Charleroi: une expo sur les luttes féministes des années 70
Dans le cadre du festival Femmes de mars, une expo met en lumière les mouvements féministes d’il y a 50 ans dans le hall d’entrée de Charleroi Danse.
Publié le 02-03-2023 à 14h37 - Mis à jour le 02-03-2023 à 18h32
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Femmes de mars 2023, c’est parti ! La nouvelle édition du festival intitulée Le corps est politique a été lancée à Charleroi Danse ce jeudi soir, à la faveur du vernissage de l’exposition Libérez les femmes, changer le monde: le féminisme des années 70 en Belgique. Rencontre avec Anne Cattiez, porteuse de ce projet et actrice des mobilisations de ces années-là à Charleroi.
Anne Cattiez, pourquoi cette exposition et pourquoi maintenant ?
Il est important de se souvenir d’où l’on vient quand on veut aller quelque part. Pour moi, ce témoignage de ce que l’histoire a retenu comme la deuxième vague du féminisme vient à point pour commémorer un demi-siècle d’actions collectives. Comme on a célébré le soulèvement de mai 68, il faut rappeler les luttes qui ont été menées chez nous, par des filles et des femmes de plusieurs générations. Le Centre d’archive et d’information sur l’histoire des femmes, le CARHIF en abrégé, nous invite à prendre la mesure de ces mobilisations dans les années 70. Groupes de parole, lieux de non-mixité, radios féministes, collectifs de revendications: les militantes ont agi sur tous les fronts. Ce sont elles, leur mouvement au sens général, que cette expo éclaire, et non l’une ou l’autre figure emblématique.
La région de Charleroi a-t-elle participé à l’aventure ?
Oui, certainement ! Tout est parti de la première journée des femmes en 1972 à Bruxelles. J’avais 22 ans à l’époque, j’y suis allée. La date avait été choisie parce que c’est la seule qui arrangeait Simone de Beauvoir, invitée à venir donner une conférence. Je garde un souvenir émouvant de l’événement. Les organisatrices tablaient sur la présence de 500 femmes: nous avons été plus de 10 000. C’est dans un esprit de libération, d’euphorie que nous nous sommes retrouvées ce jour-là. J’en ai encore les larmes aux yeux.
Étiez-vous déjà sensibilisée aux revendications féministes ?
Complètement ! En 1972, nous vivions dans un autre monde. Imaginez-vous, par exemple, que pour pouvoir ouvrir un compte en banque à mon nom quand j’ai commencé à travailler, il m’a fallu obtenir l’autorisation de mon mari ! Plus jeune, j’avais expérimenté les conditions de travail à l’usine. Jobiste à la laverie de la brasserie des Alliés, à Marchienne, je devais porter de lourdes caisses à longueur de journée, je n’arrivais pas à suivre. Nous étions toutes sur les genoux. Je dis toutes car il n’y avait que des filles. Les hommes étaient occupés sur des postes physiquement moins éprouvants. Ils venaient d’ailleurs nous narguer avec des bouteilles de bière à la main pendant les heures de service…
Quel rôle la région de Charleroi a-t-elle mené dans le combat féministe ?
En 1973, un groupement des Marie Mineur est apparu à Charleroi, issu de celui de La Louvière créé par Jeanne Vercheval. Les Marie Mineur, c’étaient des filles qui allaient informer de leurs droits les femmes les plus éloignées de l’information, surtout les ouvrières dans les usines.
En janvier 1973, il y a eu l’affaire Peers…
Oui, du nom de ce gynécologue arrêté pour avoir procédé à l’avortement d’une jeune femme de 27 ans, handicapée mentale. Une fronde a vu le jour. À partir de là, nous avons exigé de pouvoir disposer de notre corps. Nous avons manifesté en faveur de la libération du docteur Peers, nous nous sommes unies pour un accès libre à la contraception, ce qui n’était pas le cas. Nous avons également demandé la dépénalisation de l’avortement. Il a fallu près de 20 ans pour faire changer la loi. On a tendance à l’oublier mais ce n’est qu’en 1990 que l’IVG a été dépénalisée, et ce partiellement.
Parlez-nous du projet de collectif contraception de Charleroi.
C’est une structure dont je suis fière, car nous l’avons créée avec un groupe de militantes. Il est né à la maison des femmes, un lieu d’accueil et d’échanges dédié à nos activités. Le collectif, c’est un centre extra-hospitalier qui a pratiqué des avortements. C’était pénalement sanctionnable alors, mais aller contre la loi avait un sens politique. Nous nous sommes installées dans une maison de la rue Charnoy derrière la basilique Saint-Christophe. Le front des médecins de Charleroi que nous avons contacté a accepté le challenge, en dépit des risques de poursuite. Certains de ses membres se sont formés aux actes chirurgicaux. De notre côté, nous leur avons servi d’assistante après nous être formées à cela.
Comment fonctionniez-vous ?
Selon des permanences trois jours par semaine. Nous étions accessibles tous les mardis, mercredis et jeudis matin ainsi que les mardis soir. Nous avons débuté les activités au printemps 1979. Le collectif existe toujours, mais il a intégré le réseau des plannings familiaux.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du féminisme. Et en particulier à Charleroi ?
Un regard positif. Tout ce travail militant nous a permis d’acquérir de nouveaux droits. Dans la pratique, il reste encore beaucoup de chemin à faire. Tout en restant vigilants: les droits acquis restent fragiles. Face à la montée des conservatismes et de certains dogmes religieux, il faut se battre pour les préserver. L’exemple des USA où des États ont à nouveau banni l’avortement nous l’a rappelé récemment de manière cinglante !
Expo accessible jusqu’au 24 mars tous les après-midi de semaine (lundi à vendredi) de 13 à 17 h, dans le hall de Charleroi Danse, boulevard Pierre Mayence, 65C. Entrée gratuite.