Gauchistes et islamistes au destin commun?
Qu’ont les partis de gauche et les islamistes en commun? Pas grand-chose sauf si l’un et l’autre peuvent se soutenir pour faire progresser leurs idées. Rencontre avec l’auteur Mohamed Sifaoui
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Publié le 04-05-2021 à 06h00
Au lendemain des attentats de paris, le 13 novembre 2015, la commune de Molenbeek devenait le centre de toutes les attentions. Abdeslam, Abaaoud et consorts étaient passés au travers des radars et c’est à proximité du canal de Bruxelles que les attentats les plus sanglants de ces dernières années avaient été orchestrés. Derrière les auteurs, c’est tout un mécanisme de radicalisation et d’islamisation d’une partie des jeunes musulmans du quartier qui avait été mis en évidence. Le problème était vaste, les responsabilités étaient multiples…
Dans son dernier livre («les fossoyeurs de la République»), Mohamed Sifaoui, journaliste et auteur franco-algérien, consacre un chapitre au «laboratoire bruxellois». Il attire l’attention ainsi sur les complaisances dont ont bénéficié les islamistes en région bruxelloise. Cette bienveillance politique et complice, il la qualifie d’«islamo-gauchisme». Le concept n’est pas récent car il était déjà évoqué dans les années 90 par le sociologue Pierre-André Taguieff en 2002. Mais, en France, l’islamo-gauchisme est devenu un débat tendu où droite et gauche (extrêmes compris) s’écharpent sur les connivences des milieux politique, médiatique et universitaire avec l’islamisme.
Et en Belgique? Le débat est moins visible mais la problématique n'est pas évacuée pour autant. Sur le cas Molenbeek, Sifaoui cible la politique mise en place par l'ancien bourgmestre Philippe Moureaux. «Il avait entamé, depuis son élection, en 1992 une démarche clientéliste en direction des 'musulmans', qui, incontestablement, favorisait le communautarisme.»
Séduire un électorat islamique
Selon, son analyse l'islamo-gauchisme constitue une menace pour nos démocraties et nos libertés. «L'islamo-gauchisme, c'est une convergence opérationnelle entre des milieux de gauche et des milieux islamistes ». L'un et l'autre sont interdépendants même s'ils poursuivent des objectifs différents. «Les milieux de gauche estiment qu'aujourd'hui, le prolétariat est représenté par des gens issus de l'immigration, et donc majoritairement musulman. Et les islamistes considèrent que leur meilleur soutien en Europe, ce sont les gauchistes pour leur permettre de créer une situation quasi chaotique.»
Sifaoui souligne que l'islamisme dispose «d'alliés» au sein de nos structures démocratiques. Dans le volet belge de son livre, l'auteur n'épargne pas le PS, le PTB mais aussi Écolo. « La plupart des partis dits 'de gauche'suivent une politique faite d'aveuglement à l'égard de l'islam politique. Les écologistes sont en pleine dérive.»
Faut-il pour autant généraliser son analyse à l'ensemble d'une classe politique? Non, mais Sifaoui met en garde. « Il y a un phénomène de contagiosité. Quand une société est dévitalisée intellectuellement et qu'elle ne sait plus défendre ses principes fondamentaux , on peut avoir une minorité qui vient avec des idées complètement farfelues et qui prend le dessus sur la majorité. »
C’est au travers de débats houleux que les prises de position se révèlent. Pour Sifaoui, le port du voile est un enjeu islamiste et non pas islamique.
«Islamophobie», un mot fourre-tout?
De même, il relève que les radicaux islamistes bénéficient d'une bienveillance assez large au nom de la lutte contre l'islamophobie. «Islamophobie, sur un plan sémantique, c'est un mot qui ne veut rien dire. Les actes anti-musulmans sont définis par le racisme en raison d'une croyance. Mais les dessins de Charlie Hebdo qui relève de la libre critique des dogmes et des religions sont aussi jugés comme un acte islamophobe. Par exemple, il serait absurde de faire jeûner des enfants: l'exprimer, ça pourrait relever de l'islamophobie. L'islamophobie est devenu un mot-valise qui permet de disqualifier la personne qui parle.»
Le débat sur l'ensemble de ces questions est plus largement abordé en France. Où cela est plus gênant, c'est qu'il est repris par l'extrême droite. «L'extrême droite, devant la faillite des partis traditionnels a souvent préempté des mots. Regardez, en France, l'extrême de droite de Marine Le Pen a préempté le terme 'laïcité'. Et beaucoup pensent que la laïcité est une valeur de l'extrême droite alors que c'est une valeur de gauche ».
Pourquoi ce débat est-il si peu présent en Belgique? « En France, les débats sont les plus animés mais c'est le pays où on crève l'abcès le plus vite. Les pays où c'est prétendument calme, c'est parce que rien n'est fait… »
Mohamed Sifaoui, «Les fossoyeurs de la République» (Éditions de l’Observatoire)