Orphelinat, hôtel avec vue et canards de race: une expo vous promène en archives dans l’histoire de la chaussée d’Alsemberg (photos et vidéo)

La chaussée d’Alsemberg relie Saint-Gilles à Uccle via Forest depuis le XVIIIe siècle. Les cercles d’histoire de ces trois communes s’associent pour une expo inédite. De châteaux en moulins, d’estaminets en pensionnats, elle retrace le parcours de cette voie de 10km vers le sud de Bruxelles. Vous les franchirez en tram ou à vol d’oiseau de race.

Une expo retrace l'histoire de la chaussée d'Alsemberg, voirie historique reliant Saint-Gilles, Forest et Uccle et pavée depuis 1726.
Une expo retrace l'histoire de la chaussée d'Alsemberg, voirie historique reliant Saint-Gilles, Forest et Uccle et pavée depuis 1726. ©EdA - Julien Rensonnet

”Quand j’étais gamin, quand le passage à niveau était fermé, on râlait. À l’époque, le tram s’arrêtait à proximité du chemin de fer à la gare de Calvoet : il fallait changer de véhicule”. Marcel Erken, du Cercle d’Histoire d’Uccle, se souvient bien des lignes “9 rouge” et “9 barré” qui desservaient le bas d’Uccle quand il avait 5 ans. “On montait sur la passerelle qui franchissait les rails du train et on s’imprégnait de vapeur. Il semble qu’Hergé s’est inspiré de cette même passerelle pour un dessin de l’Île Noire”.

Une expo retrace l'histoire de la chaussée d'Alsemberg, voirie historique reliant Saint-Gilles, Forest et Uccle et pavée depuis 1726.
La passerelle du chemin de fer à la gare d'Uccle Calvoet aurait inspiré Hergé. ©EdA - Julien Rensonnet
Une expo retrace l'histoire de la chaussée d'Alsemberg, voirie historique reliant Saint-Gilles, Forest et Uccle et pavée depuis 1726.
Patrick Debouverie (Cercle d'Histoire de Saint-Gilles), Annie Richard (Cercle d'Histoire de Forest) et Marcel Erken (Cercle d'Histoire d'Uccle) ont collaboré pour cette expo au Centr'al sur la chaussée d'Alsemberg. ©EdA - Julien Rensonnet

Le parcours alambiqué du tram 9, transitant de l’hôpital Brugmann à Jette en passant par la Bourse, Uccle Calvoet donc, et le cimetière de Saint-Gilles, est évoqué dans l’expo nostalgique ouverte jusqu’au dimanche 26 mars au Centr’al, place Albert à Forest. Son point de vue est original : la chaussée d’Alsemberg. Et comme cette antique voirie relie Saint-Gilles, Forest et Uccle, les historiens amateurs des 3 communes s’y allient. “C’est une première”, se félicite Annie Richard, présidente du Cercle d’Histoire de Forest, à l’initiative. “Nos communes sont tellement liées”. Au figuré, mais aussi au propre via cette chaussée.

”Une vieille chaussée”

”C’est une vieille chaussée. Comme la chaussée de Mons ou de Helmet”, compare Annie Richard. Relayée par Patrick Debouverie, son homologue de Saint-Gilles. “Il y avait trois chaussées structurantes : Alsemberg donc, mais aussi celles de Waterloo et de Forest”. Ainsi, une vue de la commune lorsqu’elle s’appelait encore “Obbrussel” nous montre la porte de Hal et la seconde enceinte de Bruxelles depuis un estaminet où le droit de passage devait être acquitté, aux alentours de l’actuelle Barrière. Annie Richard apprécie : “on était tenu d’y maintenir la lumière grâce à des réservoirs de suif. On voit que la voie n’est pas encore pavée. Avant qu’on soit sillonnées par les autoroutes et grands axes, c’était d’anciens sentiers mal foutus. La chaussée d’Alsemberg elle-même est pavée en 1726. Et à partir de là, on amène du commerce”. Après Calvoet en 1730, la voie atteint Alsemberg en 1744. De nombreux péages sont exigés sur son parcours.

Une expo retrace l'histoire de la chaussée d'Alsemberg, voirie historique reliant Saint-Gilles, Forest et Uccle et pavée depuis 1726.
Sur cette vue d'artiste d'avant la moitié du XVIIIe siècle, on observe la porte de Hal depuis Saint-Gilles sur une chaussée d'Alsemberg qui n'est pas encore pavée. ©EdA - Julien Rensonnet

C’est d’ailleurs “la vivacité” de l’axe qui étonne la Forestoise. “Si on la parcourt dans sa longueur, elle recèle d’une grande activité. Des commerces et bistrots y fleurissent de tout temps”. Les documents rassemblés, anciens et contemporains, en témoignent. Emblématique : l’actuel Bar du Matin. Qui fut la brasserie Maton, le bar l’Alcazar et reçut encore “des tas de noms différents”. En face, un des premiers Delhaize à un coin. Et à l’autre, un hôtel plutôt couru, l’hôtel Jadoul, “où les Messieurs Dames endimanchés venaient admirer le paysage” qui balayait Bruxelles jusqu’à Malines. Il s’élevait à l’emplacement du nouveau Centr’al.

Les estaminets de Saint-Gilles en vitrine dans un joli bouquin: "La tradition des brasseries et distilleries de quartier, c’est le circuit court avant l’heure"
Une expo retrace l'histoire de la chaussée d'Alsemberg, voirie historique reliant Saint-Gilles, Forest et Uccle et pavée depuis 1726.
L'ancien hôtel Jadoul et les différentes incarnations de l'actuel Bar du Matin. ©EdA - Julien Rensonnet
Une expo retrace l'histoire de la chaussée d'Alsemberg, voirie historique reliant Saint-Gilles, Forest et Uccle et pavée depuis 1726.
En haut, une carte de l'ancien cimetière sur l'actuelle avenue du Parc. A droite, l'ancien hospice Jourdan. En bas, l'atelier de Jeff Lambeau et la prison à ses débuts. ©EdA - Julien Rensonnet

L’expo nous montre abondamment les transformations du segment de ville entre Barrière et Albert, avec la construction de la prison ou de la place Van Meenen et son massif hôtel de ville. Derrière les jardins de la chaussée d’Alsemberg, on s’invite ainsi dans l’atelier de Jeff Lambeau, rue de Loncin. On jette aussi un œil dans le parc de l’ancien hospice Jourdan, sur l’emplacement duquel s’élève en 2023 la résidence Les Tilleuls. Et on s’étonne de tout cet espace aujourd’hui entièrement bâti. Plus insolite encore : “il y a eu un cimetière sur un terrain que les églises de La Chapelle, des Minimes et de Notre-Dame du Sablon ont acheté en 1784. La Ville l’a tenu jusqu’en 1877”, précise Patrick Debouverie. Ses tombes se logeaient entre la chaussée, l’avenue du Parc et l’avenue des Villas.

Un gros gibier de l’immobilier

Sur le segment forestois, on s’arrête aussi dans la propriété d’Alexandre Bertrand. “C’est un gros propriétaire terrien de la 'corniche' de Forest, sur les avenues du Domaine et Jupiter”, relate Annie Richard. “Il a poussé à la réalisation de nombreux bâtiments. Sa propriété se trouvait du côté des rues Cervantes et Timmermans”. Insolite : l’homme se pique élever des canards, comme en atteste un document du Club de Canard de Forest, commune qui possède d’ailleurs un canard à son nom élevé par la famille Bertrand.

Une expo retrace l'histoire de la chaussée d'Alsemberg, voirie historique reliant Saint-Gilles, Forest et Uccle et pavée depuis 1726.
Alexandre Bertrand a bouleversé les environs du parc de Forest... ainsi que le monde des canards de concours. ©EdA - Julien Rensonnet

En descendant vers Uccle le long des 10km de la chaussée, vous croiserez ensuite un des premiers supermarchés Sarma de Belgique, parmi d’innombrables commerces et petits artisanats. Tout au fond de Calvoet, à la frontière avec la Flandre, on note la brasserie-malterie de La Fontaine, exploitée par la famille Van Haelen à l’emplacement actuel d’une grande surface. À la vue de ces archives, les clichés tombent. “Uccle n’était pas riche. Elle comptait beaucoup d’habitations populaires datant de la révolution industrielle”, pointe Marcel Erken en décrivant les petites maisons basses de la rue des Poussins ou encore une ancienne forge “qui a pu servir à un maréchal-ferrant”. Le contraste est énorme avec les vastes “châteaux des familles nobles du XIVe comme les Uyttenhane, ou bien les châteaux d’industriels puissants. Tous ont disparu aujourd’hui”.

Disparus aussi, la vingtaine de moulins qui alimentaient les fabriques de farine, huile ou papier. “Il en reste deux aujourd’hui”, pointe l’Ucclois. “Celui du Nekergat sur le Gelysbeek et l’autre sur le Linkebeek”. On s’étonne aussi de cette petite cascade devant l’auberge du Vieux Cornet. “Aujourd’hui, l’Ukkelbeek est réduit à rien : il y a eu tellement de captages”. Une petite visite de cette expo vous fera remonter à sa source.

+ "Chaussée d’Alsemberg, une voie, trois communes", jusqu'au dimanche 26 mars 2023 au Centr'al, place Albert à 1190 Forest, gratuit. Semaine et samedi de 15 à 19h, dimanche de 10 à 15h. Visite possible sur rendez-vous pour les écoles.

Une expo retrace l'histoire de la chaussée d'Alsemberg, voirie historique reliant Saint-Gilles, Forest et Uccle et pavée depuis 1726.
Les contrastes ucclois: vastes châteaux médiévaux et modestes maisons de l'ère industrielle. ©EdA - Julien Rensonnet

Un dessin très émouvant

La chaussée d’Alsemberg a longtemps hébergé l’ancien Orphelinat Rationaliste, actuelle école Nos Enfants. “C’est le lieu où sont accueillis les enfants de libres penseurs au décès de leurs parents”, éclaire Paul Van Oye, Secrétaire du Cercle d’Histoire de Forest. “Alors que les catholiques ont la mainmise totale sur l’enseignement belge, un mouvement venu de France y met un terme, avec le soutien du Grand Orient”.

L’établissement de Forest, dont subsistent de nombreux documents, est l’un des premiers témoins de ce mouvement. Il ouvre en 1895 et devient le premier établissement mixte de Belgique. Isabelle Gatti de Gamont, première femme franc maçon de notre pays, en est la 2e directrice. Elle succède à un directeur français.

”Et il y a ce dessin extraordinaire d’un enfant de l’orphelinat. C’est visiblement un grenier. L’auteur y figure des enfants souriants, d’autres tristes. On y voit aussi l’écrasement par un soldat”. Les historiens ne peuvent certifier s’il s’agit d’un témoignage du nazisme ou de la xénophobie qui régnait lors de la guerre d’Espagne. “Mais ce qu’on sait, c’est que les pensionnaires de l’Orphelinat Rationaliste étaient parmi les premières victimes des totalitarismes”.

Une expo retrace l'histoire de la chaussée d'Alsemberg, voirie historique reliant Saint-Gilles, Forest et Uccle et pavée depuis 1726.
C'est attesté: l'ancien Orphelinat Rationaliste, actuelle école Nos Enfants, a contribué à cacher des enfants juifs durant la Seconde Guerre Mondiale. ©EdA - Julien Rensonnet
Vous êtes hors-ligne
Connexion rétablie...