Avant le train, Léopold Ier voguait sur ce canot d’apparat pour ses inspections : des passionnés reconstituent ce “bateau fantôme” à Bruxelles (vidéo)
Il n’existe qu’une seule illustration du canot d’apparat de Léopold Ier. Sur base de cette esquisse conservée au Palais, l’Atelier Marin réplique ce bateau sur lequel naviguèrent nos premiers rois. Vous pouvez visiter le chantier dans le cadre des Journées bruxelloises de l’Eau. Découverte en primeur.
Publié le 17-03-2023 à 12h12 - Mis à jour le 17-03-2023 à 12h29
Le bois est lisse. La symétrie des demi-membrures qui se déploient le long de la quille flatte l’œil. “Il y en a 88”, compte Nicolas Joschko. “C’est du lamellé-collé, des portions de chêne de 5cm sur 5mm d’épaisseur qu’on peut facilement plier grâce aux fibres tendres”. L’homme navigue en capitaine dans le jargon marin. “On a commencé l’assemblage mi-février, avec la varangue puis l’enquillage. Là, c’est un bateau : toutes les pièces structurelles sont en place. Manque le bordé”. Le petit chantier naval du bord de canal attend ses bénévoles au Pôle Nautique Solidaire pour visser les virures.

Le bateau est une réplique patiemment reconstituée du canot d’apparat de Léopold Ier. Nicolas Joschko supervise sa construction à l’Atelier Marin. L’ASBL parie sur le chantier participatif dans son travail social avec des écoliers, des étudiants, des jeunes des quartiers, des patients psychiatriques, d’autres atteints de cancers. Et puis des passionnés. “Je leur explique le maniement des outils. C’est un médium puissant”. Ce n’est pas une première : l’Atelier Marin a déjà réussi le pari un peu fou de faire naviguer une réplique de la Licorne, un navire de guerre de Louis XIV. Le voilier mouille au Bryc, port de plaisance un peu en aval. “On espère l’amener à Versailles mais le projet est postposé à 2025 à cause des JO”.
Bateau fantôme


Plutôt que de tourner en rond, Nicolas Joschko plonge donc dans le sillage du bateau de notre premier souverain. “On n’en connait qu’une seule planche d’illustrations, document conservé au Palais”. Un article dans un magazine spécialisé fait larguer les amarres au passionné. “Travailler sur des bateaux historiques, ça donne une visibilité. Le bois permet aussi d’enseigner des techniques, au contraire de technologies contemporaines comme l’énergie solaire. Et celui-ci, personne n’en connait l’existence à part l’auteur de l’article, un ancien de la marine qui travaille au musée de l’armée, où certains décors du canot sont conservés”. Un vrai bateau fantôme.

Léopold Ier s'en sert pour ses tournées d'inspection, sans quoi il aurait dû monter à cheval puisque le chemin de fer n'existe pas encore.
Pourtant, ce canot affiche un fameux pedigree. “Il sort d’un chantier naval d’Anvers en 1835. Son concepteur, un militaire, avait participé à la construction du canot d’appart de Napoléon”, retrace Nicolas Joschko. “Léopold Ier l’inaugure par un voyage de Willebroek à Anvers. Il s’en sert pour ses tournées d’inspection, sans quoi il aurait dû monter à cheval puisque le chemin de fer n’existe pas encore”. La chaloupe, armée de 14 rameurs pour un équipage total de 17 marins, accueille aussi des chefs d’État. “Le prince Léopold, futur Léopold II, accueille ainsi la reine Victoria d’Angleterre à Anvers en 1856. L’explorateur Adrien de Gerlache y grimpe pour regagner la terre en 1899 depuis le Belgica, quand il accoste à Anvers de retour d’Antarctique”. Le bateau sert jusqu’en 1910. “Albert Ier a probablement navigué dessus pour ses joyeuses entrées. Puis il est démoli en 1911”.
Chêne et lauriers

Le batelier du canal additionne déjà 700 heures de travail pour cette réplique. “Pour l’achever, on devrait atteindre 3.000 ou 3.500 heures mi-2024”. Quelque 150 personnes y mettront la main à la pâte époxy, . Y compris des élèves en ébénisterie de l’Athénée Royal d’Enghien qui travaillent sur les décorations de chêne et lauriers de la virure, l’artisane qui reproduit la figure de proue en bronze et la fonderie wallonne qui travaille sur les fleurons d’étendards et les ornements du dais. Coût estimé à quelques inconnues près : 90.000 euros, financés par les pouvoirs publics, la loterie et des services clubs.

Il peut servir à des fins protocolaires: nous, on est prêts à en faire don à la Nation.
Verra-t-on la royale embarcation saluer les murs du domaine royal depuis le canal ? “C’est l’idée, ne fût-ce que pour vérifier son bon équilibre et tester le maniement des rames. Je pense que c’est un bateau excessivement stable”, prévoit celui qui assemble des maquettes de marine depuis ses 11 ans. “Ensuite, on veut en faire profiter le plus grand nombre. Pourquoi pas en l’exposant dans un musée ou en lui offrant un pavillon flottant comme pour la 'Koningssloep' des Pays-Bas. Les bateaux, ça draine des dizaines de milliers de visiteurs”, assure celui qui s’esquive lors de ses voyages familiaux dès qu’il peut en observer.

Peut-on imaginer une tête couronnée sur cette chaloupe ? “Il peut servir à des fins protocolaires : nous, on est prêts à en faire don à la Nation”. Et si saint Nicolas revenait accoster à Bruxelles à bord de cette royale barcasse ?
+ Le chantier naval du canot d’apparat de Léopold Ier se visite ce 19 mars 2023 (11h-17h) dans le cadre des Journées bruxelloises de l’Eau. Adresse : Pôle Nautique Solidaire, quai des Usines 20 bis (SNUB), à côté du Mabru. D’autres activités sont prévues au Bryc.


