Charleroi: l'équation compliquée du logement social, avec des demandes en hausse constante et un nombre de logements qui diminue
En cinq ans, la liste d’attente a augmenté de 20%. Et le nombre de logements a diminué de 4%.
- Publié le 24-03-2023 à 15h00
- Mis à jour le 25-03-2023 à 07h29
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La Sambrienne est la société de logements publics de Charleroi et Gerpinnes. Elle gère le plus grand parc immobilier public de Wallonie, avec 9 500 logements où vivent 18 000 personnes… mais la demande dépasse largement l’offre: il n’y a pas assez de logements publics pour tout le monde !
Entre 2017 et 2023, la "liste d’attente" est montée de 4 000 à 4 850 ménages, familles ou personnes qui espèrent qu’une place se libérera bientôt. "On estime qu’il y a 5 inscriptions par jour sur cette liste d’attente", expliquent le président Maxime Felon et le directeur Fadel Azouzi, qu’on a rencontrés pour faire le point sur la situation. Et on est très loin de construire 5 logements par jour. Au contraire, le parc immobilier diminue: ces dix dernières années, le nombre de logements disponibles est passé de 9 900 à 9 500. "Cette diminution vient du fait qu’on a détruit de nombreuses tours (insalubres, NdlR), ce qui était nécessaire, mais la construction ne suit pas".
Est-ce que la Sambrienne gère mal ? Pourquoi ne construit-on pas ? Vers quoi se dirige-t-on ? Des questions légitimes, auxquelles répondent les deux responsables. Et évidemment les réponses ne sont pas simples.
D’abord, il faut comprendre le fonctionnement de la liste d’attente: il y a deux types d’inscription, 60% sont des Carolos qui cherchent un logement, 40% sont des candidats "extérieurs" qui se sont inscrits soit à La Sambrienne - "Charleroi est un pôle urbain, et il arrive qu’ailleurs, quand on cherche un logement, on redirige vers chez nous, parce qu’il y a davantage de logements puisqu’on gère 10% du parc social de Wallonie", précise Felon – soit via une autre société en cochant "Charleroi" sur la liste des demandes. "Il faut aussi se rendre compte que nous faisons tout pour faciliter la vie à celles et ceux qui cherchent un logement: il y a des aides téléphoniques, un guichet d’accueil, quand on envoie un formulaire on y joint une enveloppe prétimbrée, et surtout, il y a la possibilité de s’inscrire en ligne, ce qui n’est pas le cas partout. On pense que cela explique en partie l’important nombre d’inscriptions".
Enfin, le contexte économique entre dans la balance: la précarité augmente avec les crises, et comme le loyer (340 € de moyenne du petit appartement à la maison 6 chambres) est dépendant des revenus, habiter dans un logement social est une sécurité – notamment en cas d’emploi précaire qui risque de disparaître du jour au lendemain. "Et en parallèle le privé devient de plus en plus impayable pour plein de gens", ajoute Felon.
Une fois inscrit, le candidat aura des "points" en fonction de sa situation, qui le placera plus haut ou plus bas sur la liste d’attente, peu importe l’ordre d’inscription.
Ensuite, il faut comprendre le fonctionnement budgétaire: "Louer à bas prix coûte 10 millions d’euros par an. C’est évidemment notre rôle de bouclier social, sans lequel des gens seraient dans leur voiture ou à la rue, mais autant le savoir. Nous comptons donc sur les subsides wallons pour rénover et construire, détaille Maxime Felon. Ces subsides sont focalisés pour l’instant sur la rénovation. C’est évidemment très important, ça permet d’économiser de l’énergie, de mieux loger les gens… mais rénover, ça ne crée pas des nouveaux logements. On a des plans et des terrains pour construire, avec un potentiel de 2 500 logements sur Charleroi, mais on n’a pas l’argent. Impossible donc de créer 500 logements par an pour répondre à la demande".
Trop de demandes et pas assez d’offres
Le président de la société publique de logements insiste: "Je plaide pour un"Plan Marshall"du logement public, avec un droit de tirage pour qu’on gère selon nos besoins, pas selon des appels à projets du ministre. Cela permettrait de prévoir dès le début d’une mandature: savoir combien on a, et ce qu’on peut faire".
Tout cela nous amène au problème actuel: pas assez de logements, trop de gens sur liste d’attente. "Et ça ne va pas aller en s’améliorant", regrette Maxime Felon qui prévoit encore des hausses d’inscription. "Avec l’AAL, l’allocation attente logement, si après X mois d’inscriptions aucun logement n’a été attribué, les candidats recevront une prime pour les aider à payer un logement dans le privé. Je m’attends donc à ce que plein de gens s’inscrivent pour obtenir la prime, c’est logique. Et avec la facilité d’inscription à la Sambrienne, notamment sur le web, je m’attends à des inscriptions sur Charleroi depuis l’ensemble de la Wallonie. Cela va totalement fausser les chiffres".
Une autre difficulté est aussi soulevée par le président de la Sambrienne: la précarisation de plus en plus grande de nombre de Wallons fait "qu’aujourd’hui, nos logements sont de plus en plus occupés par des gens âgés, inactifs ou précaires. Parce que ce sont les publics prioritaires. Sauf que ça veut dire qu’il y a, par extension, de plus en plus de gens qui auraient besoin de notre protection pour éviter de tomber dans la précarité qui ne trouvent pas de logement chez nous: des mères célibataires, des enfants mis dehors par leurs parents après un coming out… Sans logement, ils finissent par tomber donc dans la précarité. Et deviennent prioritaires seulement à ce moment-là. L’impact social est terrible, des quartiers entiers deviennent occupés par des gens qui n’ont pas de travail, pas de lien social, pas d’activités, pas d’accès aux soins. Non seulement on doit construire, mais en plus on doit améliorer la mixité sociale pour éviter la situation des HLM français… parce qu’au plus un quartier est pauvre, au plus les habitants se précarisent, on le sait".
Le levier de la mixité sociale doit jouer
C’est là que la mixité sociale entre en jeu: en mettant en vente des logements que la Sambrienne n’aura pas les fonds pour rénover immédiatement, des propriétaires arrivent au milieu de locataires sociaux. "Cela fait diminuer notre nombre total de logements, mais ça permet de donner l’accès – à bas prix – à la propriété. C’est aussi important", selon Felon. Il y a aussi des logements "moyens" ou "à loyer d’équilibre", loués aux ménages qui ont davantage de revenus. "L’idée, c’est qu’on essaie de varier les profils, d’avoir des propriétaires et des locataires, d’avoir du logement social et, à côté, un peu de logements moyens. Pour que les quartiers vivent, que les gens de tous les milieux se croisent. Et évidemment, il faut dans tout cela éviter les logements mal pensés, trop petits, insalubres… l’équation est complexe !".