À Molenbeek, on carotte les roches préhistoriques pour chauffer les logements du futur: le projet GeoCamb veut savoir si la géothermie peut climatiser Bruxelles

Une bourdonnante carotteuse fore le sous-sol molenbeekois pour en remonter des roches de plus de 450 millions d’années. Les géologues du projet GeoCamb en testent les propriétés caloriporteuses. Ces pierres deviendront-elles les radiateurs de Bruxelles grâce à la géothermie ?

Julien Rensonnet

Il y a plus de 500 millions d’années, Bruxelles et la Belgique se trouvaient dans l’hémisphère sud. Le monde était "récent". Suite aux collisions entre continents, des chaînes de montagnes se sont formées, les terres se sont disloquées et déplacées. Et aujourd’hui, des roches jadis entre Pôle Sud et Tropique du Capricorne forment le socle de… l’avenue Mahatma Gandhi, à Molenbeek. S’y trouvent 5 blocs d’appartements que le Logement Molenbeekois veut rénover. Et chauffer avec les techniques les plus contemporaines.

D’où ce détour par la préhistoire la plus éloignée. Car l’une des options pour climatiser ces barres pourrait bien être la géothermie. La massive et bruyante foreuse plantée au pied de la tour nord creuse donc entre 100 et 150m de profondeur. Elle en extrait ces fameuses roches datant du Cambrien. Elles appartiennent au massif dit "Londres-Brabant". Et s’allongent en carottes ardoise dans une petite cabine de chantier hébergeant les scientifiques du projet GeoCamb. Camille Baudinet, géologue au service géologique de Belgique de l’Institut royal des Sciences Naturelles, y pointe Molenbeek sur une coupe du sous-sol bruxellois et brabançon. "Notre cible, c’est le socle Paléozoïque". Il s’agit d’une roche de siltite, grès et quartzite remontant à 450 millions d’années. "Cette couche, on la retrouve du nord de la Wallonie jusqu’à Londres. Elle se situe sous des couches plus récentes et plus meubles, de 0 à 70 millions d’années".

 Au pied des tours Gandhi du Logement Molenbeekois, cette énorme foreuse perce le sous-sol à plus de 100m de profondeur pour en extraire des échantillons de roches millénaires.
Au pied des tours Gandhi du Logement Molenbeekois, cette énorme foreuse perce le sous-sol à plus de 100m de profondeur pour en extraire des échantillons de roches millénaires. ©ÉdA – Julien Rensonnet
 Ces cartes montrent la région que le projet GeoCamb tente d’analyser. En haut à gauche, le massif cambrien dit Londres-Brabant. En haut à droite, la coupe de Bruxelles avec en gris, le socle qui intéresse les scientifiques de GeoCamb. En bas à droite la situation de Molenbeek dans le massif.
Ces cartes montrent la région que le projet GeoCamb tente d’analyser. En haut à gauche, le massif cambrien dit Londres-Brabant. En haut à droite, la coupe de Bruxelles avec en gris, le socle qui intéresse les scientifiques de GeoCamb. En bas à droite la situation de Molenbeek dans le massif. ©ÉdA – Julien Rensonnet
 Camille Baudinet, géologue au service géologique de Belgique.
Camille Baudinet, géologue au service géologique de Belgique. ©ÉdA – Julien Rensonnet

L’ambition du projet GeoCamb, c’est de cartographier le potentiel géothermique des sous-sols dans Bruxelles et ses environs. D’autres forages de recherches ont été menés aux abattoirs et au Westland à Anderlecht, à la Gare Maritime à Tour & Taxis, dans le quartier du Globe à Uccle ou encore sur le site d’UCB Pharma à Braine l’Alleud. "La géothermie, c’est utiliser la chaleur naturelle du sol pour alimenter un bâtiment en chauffage et refroidissement. Nous opérons donc le carottage de 3m en 3m pour étudier la conductivité thermique des roches", résume Camille Baudinet. Chaque carotte est marquée des mètres d’où elle est remontée. Et un sens lui est donné grâce à des flèches jaunes sur son cylindre. Ces données sont capitales pour optimiser au mieux le système géothermique qui pourrait un jour chauffer et refroidir les centaines d’appartements de l’avenue Gandhi.

Laser et scanner

"Au laboratoire, nous scannerons chaque échantillon". La colonne de pierre est coupée en deux sur sa longueur, puis mise à l’épreuve du scanner de conductivité thermique. "D’abord à température ambiante. Ensuite, un petit lazer chauffe la matière et un second détecteur mesure la diffusion de la chaleur. Plus la différence de température est élevée entre les deux mesures, meilleure est la conductivité", vulgarise Yves Vanbrabant, lui aussi géologue au service géologique de Belgique. Les scientifiques ont ainsi établi que les échantillons remontés du sous-sol des abattoirs présentent "une excellente conductivité".

 Les carottes de roche du socle Paléozoïque sont annotées de 3m en 3m. Leur sens aussi est indiqué. Elles seront analysées en laboratoire via scanner thermique.
Les carottes de roche du socle Paléozoïque sont annotées de 3m en 3m. Leur sens aussi est indiqué. Elles seront analysées en laboratoire via scanner thermique. ©ÉdA – Julien Rensonnet
 Yves Vanbrabant, géologue au service géologique de Belgique.
Yves Vanbrabant, géologue au service géologique de Belgique. ©ÉdA – Julien Rensonnet

En fonction des propriétés des roches, les différents acteurs réunis sur le site Gandhi pourraient opter pour un système géothermique "ouvert" ou "fermé" (lire cadrée). Ce qui dépend de la conductivité thermique des pierres, mais aussi des configurations des bâtiments, leur taille, l’envergure du site, l’accessibilité, la circulation et les volumes de l’eau souterraine… Et vu leur coût, le nombre de forages nécessaires, en sachant qu’un système nécessite toujours deux puits: l’un pour "extraire la chaleur", l’autre pour "réinjecter" dans le sol l’eau ou l’air dont les calories ont été pompées.

3 degrés tous les 100m

"La température du sous-sol est plus ou moins stable jusqu’à 100m de profondeur, soit 10 degrés", échelonne Yves Vanbrabant. "Ensuite, elle grimpe de 30 degrés par km". Ainsi, le rendement de la prise calorifique gagne 3 degrés tous les 100m. Cette donnée n’est pas anodine quand il s’agit de concevoir la clim d’une tour de logements sociaux. "Nos forages et nos mesures permettront ainsi d’optimiser le design d’un potentiel système géothermique" en collaboration avec le Centre Scientifique et Technique de la Construction. Dans le cas du circuit ouvert, la réinjection de l’eau vers les profondeurs ne se fait pas n’importe comment: "On ne peut pas refroidir la nappe en 5 ans, il faut voir comment l’eau y circule". D’où l’importance de cette étude de faisabilité.

 La carotteuse multiplie les échantillons. Elle fore à plus de 100m de profondeur.
La carotteuse multiplie les échantillons. Elle fore à plus de 100m de profondeur. ©ÉdA – Julien Rensonnet

En face du stade du Sippelberg, le vacarme a cessé. Les ouvriers extraient les tubes métalliques de leur cheminée inondée et les empilent comme des billes de chemin de fer. La tête de forage est usée: il faut la remplacer. Elle ne ressemble pas du tout aux mèches que vous utilisez pour percer vos murs. Il s’agit d’un épais anneau gris clair et crénelé, à la surface greffée de petites zones abrasives de diamant industriel, matériau le plus dur au monde. "Les couches supérieures plus meubles sont percées par broyage", simplifie Yves Vanbrabant. "Mais nous ne pouvons pas réduire en poudre le socle Paléozoïque que nous étudions. Pour trancher les segments que nous prélevons, l’anneau se resserre sur la roche et agit par torsion". La carotte est ensuite remontée par un second tube glissé à l’intérieur du tube foreur.

Le dispositif d’extraction a été développé par l’industrie pétrolière. Ironiquement, c’est désormais pour se passer d’énergie fossile qu’il est déployé à Molenbeek.

 Le carottage se fait grâce à une tête de forage munie de diamants, la matière la plus dure de la planète. La section des roches se réalise par torsion. Ensuite, l’échantillon est remonté dans un second tube.
Le carottage se fait grâce à une tête de forage munie de diamants, la matière la plus dure de la planète. La section des roches se réalise par torsion. Ensuite, l’échantillon est remonté dans un second tube. ©ÉdA – Julien Rensonnet
Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...