Les animaux nuisibles le sont-ils vraiment?«Ils jouent de vrais rôles à Bruxelles»

Rats, renards, pigeons, corbeaux… : on les dit « nuisibles » et la ville les combat. Mais ces espèces ont un rôle à Bruxelles. C’est ce que rappelle le documentariste animalier Thomas Jean. « Nous avons une responsabilité dans leur prolifération ».

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Rats, souris, pigeons, frelons asiatiques, corbeaux, cafards, voire renards, hérissons et fouines n’ont pas toujours bonne presse dans nos villes.Mais ces animaux qu’on qualifie de "nuisibles" le sont-ils vraiment? C’est l’objet d’ une conférence que Bruxelles Environnement donne ce lundi 2 mai dans le cadre du Mois de la Nature . Thomas Jean sera au micro: le vidéaste animalier à l’origine des capsules La Minute Sauvage sur Youtube démonte donc certains clichés les plus tenaces sur ces espèces.

 Le renard se rencontre partout dans le monde: ses différentes espèces s’adaptent facilement aux environnements urbanisés.À Bruxelles, où il se nourrit dans les rues, on le croise davantage dans les quartiers habités que dans les friches à haute biodiversité.
Le renard se rencontre partout dans le monde: ses différentes espèces s’adaptent facilement aux environnements urbanisés.À Bruxelles, où il se nourrit dans les rues, on le croise davantage dans les quartiers habités que dans les friches à haute biodiversité. ©Thomas Jean/La Minute Sauvage

Thomas Jean, pourquoi parle-t-on d’animaux "nuisibles"?

Thomas Jean, de La MInute Sauvage: «le terme nuisible remonte au monde agricole».
Thomas Jean, de La MInute Sauvage: «le terme nuisible remonte au monde agricole». ©ÉdA – Julien RENSONNET

Ça remonte aux milieux agricoles. à l’origine, c’est comme ça qu’on qualifiait les animaux qui provoquaient des dégâts aux cultures. Ou qui entraient en concurrence avec les chasseurs. Les renards par exemple qui se nourrissent des faisans, perdrix ou cailles, mais à un rythme tout à fait absorbable par la nature. Le terme n’a donc pas de sens en ville.

Pourquoi l’y utilise-t-on alors?

On pense bien sûr aux pigeons qui détériorent l’architecture.Comme les rats et renards, ils représentent aussi un risque sanitaire.Réel, mais mesuré. Voire faible.Ceci dit, si on favorise leur présence, on augmente notre cohabitation.Et si un jour surgit un agent pathogène transmissible à l’homme, ces espèces pourraient représenter un risque.C’est le scénario le plus crédible de la crise du coronavirus.

Un tel agent serait transmis comment?

Le plus probable, ce sont les excréments dans les habitations.

 Si les rats peuvent engendrer un risque sanitaire, celui-ci est «faible» selon Thomas Jean, spécialiste de la nature urbaine.
Si les rats peuvent engendrer un risque sanitaire, celui-ci est «faible» selon Thomas Jean, spécialiste de la nature urbaine. ©Thomas Jean/La Minute Sauvage

Pourquoi ces animaux prolifèrent-ils à Bruxelles?

Il y a deux facteurs.D’abord, la destruction des derniers espaces verts sauvages, comme la Friche Josaphat .Pourquoi?Car ça réduit la diversité d’espèces qui ont besoin de ces zones pour se nourrir et nidifier.Les rats, les pigeons, les corvidés comme les corneilles, corbeaux, pies, n’ont pas de tels besoins.Ils s’adaptent plus facilement aux milieux minéralisés.C’est ainsi qu’on retrouve le renard partout sur la planète. On ne recense que maximum deux couples sur la Friche Josaphat alors qu’il y en a des dizaines dans les quartiers d’Uccle et Woluwe.

Et le deuxième facteur?

Le corbeau se nourrit facilement en ville.
Le corbeau se nourrit facilement en ville. ©Thomas Jean/La Minute Sauvage

C’est la gestion des déchets organiques. Rats, corvidés, pigeons, renards privilégient la rue pour se nourrir: ils y trouvent facilement toute la nourriture dont ils ont besoin. Pour eux, nos poubelles sont les sources alimentaires les moins énergivores. Dans les parcs et les espaces publics, ils bouffent dans les paquets de chips abandonnés ou achèvent nos durums.

Ce qui amène à reconsidérer le caractère nuisible de ces animaux.

Oui, car ils jouent un rôle d’éboueurs.Un rat mange 10% de son poids par jour.On en compte 6 à 7 millions à Bruxelles.Ça fait un paquet de restes avalés!Ensuite, comme ils sont charognards, renards, corvidés et rats limitent le risque de voir se développer des agents pathogènes.Ils soulagent donc clairement le travail de la voirie, sur les terrasses, dans les rues et les parcs à guinguettes.

 Le rat est un vrai petit éboueur pour Bruxelles: il mange 10% de son poids chaque jour.
Le rat est un vrai petit éboueur pour Bruxelles: il mange 10% de son poids chaque jour. ©Thomas Jean/La Minute Sauvage

Quid des taupes?

Les taupes représentent une nuisance esthétique et pratique, pour l’entretien des jardins privés principalement.Elles participent pourtant à l’aération des sols. Cependant, elles sont rares dans les parcs publics, qui sont comme des monocultures qui les intéressent peu.D’autant que leurs sols sont trop tassés. Mais à mes yeux, entretenir un parc comme un terrain de golf, c’est dépassé, même si c’est en recul.

Quels sont les moyens utilisés contre les espèces "nuisibles"?

Des solutions à court terme.Pour les pigeons, il y a les graines contraceptives qui peuvent ramener rapidement la population à 30% de son niveau d’avant traitement. Mais à long terme, on ne connaît pas les effets pour les espèces qui se nourrissent de pigeons comme les renards, éperviers, faucons, fouines… Pour les rats, la dératisation utilise des granulés anticoagulants qui entraînent la mort par hémorragie interne. Au-delà de la souffrance animale de cette mort atroce mais rapide, le risque est l’ingestion par des chats et des chiens.Qui meurent à chaque campagne.

 Éliminer les pigeons avec des graines contraceptives comporte des risques pour les espèces qui se nourrissent de ces volatiles.
Éliminer les pigeons avec des graines contraceptives comporte des risques pour les espèces qui se nourrissent de ces volatiles. ©Thomas Jean/La Minute Sauvage

Vous privilégiez une autre voie?

Thomas Jean, de «La Minute Sauvage», plaide pour la sauvegarde des friches comme Josaphat.
Thomas Jean, de «La Minute Sauvage», plaide pour la sauvegarde des friches comme Josaphat. ©ÉdA – Julien RENSONNET

Je pense qu’il faut repenser toute notre gestion des déchets organiques.Ça passe par des poubelles en dur comme les dispositifs à pédale du piétonnier.Il faut aussi travailler les mentalités.Jeter un trognon de pomme dans un bosquet, ce n’est pas un geste écologique.Nourrir canards et pigeons de vieux pain rassis, ce n’est pas une chouette activité familiale.Il ne faut plus croire que le renard est frêle: les spécimens bruxellois souffrent d’obésité.Les Bruxellois doivent arrêter de téléphoner à la commune dès qu’ils croisent un rat dans un parc: ils doivent comprendre qu’ils ont une responsabilité dans cette prolifération.

Et sauvegarder les friches?

Oui, car ces zones n’intéressent pas les nuisibles.Et plus ils seront en concurrence avec d’autres animaux sauvages, moins ils proliféreront.Plus de friches, c’est moins de rats, de renards, de pigeons.

 Il faut perdre l’habitude de nourrir pigeons et canards.
Il faut perdre l’habitude de nourrir pigeons et canards. ©Thomas Jean/La Minute Sauvage
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