"Le monde d’après pourrait être pire que celui d’avant"
Secrétaire fédéral de la CSC Charleroi Entre-Sambre-et-Meuse, Fabrice Eeklaer porte un regard inquiet sur les leçons non tirées de la crise sanitaire.
Publié le 18-02-2022 à 06h00
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C’est une certitude, la pandémie a profondément transformé la société: rapports au travail, à la santé, au rôle du politique et de l’État, rapports aux autres mais aussi à la famille et à soi. Le secrétaire fédéral de la CSC Charleroi Entre-Sambre-et-Meuse en vient à craindre le retour du monde d’avant… en pire.
Fabrice Eeklaer, nous n’avons pas tiré les bons enseignements de cette crise sanitaire?
Je ne suis pas optimiste. On espérait que le monde sortirait transformé de cette épreuve. Or, on voit que ce n’est pas le cas: mondialisation de l’économie et du commerce, délocalisations, précarisation du travail… On en vient à vouloir organiser le travail de nuit, on voit avec l’annonce de la fermeture d’AGC Fleurus comment pour gagner plus d’argent plus vite, les actionnaires ont décidé de déplacer des productions locales à l’étranger. Quant à la Sécurité sociale qui a démontré sa capacité à nous protéger de la crise, elle n’a pas du tout été renforcée comme il l’aurait fallu. C’est à se demander si on n’a pas complètement loupé l’occasion de transformer cette menace que représentait la pandémie en opportunité.
Vous voulez dire que les espoirs d’un retour aux circuits courts, d’une reprise de la maîtrise de notre savoir-faire industriel, d’une conscience climatique affirmée sont en train de s’évanouir?
Je le redoute. Les événements que nous vivons au quotidien ne nous montrent pas autre chose! Si le terme de circuit court est souvent utilisé dans le domaine alimentaire, il ne faut pas le réduire à ça: les circuits courts vont de l’habillement à l’automobile. Je vais prendre un exemple, celui de l’entreprise Deltrian qui a réussi à relever le défi de fabriquer des masques quand nous en avions besoin. La Wallonie a soutenu et subsidié ce projet. Or, deux ans plus tard, des institutions publiques ont recommencé à commander des masques en Chine…
Cette situation appelle-t-elle à revoir l’organisation des marchés publics?
Je le pense. Le prix ne doit pas être le seul critère d’analyse. Et puis, il faut de la cohérence. Je vais revenir sur la délocalisation de l’unité pare-brise d’AGC. Chez nous à Charleroi, nous accueillons aussi le centre de recherche du groupe, surfinancé par la Wallonie. Qu’on ne lie pas l’octroi de ces aides au maintien de l’activité industrielle me semble inconséquent.
Cette crise a-t-elle cassé les solidarités?
Elle a d’abord aggravé les inégalités. On l’a vu, et vécu: se confiner dans un petit appartement à quatre en centre-ville, ce n’est pas la même chose que dans sa villa à la campagne avec jardin. À une autre échelle, la pandémie a accéléré l’enrichissement des riches tandis que les plus pauvres étaient durement sanctionnés. Les impacts psychologiques et sanitaires ont été désastreux. Quels effets cela aura-t-il sur les solidarités? L’avenir nous le dira rapidement. Je constate que notre pétition au niveau national pour demander la révision de la loi de 96 a récolté à ce jour quelque 60 000 signatures, alors qu’il n’en fallait que 25 000 pour obtenir un droit d’interpellation au Parlement. Nous avons pas mal de mobilisations programmées à l’agenda de mars. La participation sera-t-elle au rendez-vous? Il faut appeler les gens: ceux qui feront l’effort de quitter leur fauteuil et de sortir de la maison retrouveront le plaisir d’agir ensemble. Enfin, c’est mon sentiment.
L’état du chômage reste préoccupant dans notre région…
Oui. Charleroi Métropole, c’est-à-dire y compris les arrondissements de Thuin et Philippeville, reste la région qui compte le plus de demandeurs d’emploi toutes catégories confondues. On en était à 31 655 le mois dernier, pour 2 692 offres disponibles au Forem. Cela met en lumière la différence entre pénurie d’emplois et pénurie de main-d’œuvre. Si l’on prend l’enseignement, c’est encore plus visible: il y avait un total de 74 emplois vacants!
Quelle est la priorité politique pour sortir de cette dichotomie?
L’État n’est pas là pour créer de l’emploi, mais il a le devoir d’organiser un cadre pour favoriser l’embauche et tendre vers le plein-emploi. Comment penser climat et social en même temps? Il me semble qu’il faut une approche holistique, c’est-à-dire globale. Le bien-être économique ne peut pas exister en dehors de l’emploi pour tous. Il faut donc créer les conditions d’un véritable redéploiement, c’est ça me semble-t-il la priorité numéro 1!