Morgan Di Salvia, nouveau rédacteur en chef de Spirou: «L’art populaire dans ce qu’il a de plus noble»
C’est à la Maison Culturelle de Quaregnon que Dupuis a été chercher son nouveau rédacteur en chef pour le magazine Spirou. Un choix étrange? Pas vraiment, tant Morgan Di Salvia baigne dans la BD depuis son enfance.
- Publié le 03-06-2019 à 13h10
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Quand il était petit, Morgan Di Salvia voulait être libraire «pour avoir le Spirou avant tout le monde.» À 37 ans, le souhait du Quaregnonais s'exauce: il peut feuilleter le journal belge de bandes dessinées à la sortie des rotatives puisqu'il est devenu ce 1er juin le rédacteur en chef de l'illustre périodique octogénaire.
«Sergio Honorez (directeur éditorial chez Dupuis, éditeur du magazine) m'a appelé pour me proposer le poste, me disant simplement qu'il pensait que j'étais la bonne personne.» Morgan ne dit pas oui tout de suite, pour la forme. Car pour le fan de BD qu'il est, incarner le boss de Spirou a tout du job de rêve. «Quand tu reçois un coup de fil pour te proposer de diriger LE journal de BD, tu fais semblant d'hésiter 5 minutes, mais tu ne dis pas non.»
La bande dessinée est profondément ancrée, voire encrée dans la peau du Quaregnonais qui a dirigé durant presque 5 ans la Maison Culturelle de Quaregnon. Ses deux parents sont des bédéphiles avertis. et il découvre Spirou grâce aux recueils du journal de la période dorée des années 50 et 60, l’époque de «Z comme Zorglub» où Franquin porte le groom à son pinacle. Dès ses 7 ans, il est abonné au journal.
«Tout est possible tant que l’ambition est là»
C'est durant ses études en histoire contemporaine à l'ULB, qu'il passe de l'autre côté du comptoir. «J'avais un peu de temps libre et je voulais faire un travail étudiant. J'ai postulé dans trois librairies BD que j'aimais et j'ai été engagé par l'une d'elles, Schlirf Book.»
Chez Yves Schlirf, devenu aujourd'hui directeur général adjoint pour Dargaud en Belgique, la vie de Morgan change. «J'ai découvert l'autre versant de la BD dans une librairie ultradynamique qui n'avait pas de limites. On pouvait faire des expos avec tous les auteurs du monde, sans espace d'exposition… Ça m'a ouvert l'esprit sur la lecture et ça m'a fait réaliser que tous les événements sont possibles si on s'y met. Ce fut une très belle école.»
Quand il arrive à Quaregnon pour un remplacement d'animateur de trois mois à la maison culturelle où il resta finalement une décennie, il met à profit son expérience bruxelloise. «Je me suis rendu compte que dans un centre culturel, comme à la librairie, tout était possible dans la limite des moyens disponibles, tant que l'ambition était là.»
Et de l'ambition, il y en a: «J'avais un peu souffert de cette image négative qui colle au Borinage. Alors avec l'équipe, on avait envie de montrer qu'on pouvait faire des choses aussi bien qu'ailleurs.»
Équilibre dans la diversité
Durant sa direction, la BD a une place de choix: les Rendez-Vous BD, une des activités phares de la maison, prennent de l'ampleur, Quaregnon devient un centre de diffusion et de promotion de la bande dessinée belge francophone reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais la discipline n'étouffe pas le reste. «La clé du succès, c'est la diversité, être capable de s'adresser et de satisfaire des publics différents.»
Ses pulsions BD, Morgan les assouvit en écrivant des critiques, en rédigeant des préfaces, en collaborant pour des éditeurs, dont Dupuis et le journal Spirou, qui l’occupera désormais à temps plein.
Dans lequel aussi le défi sera de trouver un juste équilibre. «En une saison de centre culturel, il faut proposer des activités qui permettent tant à des enfants qu'à des adultes de différents milieux de s'ouvrir l'esprit. Dans Spirou, chaque semaine en 52 pages, tu dois aussi trouver un peu de tout pour qu'un public large de 7 à 88 ans y trouve son compte.»
Le rôle de Morgan Di Salvia sera celui d'un coordinateur, mais il devra surtout assurer l'avenir d'un titre qui fait face aussi au défi du numérique. «Il faut continuer à chouchouter nos fidèles, qu'ils y trouvent leur compte dans la diversité des histoires, dans le respect de la tradition et dans l'innovation, car c'est notre boulot de faire naître les talents de demain. Mais si le papier reste le socle, il faut proposer un média plus complet, un site web créatif…»
Papier et smartphone
Pour survivre, Spirou doit être plus qu'un journal et se lire là où sont les jeunes: sur les smartphones. «Dupuis développe le format webtoon depuis le début de cette année, un format de case à case qui défile sur l'écran. On pense que ce support peut permettre de toucher d'autres générations et d'autres pays, voire continents. Si diffuser le format franco-belge de BD est compliqué, ce format webtoon peut nous offrir de nouvelles opportunités.»
Celle d'agrandir la famille Spirou, mais tout en étant garant d'un glorieux héritage. «Pour moi, c'est un journal de référence. De nombreuses séries formidables y sont nées et c'est l'art populaire dans ce qu'il a de plus noble. C'est quelque chose que tu trouves dans les supermarchés et qui contient des œuvres d'art qui touchent un hyperlarge public. C'est du divertissement intelligent. Et pouvoir y contribuer, c'est super. Je deviens dépositaire de quelque chose qui me dépasse, qui était avant moi, qui le sera encore après. Il faut être digne de ce qu'il représente: un référent dans la culture populaire.»

Inutile de demander à Morgan Di Salvia qui est son auteur préféré dans Spirou: «c'est le meilleur moyen de se mettre à dos tous les autres», sourit-il.
Aucun problème par contre pour nous confier que sa période Spirou la plus marquante est celle du début des années 90.
«Le Spirou n° 3000 est culte. C’est la première fois que l’on pouvait lire des BD avec une bande originale, grâce au CD qui l’accompagnait. Il faut se rappeler qu’en 1995, le CD c’était le futur! J’ai été marqué par ce numéro. Mais je crois que chaque lecteur entretient un lien particulier avec le Spirou de son enfance. Moi c’était celui de Thierry Tinlot où se succédaient les happenings les plus dingues. Quant aux couvertures, j’aime particulièrement celles de Roba dans les années 60, qui sont juste incroyables.»