Immersion dans la cellule foot de la police de Charleroi
Parce qu’il peut déchaîner les passions, le foot reste un spectacle à risques. À la rencontre de la cellule foot de la police de Charleroi.
Publié le 24-02-2023 à 17h23 - Mis à jour le 24-02-2023 à 17h33
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Le hooliganisme, c’est le côté détestable du football, le revers de la fête que devrait constituer chaque rencontre dans les divisions supérieures. La question n’est pas de savoir si mais comment on en gère les effets. C’est le job de la cellule foot de la police, en charge de la coordination de la politique de sécurité dans et aux abords des stades. Elle veille au respect de la loi football, œuvre à la prévention de la violence dans les tribunes et sur l’espace public. Il lui appartient enfin de combattre les comportements malveillants et discriminants.

À Charleroi où trois clubs évoluent entre l’élite et la nationale 1 (Sporting, Olympic et Zebra U23), cette cellule compte trois policiers: les premiers inspecteurs Valéry Charles, Fabrice Focant et Mathieu Santucci. Ceux-ci élaborent les analyses de risques qui vont permettre d’établir des recommandations, à partir d’une check-list de… 51 points d’attention. Ce que l’on appelle dans le jargon des ordres de bataille.
Un seul et même objectif: éviter les débordements. Usage intempestif de fumigènes ou de pétards, affrontements violents, vandalisme. "On pourrait croire que la cellule n’opère que les jours de match à domicile. Mais non, c’est 365 jours par an, observe Valery Charles. Rien n’est laissé à l’improvisation. Tout doit être méticuleusement réfléchi, préparé, et pour cela notre équipe s’appuie sur les informations qu’elle collecte à différentes sources." À partir de ces éléments, un dispositif pourra être mis en place, à l’appréciation de l’officier de commandement. Il y en a quatre qui assurent cette fonction à Charleroi, dont le commissaire Éric De Brabander, l’un des plus expérimentés.
Un match du Sporting mobilise entre 80 et 300 policiers, une rencontre de D1 amateur à l’Olympic jusqu’à une soixantaine. Circulation, surveillance dans l’enceinte et le périmètre des stades (Mambour et la Neuville), brigade canine, forces de gestion négociée de l’espace public, moyens d’action fédéraux comme l’arroseuse, la cavalerie, sans compter l’hélicoptère qui observe les mouvements au sol pour en informer l’état-major quand Charleroi accueille le Standard ou Bruges. "Notre job d’évaluation doit être le plus efficient possible. Surestimer les risques génère des gaspillages d’argent public. Les sous-estimer représente une menace pour la sécurité." Tout cela se fait en partenariat avec la cellule fan coaching de la ville, les clubs et leurs stewards, les citoyens, les fédérations de foot, enfin les autorités judiciaires et administratives, dont le bourgmestre.
Les coûts de la sécurisation policière
Les montants d’une rencontre sont à la mesure des déploiements de force : comptez 40000 € rien qu’en salaire horaire pour un match à faibles risques comme celui du Sporting face à Saint-Trond ce dimanche. Et plus de 100000 € pour l’affrontement du Standard de Liège par exemple, bête noire des hooligans et ultras de Charleroi.
Une réunion pour l’organisation
Un briefing marque le coup d’envoi du service qui précède généralement de trois heures le coup d’envoi du match, et se prolonge deux heures après. Voire plus si des débordements l’imposent. Lors de ce briefing, les ordres de mission sont distribués aux chefs de sections et commandants de pelotons. L’évaluation des risques évolue en temps réel, et ce jusqu’à la dernière minute.
Entre spotters et cicerones
Spotters et cicerones, voilà deux fonctions méconnues du public non assidu des stades. Ce sont les policiers de première ligne du dispositif de sécurisation football. Le spotter, qui signifie observateur en anglais, a pour mission de recueillir toute information relative au degré de risque du match. Pour cela, il s’immerge parmi les supporters avant l’entrée au stade (dans les lieux de rassemblement comme les cafés), dans les tribunes, mais aussi après le coup de sifflet final pour l’évacuation, cela jusqu’à l’embarquement dans les cars.

Au nombre d’une quinzaine dans la zone de Charleroi, ces agents de renseignement scrutent bien sûr les réseaux sociaux où s’échangent des messages. Équipés d’oreillettes qui leur permettent d’échanger avec les différentes composantes du commandement, ils travaillent en tenue civile. Ils disposent d’un brassard pour se faire identifier si les troubles de l’ordre le réclament.
Quant aux cicerones, ils assurent la liaison avec leurs collègues en charge de la surveillance des supporters des équipes adverses. Un boulot très stratégique qui demande le plus souvent une bonne connaissance du néerlandais : «au sommet des compétitions belges de foot, la plupart des teams viennent du nord du pays», rappelle Valery Charles. Le travail des spotters ne se limite pas aux matches à domicile : ils accompagnent les supporters en déplacement, que ce soit lors des phases éliminatoires ou finales (championnat, coupes, tournois, Europa league). Au-delà de leur job de renseignement, ils doivent être dotés de psychologie pour aller au contact des supporters et se faire accepter. Cela réclame une connaissance approfondie du milieu du foot et de ses codes qu’ils soient gestuels ou vestimentaires. Il faut aussi avoir le sens des relations sociales, être physionomiste, pouvoir anticiper et déminer des tensions…
Free fights et embuscades
l y a deux groupes cibles qui intéressent la cellule foot : les hooligans animés par un esprit de bagarre, et les ultras qui ne viennent pas pour se battre, mais peuvent refuser les règles. Ces derniers sont à l’initiative des animations dans les stades : le déploiement d’un tifo par exemple, ou le jet intempestif de fumigènes à l’origine de l’arrêt du match Charleroi-Malines. Entre les deux, les «hooltras» au sang chaud dont le comportement s’adapte aux circonstances.

Les bastonnades en dehors des enceintes sportives, c’est une réalité. Valéry Charles et Fabrice Focant évoquent notamment les free fights de Charleroi Youth Squat, CYS en abrégé. De véritables combats de rue, souvent dans les bois et hors du pays pour échapper à la loi football. Lors de ces affrontements, tous les coups sont permis : poings, pieds, genoux mais pas d’arme ni d’objets contondants. Pas de ceintures ni de gants de frappe non plus. C’est une minute trente de sauvagerie absolue et d’adrénaline dans laquelle chacun risque des fractures, des dents cassées avec des incapacités à la clé.
En janvier, les U24 carolos se sont ainsi mesurés à un groupe de hooligans anversois, à sept contre sept dans une forêt de Tilburg aux Pays Bas. Les images sont d’une violence inouïe, ces scènes étant généralement filmées avec un floutage des visages.
À la police de Charleroi, les membres de la cellule foot ont eu à vivre des moments difficiles : agression d’un collègue qui s’est pris une barrière Nadar dans le dos avec incapacité permanente pour Valéry Charles, embuscade des hooligans du Standard avec caillassage des cars de supporters sur l’autoroute de Liège pour Fabrice Focan.