Le roi invite Macron à Molenbeek, dans LaVallée des merveilles créative: on visite avant eux
Le roi Philippe invite Macron à Molenbeek. LaVallée, centre de coworking créatif de la SMart, hébergera la rencontre. Pourquoi ce hotspot d’outre-canal se retrouve-t-il à l’agenda d’une visite d’état? On visite et on tente de comprendre avec ses locataires en jeans et baskets.
Publié le 14-11-2018 à 13h44
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«Les toilettes ont été un peu massacrées pendant la dernière expo street-art. Alors on les repeint». Un bleu pétrole efface donc peu à peu les épaisses signatures indélébiles. «Mais bon, à part ça, c’est tout. On a l’habitude d’aménager l’espace en trois jours: on fait des fêtes ici, des expos, des événements...».

Pierre Pevée, manager de LaVallée, semble cool dans le canapé de coin qui meuble le bar du centre de coworking molenbeekois de la SMart. La double visite d'état prévue mardi 20 novembre dans ces 6000m2 réservés aux «métiers créatifs» ne lui arrache même pas un froncement de sourcils. Pourtant, le roi Philippe et la reine Mathilde y débarqueront avec le Président français Emmanuel Macron et sa femme Brigitte. Un choix du Palais, arrêté après une première venue en octobre. «J'adore ce lieu!», aurait alors lâché notre souverain. D'où l'idée d'y emmener son invité hexagonal dont on sait qu'il aime l'entreprenariat, social ou pas. Voir les limousines blindées se garer sous la fresque street-art du duo maison Hell'O, qui colore la cour de cette ancienne blanchisserie industrielle, est pour le taulier «une reconnaissance pour un projet encore jeune».


La première pierre de LaVallée est posée il y a 3 ans seulement. Depuis, le «hub» s’est drapé d’une aura tendance, devenant hotspot branché de la fête et de la création «outre-canal»: 150 à 200 événements s’y tiennent par an. Son nom est emprunté au toponyme de la rue molenbeekoise qui l’abrite, à deux pas de la Petite Ceinture. Sous son immense cheminée de briques, LaVallée ouvre ses bureaux, ateliers et salles à quelque 150 occupants permanents. «On affiche une belle mixité», déroule Pevée. «Designers, architectes, sculpteurs, céramistes, paysagistes, producteurs vidéo, curateurs d’expos, graveurs, stylistes, peintres, street-artists, artisans du bois ou du métal...»
Cloisons pixelisées aux post-it
Tout ce petit monde vit côte à côte, dans un bric-à-brac au désordre entretenu. On peint dans un coin et on vectorise de l'autre. Des toiles sous film bulle se dressent contre les buffets de récup, des maquettes d'architectes décorent des tables de travail sur tréteaux où s'entassent des cartes de visite sérigraphiées. Dress code: jeans, baskets, robes chinées et Mac. «99% des locataires ont signé un CDI de mise à disposition d'espace. On peut se le permettre vu notre bail de 27 ans. Ces entrepreneurs ont une vision à long terme. On les héberge le temps de se pérenniser», précise Pierre Pevée. Et quand il a appris à battre des ailes, le créatif s'envole. Comme la designeuse de papier peint Alexia de Ville, qui quittera le nid en janvier après 7 ans de couvée dans des bureaux SMart.


On franchit des espaces où les visseuses vrombissent dans des murs de MDF juste posés. LaVallée les réserve à l'événementiel. «On financera l'artistique en louant ces salles aux entreprises qui ont les moyens de payer», prévoit le boss. En haut d'un colimaçon de métal s'ouvre un vaste hall subdivisé de cloisons pixelisées aux post-it, entre lesquels s'épinglent des esquisses toutes fraîches. Des dessinateurs voisinent un créateur de luminaires qui carbure à la Zinnebir. Nicolas Brevers aurait bien aimé assister à la visite présidentielle mais il sera sur un salon pour représenter Gobo Lights, la marque de lampes tubulaires géométriques qu'il a créée.


Au fond, la température grimpe à l’entrée d’un box étanche aux murs épais. «À la sortie de La Cambre, un microcrédit de la SMart à taux quasi nul nous a permis d’acheter ce four à céramique. Moi seule, je n’aurais pas pu me l’offrir alors on s’y est mise à quatre». En échange, la céramiste Charlotte Gigan, 29 ans, mutualise l’équipement. Pour rembourser son prix de 4000€, elle le loue à ses voisins d’atelier. «Mais j’offre aussi des workshops, des animations pour les jeunes du quartier...»
Coca bio allemand
C’est ça, la philosophie de LaVallée, directement héritée des gènes de la SMart: la mutualisation à destination des travailleurs autonomes. D’espaces et d’administratif, mais aussi de compétences. «Avec LaVallée, c’est toute une microéconomie qui s’est enclenchée», assure Pierre Pevée. «C’est pour ça qu’on évite l’hyperspécialisation du centre: une boîte de management de jazz va faire appel au graphiste pour illustrer une pochette et un avocat en droit d’auteur leur donnera bientôt ses conseils». En plus du café ou du coca bio allemand, les occupants de LaVallée échangent aussi carnets d’adresses et expertises professionnelles. Bref, il ne faut jamais aller bien loin pour dénicher le DJ qui mixera aux after-works dans la cour.

Évidemment, certains haussent les épaules à l’idée de voir débarquer le Président de la «start-up nation» bleu-blanc-rouge dans leurs locaux doucement anars, où la flexibilité et l’indépendance s’appuient sur le collectif pour s’assurer de remplir les frigos. «Le roi ou Macron, ce sont des personnalités clivantes. On a eu des remarques: tout le monde n’est pas d’accord avec leur politique», concède Pierre Pevée. «On ne peut pas avoir de consensus global mais personne n’est réellement contre». Charlotte sourit en coin. Elle ne gravera pas la date dans un de ses carreaux de céramique.
