Pour River into Lake, y a l’feu au lac: «J’espère que les gens vont se réveiller»
ÉCOUTEZ | Le groupe V.O. s’est perdu dans les limbes d’internet. Pour le ressusciter, son leader Boris Gronemberger plonge dans «River into Lake». Dans une orchestration toujours aussi baroque, y transparaît son pessimisme face au monde qui brûle. De quoi, le Bruxellois l’espère, laisser sortir la bête.
Publié le 19-09-2019 à 07h22
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La forêt brûle. Terrifiés, les animaux regardent le désastre, impuissants, tétanisés. Tous, sauf le colibri. Le minuscule oiseau s’active, transportant des gouttes d’eau dans son tout aussi minuscule bec pour les déverser sur les flammes. Interloqué, agacé par ces efforts dérisoires, le tatou le traite de fou. Et lui demande ce qu’il fiche. «Je fais ma part», rétorque alors le colibri.
Cette fable amérindienne popularisée par le gourou de la décroissance Pierre Rabhi explique non seulement pourquoi les actions du quotidien peuvent contribuer à sauver la planète. Mais traduit aussi la nouvelle identité du groupe de Boris Gronemberger, River into Lake (soit «les petits ruisseaux font les grandes rivières»).

«Ce nouveau nom renvoie à ma vie à moi comme au monde. Je suis sensible à tout ce qui se passe. Tant du point de vue de l’écologie que du social. Plutôt que d’attendre que les politiques agissent, chacun doit faire ce qu’il peut», explique l’ex-V. O. Qui se dit plutôt «pessimiste» face à l’urgence. «Pour l’humanité et les espèces vivantes, oui. La planète, elle s’en remettra. Tant pis si on disparaît. Mais j’espère que les gens vont se réveiller».
Pour l’humanité et les espèces vivantes, je suis pessimiste. La planète, elle s’en remettra. Tant pis si on disparaît. Mais j’espère que les gens vont se réveiller
Par contre, on peut dire qu'il n'y avait pas vraiment le feu au lac pour Boris Gronemberger: il émerge d'une hibernation de... 7 ans. On l'avait laissé en 2012 avec le dernier disque de V.O., le splendide « On Rapids ». Depuis, le moustachu Schaerbeekois a parcouru l'Europe à la batterie des Girls in Hawaii, a composé pour une compagnie de danse, a créé la musique du docu «Ceux qui restent». Mais où restait-il dans tout ça? «J'ai regardé derrière moi. Les Girls, c'est une grosse machine qui demande beaucoup de disponibilité. Je ne voulais pas repartir 2 ans et repousser d'autant mon prochain disque: je voulais du temps pour moi».
Pour remettre les pendules à l’heure, V.O. s’est évanoui dans l’histoire musicale comme il restait bloqué dans les limbes d’internet lorsqu’on le recherchait dans Google. «On a tenté de mettre des mots sur ces 2 lettres. Ça revenait comme une blague». Mais sans plus de résultat que dans les moteurs de recherche. «Alors “River into Lake” s’est imposé. Avec sa signification écolo. Et aussi en hommage à un album de Raymondo, groupe où j’ai joué».

Le courant qui a emporté V.O. a aussi noyé la guitare de Boris. «Je n’en pouvais plus de composer à la guitare. J’avais besoin d’autre chose. Un truc plus électronique, plus pop. Et je voulais qu’on danse». On entend donc plus de synthé sur ce disque. Mais la mélancolie, l’orchestration baroque, les cuivres, les cordes et le chant hanté restent la marque de fabrique du groupe, qui embarque toujours Aurélie Muller, Cédric Castus, Frédéric Renaux, Ludovic Bouteligier et Franck Baya. «On se comprend sans se parler, c’est confortable». Le «storytelling» des morceaux surtout, cette progression typique de Gronemberger, n’a pas pris le large. «Pour moi, le texte, c’est le décor. Le principal, c’est la musique qui le raconte». On ne se refait pas. «Pif paf pouf, couplet-refrain, couplet-refrain et ciao, c’est pas possible».
Pour moi, le texte, c’est le décor. Le principal, c’est la musique qui le raconte. Pif paf pouf, couplet-refrain, couplet-refrain et ciao, c’est pas possible.
Les clips de Julien Bechara, très cinématographiques, épousent bien cette conception de la chanson. Dans une version luxembourgeoise de «Max et les Maximonstres» tournée dans la région natale de Boris à Bouillon, le rockeur se balade en forêt sous les traits d’un nounours rose. «Ces incantations, c’est une manière de préserver l’innocence: elle permet d’entreprendre sans avoir peur. Comme les enfants, ce dont j’ai pris conscience en devenant papa». Et ainsi laisser sortir la bête, «thème du disque», comme sur la pochette de «Let the Beast Out».
Sur «Devil’s Hand», magistral climax du disque, le compositeur «parle autant des alters qui manifestent et se font matraquer que des gilets jaunes ou des migrants». Bref, ceux qui se noient dans l’océan de malheur de 2019. Pas encore assez pour réveiller la bête en l’auditeur? Pessimiste incorrigible, Boris Gronemberger en situe le clip, ouateux coma dystopique, dans un contexte d’entraînement à... la guerre nucléaire.