Les éditions Kennes en procédure de réorganisation judiciaire
La maison d’édition carolo Kennes est entré en PRJ, les finances vont mal. Pistes pour redresser la barre et éviter la faillite avec Dimitri Kennes, le fondateur.
Publié le 03-05-2023 à 06h00
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Kennes est en PRJ, en procédure de réorganisation judiciaire. Ce n’est pas un gros mot, et ce n’est pas une faillite. Au contraire : la maison d’édition basée à Loverval va mal, financièrement, mais la PRJ est un outil légal prévu pour éviter les faillites. En deux mots, il s’agit de “geler” les dettes le temps de se réorganiser – afin de se remettre sur les rails et de pouvoir payer ses créanciers à temps.
La descente aux enfers
Comment en est-on arrivé là ? D’après Dimitri Kennes, le fondateur et directeur actuel, c’était une belle histoire jusqu’à 2020. Avec la Covid et le confinement, toute une série de mauvais choix stratégiques, l’effondrement du marché “Jeunesse” traditionnel au profit du manga, le tout couplé à l’explosion du prix du papier (qui a doublé avec la guerre en Ukraine)… l’entreprise est aujourd’hui dans une impasse. “Il y a toute une série d’éléments, de décisions, qui amènent à la situation actuelle”, explique-t-il. “D’abord, il y a eu la Covid. On n’a rien vendu pendant trois mois, on a contracté des emprunts pour continuer à payer le personnel et étoffer notre catalogue pour être prêts à la sortie du confinement. L’année 2020 se termine tant bien que mal en positif, et le groupe français Delcourt – avec qui on a de très bonnes relations – rejoint le capital : l’idée c’était de booster notre présence en France grâce à eux, et nous leurs ventes en Belgique. Avec cet argent, on décide d’investir pour développer notre catalogue jeunesse. Puis en 2021, c’est la catastrophe : les BD jeunesse et les romans ne se vendent plus. Le manga se vend soudain trois fois plus, couplé à des séries et des animes qui permettent de booster la popularité, et on ne l’a pas assez anticipé. Tous nos investissements dans le marché jeunesse n’ont absolument pas fonctionné, cet argent s’est envolé. On espère alors que l’Euro 2020, qui se jouait en 2021, allait nous permettre de remonter la pente puisqu’on a les droits sur les Diables Rouges, et qu’on avait justement toute une série de bouquins prêts à sortir. Mais avec les faux spectateurs et les faux applaudissements, c’est un flop… l’esprit n’y est pas, et ça vend très peu. Début 2022, on se demande ce qu’on peut faire pour redresser la barre : on réduit notre catalogue roman et BD jeunesse, on doit licencier des gens, on arrête des projets, on annule les commandes de tomes 3 ou 4 de certaines séries… ça a été très douloureux. Mais on pouvait se reconcentrer sur nos incontournables : Ninn, Putain de Chat, Léa Olivier, les Foot furieux, etc. On espérait alors pouvoir s’appuyer sur Delcourt pour mieux vendre nos titres en France, mais avec les changements rapides du marché de l’édition, ils avaient d’autres priorités, ce que je comprends parfaitement. Et on espère encore qu’avec le Mondial, ça va marcher : on a deux bouquins dont on espère beaucoup… et c’est à nouveau l’échec. Le Qatar ne fait pas rêver, les Diables ont une image assez mauvaise, et même si les rayons “Foot” des libraires et des supermarchés sont présents, ça vend très peu. Et en parallèle, on sent que notre phare, qui assurait nouveaux lecteurs et rentrées d’argent, Léa Olivier, est sur la fin, on a dépassé les vingt tomes et on n’a jamais réussi à trouver quelque chose qui plaise autant.”
Un rayon de soleil
Un rayon de soleil tout de même : la catégorie “non-fiction” – avec des biographies, des essais et des documentaires – fonctionne bien. C’est un marché de niche, qui n’est pas spécialement très rentable, mais qui permet de faire vivre les équipes, qui ont d’ailleurs été renforcées. Mais cette bonne nouvelle ne suffit pas à absorber les mauvaises : Kennes en 2023 se contracte, sortira moitié moins de livres qu’avant, alors que la maison d’édition à des dettes qui correspondent à une entreprise en bonne santé financière : il n’y aura pas assez d’argent pour rembourser les créanciers.
Un début de plan pour s’en sortir
On en arrive donc à la PRJ : “on doit un peu d’argent à des imprimeurs, un peu à quelques auteurs, et beaucoup à des banques”, détaille Dimitri Kennes. Objectif de la procédure : trouver un plan, avec les investisseurs (Kennes et Delcourt) et les créanciers (banques et Sambrinvest), pour remonter la pente. “Rien n’est encore décidé, mais on a quelques mois pour préparer un plan solide, qui nous remettra sur les rails. On a six mois maximum, et on doit inventer un nouveau business. Pour moi à ce stade, l’idéal serait qu’on s’appuie sur un grand groupe pour les romans et BD jeunesse, pourquoi pas Delcourt mais ça peut être un autre s’il y a des intéressés. Ça permettrait de mutualiser les coûts, de profiter de notre position sur le marché belge où on est très bien vus, et nous de profiter d’eux sur le marché francophone international. On a des forces, et on peut être la filiale d’un groupe qui crée de la valeur en Belgique, avec des auteurs plus belges, une bonne image, des contacts. Un deuxième pan est la non-fiction, qui n’est pas spécialement très rentable mais qui apporte un vrai plus dans le paysage, où le nom de Kennes est reconnu, médiatiquement présent, et qui a su créer de la confiance avec des auteurs et des personnalités. Ça peut être un complément pour nos revenus tout en participant à l’image de marque. Enfin, il faudra une réorganisation financière, parce que les économies de personnel ont déjà été faites l’année passée. Ça sera peut-être un arrangement avec nos créanciers pour échelonner ou réduire la dette, peut-être une nouvelle entrée au capital, et une contraction de nos frais de fonctionnement.”
L’idée, c’est que 1+1 peut être égal à 2,3 “en vendant mieux nos livres en France et en aidant un autre éditeur à mieux vendre en Belgique”, alors qu’en parallèle des économies d’échelle permettent qu’en termes de coûts, 1+1 puisse être égal à 1,8.
”Tout cela doit être prévu et discuté dans les semaines qui viennent, et c’est la raison pour laquelle j’accepte de communiquer : il faut que les auteurs, les libraires, les partenaires de diffusion et de distribution sachent qu’on va tout faire pour sortir de l’impasse, mais qu’on n’y arrivera pas seuls. Je suis persuadé qu’il y a un avenir pour les éditions Kennes”, conclut le directeur.