé
”L’œuvre a disparu à cause des travaux, on m’a dit qu’on devait l’enlever parce qu’elle allait gêner lors des travaux”, nous explique l'artiste. Et de fait, on voyait mal les engins de chantier tourner autour de cette œuvre sans risquer de l’endommager. Finalement démontée, elle a été endommagée lors de son déplacement. Un doigt a été arraché par une sangle et il doit être ressoudé.
Une des raisons pour lesquelles elle ne peut être replacée au même endroit, c’est que le rond-point sur lequel elle se trouvait a lui aussi disparu. Changement de décor, de mode de circulation.
Si Martin Ankh Guyaux a une idée assez précise de l’endroit où il aimerait voir sa sculpture, la Ville de Charleroi en imagine un autre. “J’aimerais, nous dit-il, qu’elle soit replacée au même endroit, le PBA est toujours là et il y a un cordon ombilical entre lui et la sculpture. Ou alors devant le Palais des Expositions. Il y a des grandes terrasses, il y aurait là une pulsion assez forte.”

Vers Thy-Marcinelle ?
L’idée n’est pas du goût des services communaux. Et du côté du cabinet du bourgmestre, Paul Magnette, on préfère ne pas s’exprimer. Pascal Verhuslt est attaché à la culture à la Ville de Charleroi. Contacté par nos soins, il a préféré, au nom de la Ville, ne pas commenter cette polémique. “La Ville et l’artiste sont en pourparlers en ce moment. Nous préférons attendre qu’une décision soit prise avant de nous exprimer”.
L’endroit que la Ville envisage pour replacer la sculpture n’est pas du goût de l’artiste non plus. Et on peut le comprendre. Il s’agirait du site de Thy-Marcinelle. Une usine sidérurgique bien loin de l’écrin culturel du PBA.

Ce que dit la loi
Même si elle est (à moitié) propriétaire de l’œuvre (celle-ci appartient conjointement à la Ville et à la Région wallonne), la Ville de Charleroi ne peut quand même pas en faire ce qu’elle veut. Amélie Genin est avocate spécialisée en droit d’auteur et droits des artistes au sein du cabinet JVM, à Bruxelles. Elle nous explique : “Quand une œuvre d’art est créée pour un espace public, l’artiste s’inspire généralement de ce lieu pour que l’œuvre y soit bien intégrée. Dès lors que le commanditaire veut la déplacer, l’artiste peut se sentir atteint dans son droit moral. Le changement porte atteinte au contexte initial.”
Elle précise également que lorsqu’une œuvre se trouve dans un rond-point et qu’un nouvel aménagement des lieux ne permet plus de la replacer au même endroit, il faut dès lors la déplacer. C’est inévitable. Si les deux parties ne s'entendent pas, elles peuvent faire appel à un médiateur. “La Ville et l’artiste doivent décider ensemble d’un lieu qui convient aux deux. Mais chacun a tout intérêt à trouver un terrain d’entente. Ni l’un ni l’autre ne souhaite que l’œuvre pourrisse dans un hangar.”

Des cas similaires à Namur et à Huy
Il y a eu un cas similaire à Namur, avec une sculpture de Félix Roulin. Elle se trouvait devant la Maison de la Culture. Lors de travaux, elle a séjourné un temps dans un parc du campus provincial. Elle a ensuite été replacée à côté du Delta, le nouveau nom de la Maison de la Culture namuroise, à une quinzaine de mètres de l’endroit où elle se trouvait initialement.
Autre cas aussi à Huy, avec une sculpture de Robert Alonzi, “La Fille au parapluie”, qui se situait sur un rond-point derrière le Centre Culturel. Détruite par une voiture qui avait tiré tout droit, elle s’est retrouvée en plusieurs morceaux dans le parc à conteneurs de Tihange. Jamais restaurée ni replacée ailleurs, alors que l’assurance avait dédommagé la Ville, elle a été remplacée par une ancienne cabine du téléphérique, décorée par Pierre Kroll. Éric Dosogne, échevin des travaux de la cité mosane à l’époque (en 2017) et désormais bourgmestre f.f., nous explique que l’artiste a estimé qu’elle était irréparable.
Toujours à Huy, le rond-point “du haricot”, à côté de la piscine, était embelli d’un totem de Jacques Dubois, “le Voyageur”. Installé en 2007, il a été déplacé. Il se situe désormais à quelques dizaines de mètres de là, dans le parc Bastin nouvellement réaménagé.

Au-delà des considérations pratiques que ce déménagement carolo suscite, l’artiste, Martin Ankh Guyaux, se sent floué, mal aimé même. “Ça gène parce que c’est grand, Mais ici, je dérange. Ils n’ont pas compris ma sculpture.” Et puis, c’était une commande de l’ancienne équipe à la tête de la Ville de Charleroi (lire ci-dessous).
Il faut dès lors espérer que la Ville et l’artiste pourront trouver un accord afin que ceux qui savent apprécier l’art à sa juste valeur puissent encore profiter de cette magnifique Passation dans un lieu adapté.

L’histoire de la Passation
Particularité de la Passation, elle appartient pour moitié à la Ville de Charleroi et pour autre moitié à la Région wallonne. Elle date de la grande époque de Charleroi, quand la Région et la Ville étaient dirigées par le duo Van Cauwenbergh – Van Gompel. L’un, Van Cau, a été Ministre-Président de la Région wallonne de 2000 à 2005. L’autre, Van Gompel, bourgmestre de Charleroi de 2000 à 2006. Une époque révolue que certains voudraient oublier pour toujours.
Ces trois mains tendues vers le ciel ont été fondues dans un atelier de Vérone. Elles avaient alors été acheminées à Charleroi par des convois exceptionnels puis installées la nuit du 20 au 21 décembre 2006 sur le rond-point de la place du Manège. Face au Palais des Beaux-Arts.
Cette œuvre monumentale avait coûté 275 000 €. En bronze, elle est haute de 13 mètres et pèse près de 30 tonnes. Démontée et endommagée lors des travaux de la place du Manège, elle est entreposée dans un hangar de la Ville à Montignies-sur-Sambre.
Le bourgmestre Paul Magnette aurait jeté son dévolu sur d’autres œuvres pour orner divers lieux de la ville. Apparemment, il n’y a plus de places pour les mains de Martin Ankh Guyaux. Trop grandes. Trop belles. Trop tard.
