Dans le chantier de la tour Brunfaut, miroir d’une rénovation qui puise ses ressources dans Bruxelles (vidéo et photos)

On visite le chantier de la tour Brunfaut à Molenbeek. La restauration de l’immeuble du Logement Molenbeekois, symbole de la porte de Ninove, mise sur une réutilisation des ressources. C’est ce qu’on appelle « l’urban mining », qui considère le bâti comme une ressource. C’est le thème de l’Archiweek 2022. 

Elle se fond presque dans le ciel bleu de l’été indien. Avec sa couverture en miroir, la tour Brunfaut disparaîtrait dans les nimbes molenbeekois si elle n’était flanquée de ses grues de chantier.

"Avec cette couverture en aluminium, on voulait que le bâtiment se fonde dans la ville qui s’y reflète entièrement lorsqu’on l’observe depuis le parc de la porte de Ninove", opine Renaud Van Espen. A229, son bureau d’architectes, a remporté le concours lancé par le Logement molenbeekois pour la rénovation passive de cette éminence du bord de canal. Le contraste avec les tristes façades de béton des années 60 est frappant.

 À gauche, la Tour Brunfaut se mire dans le ciel de 2022. À droite, son look années 60 jusqu’à 2019, avant le chantier.
À gauche, la Tour Brunfaut se mire dans le ciel de 2022. À droite, son look années 60 jusqu’à 2019, avant le chantier. ©ÉdA – Julien Rensonnet

Du bois, du bois, du bois

La rénovation, prévue dès 2014 mais lancée en 2019, se heurtait à un défi de taille: conserver la centaine de logements sociaux de l’ensemble tout en adaptant la tour aux réalités démographiques de 2022: des appartements plus vastes, plus écolos, avec davantage de chambres, des fonctions mutualisées et une "ouverture vers le quartier". Pas simple. Une solution de facilité aurait été de construire une deuxième tour. "Mais ça aurait renforcé le sentiment de densité et d’espaces confinés", pense A229.

+ LIRE AUSSI | Comment la Tour Brunfaut se refait une beauté à Molenbeek : 5 étages de plus pour " redevenir un signal " en bord de canal

Renaud Van Espen, architecte du bureau A229, concepteur de la Tour Brunfaut à Molenbeek.
Renaud Van Espen, architecte du bureau A229, concepteur de la Tour Brunfaut à Molenbeek. ©ÉdA – Julien Rensonnet

Dès lors, le volume a presqu’été doublé. Il passe de 6.500m2 à plus de 10.000m2. De deux manières: en élargissant le socle et en rehaussant la tour de 5 étages. Pour alléger la structure, la rehausse se compose de bois. Tout comme certaines poutres métalliques car le squelette existant n’aurait pas supporté le béton. Les habitants y gagneront en chaleur. " On va ainsi du studio à l’appartement 5 chambres en conservant le nombre initial de logements. Tous seront en contact avec le bois ", pose Renaud Van Espen. 65 des 97 appartement seront dotés de " grandes terrasses patio " autour duquel le volume se déploie en " u ". Une salle polyvalente se logera au rez-de-chaussée avec les commodités d’usage que sont les locaux vélos et poussettes. Un impressionnant balcon partagé s’encastrera aux 3/4 de la hauteur. Budget: 22 millions, selon l’annonce de la SLRB en 2019.

 La majorité des appartements bénéficie d’une terrasse en patio autour de laquelle s’articule un espace en «U». Tous les logements sont en contact avec le bois.
La majorité des appartements bénéficie d’une terrasse en patio autour de laquelle s’articule un espace en «U». Tous les logements sont en contact avec le bois. ©ÉdA – Julien Rensonnet

Du neuf avec du vieux

"Dans les années 80 ou 90, cette tour, on l’aurait démolie", assure Anton Maertens, de chez BC Architects & Studies. "C’est beaucoup plus coûteux et polluant que de conserver la structure actuelle". L’architecte est un spécialiste de "l’urban mining". Soit l’idée de considérer la ville construite comme une mine. Plutôt que de démolir et d’envoyer en décharge, on recycle les matériaux de construction dans des projets contemporains. Avec BC Materials, l’architecte et ses collègues prouvent qu’on peut récupérer des terres de chantier bruxelloises pour en faire des briques neuves. D’où leur rôle de commissaires pour cette Archiweek 2022 consacrée à l’urban mining. "On veut montrer que la ville peut être une ressource. C’est important: la construction est un secteur extrêmement polluant".

 Les lourdes structures métalliques d’origine ont été remplacées par le bois, ce qui allège la Tour Brunfaut et permet sa rehausse de 5 étages. Qui disposera d’un vaste balcon partagé situé 4 niveaux sous la toiture.
Les lourdes structures métalliques d’origine ont été remplacées par le bois, ce qui allège la Tour Brunfaut et permet sa rehausse de 5 étages. Qui disposera d’un vaste balcon partagé situé 4 niveaux sous la toiture. ©ÉdA – Julien Rensonnet
Anton Maertens, architecte chez BC, spécialiste bruxellois du réemploi en architecture.
Anton Maertens, architecte chez BC, spécialiste bruxellois du réemploi en architecture. ©ÉdA – Julien Rensonnet

Anton Maertens distingue trois voies dans l’urban mining. Le "géosourcing" d’abord, qui peut compter sur les 2 millions de tonnes de terre extraites chaque année des sous-sols bruxellois. Le "biosourcing" ensuite, qui miserait sur le bois local, de Soignes notamment. Et l’"urban sourcing" enfin, qui puise ses ressources dans les stocks des immeubles déjà érigés. "Tout ce patrimoine de pierres et de briques qui existe à Bruxelles, ça serait beaucoup mieux de le réutiliser plutôt que de le gaspiller", plaide ce passionné. "Les briques cuites sont très énergivores. Notre bloc cru consomme 90% d’émissions de CO2 en moins". Reste le problème des normes qui, souvent, empêche la réutilisation. "Un gros gaspillage", se désole le pro. "C’est pour ça que des tonnes de briques se retrouvent pilées pour les terrains de tennis". Et qu’on mord sur l’environnement pour en produire des neuves.

+ LIRE AUSSI | BC materials, briquettes de Bruxelles : des matériaux crus avec les terres de chantier bruxelloises

 Sur la toiture de la Tour Brunfaut, la vue est époustouflante. Elle sera dotée d’un espace partager comprenant un potager et une agora. Pour flâner le nez dans les nuages.
Sur la toiture de la Tour Brunfaut, la vue est époustouflante. Elle sera dotée d’un espace partager comprenant un potager et une agora. Pour flâner le nez dans les nuages. ©ÉdA – Julien Rensonnet
Pascal Smet: «Il faut encore construire à Bruxelles, mais en épargnant le CO2».
Pascal Smet: «Il faut encore construire à Bruxelles, mais en épargnant le CO2». ©ÉdA – Julien Rensonnet

Au sommet de la tour Brunfaut, le regard perdu dans les teintes vermillon, anthracite et ocre typiques de Bruxelles, Pascal Smet se rend compte du potentiel infini que représente l’urban mining. "Il faut continuer à construire à Bruxelles", scande le Secrétaire d’État à l’Urbanisme (one.brussels). "Mais en épargnant le CO2 en réutilisant les matériaux et pas uniquement en les récupérant. D’autant plus avec l’explosion des prix de l’énergie. Ingénieurs et promoteurs doivent s’en rendre compte". Au-dessus de sa structure de bois, la nouvelle terrasse (on dit "rooftop" désormais) ouverte aux habitants "servira à la flânerie, avec un petit espace potager et un gradin", se réjouit Renaud Van Espen. La fête des voisins risque d’y valoir le détour: la vue à 360° y époustoufle et dépasse de loin les limites de Molenbeek et de Bruxelles.

+ PHOTOS | L’ex-tour IBM ressuscite sur le boulevard Saint-Lazare : elle abritera un resto panoramique

+ PHOTOS | Dans le chantier de la Tour Multi, vue à 360° sur Bruxelles : " Concevoir des bâtiments en recyclant, c’est le futur "

Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...