Festival Alimenterre: «Redonner sa vraie place à l’agriculteur»
Au programme du 12e Festival Alimenterre, le docu «Sur le champ» vient réhabiliterla figure du paysan. Avant que ne soit revalorisé son statut?
Publié le 07-10-2020 à 11h28
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Il ne faut pas confondre films alimentaires et Festival Alimenterre: les premiers nourrissent essentiellement Christian Clavier et Thierry Lhermitte quand le second, dont la 12e édition débute aujourd'hui, vient proposer, essentiellement par la voie du documentaire, des solutions pour mieux nourrir la Terre de demain. Alors que la crise sanitaire a fait bouger les lignes et poussé dans le dos la consommation locale, Sur le champ, l'un des films à l'affiche cette année au Kinograph, nouveau lieu du festival aux anciennes casernes d'Ixelles, pose frontalement la question de la juste rémunération de l'agriculteur. Et, en corollaire, celle de son statut. Nous avons rencontré Nicolas Bier, son réalisateur.
Nicolas, vous dressez d’abord, dans votre film, un panorama peu reluisant de l’industrie agro-alimentaire: ce n’est pas lassant, quand on est mu par des convictions plus citoyennes, de toujours taper sur le même clou?
Un peu, sans doute, mais c'est aussi parce que notre film propose une vision globale du problème, qui nous oblige à faire ce constat. L'idée était de proposer un autre modèle, presque un paradigme nouveau. Il y avait deux types de films sur le sujet, jusqu'à présent: d'un côté, des films qui faisaient le procès de l'agro-business, de l'autre des films comme Demain, qui proposent des solutions mais qui, sans vouloir critiquer, ne considéraient pas le problème du point de vue de l'agriculteur.
Il n’empêche: quand on voit la Commission européenne valider la mise sur le marché d’un soja Monsanto, ça ne vous décourage pas?
Oui… et non. C’est le fruit d’un lobbying incessant, et la réponse politique est, en effet, extrêmement décevante. Mais ça fait un moment que les agriculteurs sont mobilisés pour une réforme de la PAC. Or, rien ne change. Par contre, et nous le voyons dans le film, ce qui change, ce sont les agriculteurs eux-mêmes: l’écrasante majorité de la nouvelle génération entend faire évoluer son statut. L’ancienne génération a été précarisée par un système qui l’a poussée à l’endettement et une politique qui a fait d’eux des «assistés» dépendant des subsides européens. Il est temps de rendre sa vraie place à l’agriculteur, qui doit (re)devenir un travailleur rendant un service public et être reconnu comme un corps de métier qui crée de la valeur. Bref, qu’on cesse de considérer qu’il est subsidié, mais rémunéré par une communauté à laquelle il rend service.
Et cela passe aussi par une union sacrée, qui implique de ne pas condamner les «anciens», mais de les inclure dans ce nouveau mouvement?
Oui, surtout que cette ancienne génération est aujourd’hui consciente de la nocivité des dérives de l’agro-business. Il ne faut pas la lâcher, mais au contraire soutenir, via des coopératives par exemple, la transition souhaitée par certains, qui dépendent entièrement, aujourd’hui, de la grande distribution, et devront trouver de nouveaux marchés. La convergence des luttes est donc possible, ce qui est une chose rare et très compliquée à atteindre dans la plupart des autres professions. À condition de changer de vision, de voir plus court, plus petit, plus local, on peut changer notre modèle.
Le salut viendra donc de cette union entre anciens et nouveaux?
Oui, d’autant que les nouveaux modes de production sont un mélange du savoir-faire des anciens et de nos connaissances scientifiques d’aujourd’hui: on sait, désormais, de quoi a besoin une plante – d’azote, de sels minéraux, de soleil, d’eau. Et on sait comment fonctionnent tous ces cycles.
Reste à résoudre le problème du prix des marchandises issues de ces nouveaux marchés: on a l’impression qu’elles restent réservées à ceux qui en ont les moyens…
C’est une critique qu’on a déjà entendue au sujet de notre film: nous n’abordons pas le sujet… parce que nous estimons qu’il n’est pas de la responsabilité des agriculteurs. Le problème n’est pas le prix d’une nourriture locale et/ou bio. Mais les prix bas pratiqués dans la grande distribution, qui constituent un mensonge. Il faut prendre le problème dans le sens inverse, et faire en sorte que les ménages précarisés, qui vont vers ces bas prix pour de légitimes raisons économiques, aient demain les moyens de manger plus sain, et plus local. Et la réponse ne peut, à cet endroit, être que politique. Une société qui appauvrit nos paysans pour satisfaire aux diktats du marché n’est pas une société vertueuse.

Un nouveau lieu pour le festival
Plus que jamais, au sortir d'une crise sanitaire mondiale, le Festival Alimenterre est un rendez-vous incontournable, venu évoquer les désordres agricoles et alimentaires, et proposer des alternatives pour relever ces défis. L'édition 2020 – la 12e, déjà – est donc très attendue, et marquera un léger tournant dans sa programmation.
En effet, plusieurs films proposés cette année ont davantage d'ambition cinématographique que citoyenne, à l'instar du Nous la mangerons, c'est la moindre des choses d'Elsa Maury, dans lequel la caméra suit une éleveuse de moutons qui… mange aussi ses bêtes. Organisé du 7 au 11octobre à Bruxelles, et du 13 au 29octobre à Wallonie à la faveur de quelques « décrochages », le Festival déménage dans un nouveau lieu à Bruxelles: le See U, à Ixelles. Où, promet-on, on pourra profiter de l'événement dans le respect le plus strict des normes sanitaires. Mi.D.