On a vu “Jeter”, l’expo qui fait les poubelles de l’Europe à la Maison de l’Histoire Européenne: on en sort 5 objets emblématiques (photos)

De l’amphore romaine à l’iPhone, empereur de l’obsolescence programmée, la nouvelle expo de la Maison de l’Histoire Européenne montre que le déchet est aussi vieux que le Vieux Continent. “Jeter” est une (courte) expo vertigineuse, émouvante et didactique, où les inventions marquantes voisinent les bricolages et les œuvres d’art. Et où rien n’est à jeter. Pas même murs et mobilier.

L’Avenir a visité “Jeter” avant son ouverture. Pour savoir ce qu’on en pense, lisez au bas de cet article. Mais avant ça, on résume le parcours en 5 objets emblématiques.

Un châle usé… qui devient trésor

De l'amphore romaine à l'iPhone, empereur de l'obsolescence programmée, "Jeter", la nouvelle expo de la Maison de l'Histoire Européenne, montre que le déchet est aussi vieux que le Vieux Continent.
Ce talit retrouvé dans les ruines du synagogue de l'ancienne Bohème témoigne de la destruction totale d'une communauté juive durant la shoah. Mis au rebut, il est devenu un extraordinaire trésor. ©EdA - Julien Rensonnet

On découvre ce tissu au début de l’expo, dans une salle où des déchets sont éclairés comme de vraies œuvres de valeur. “Journalistes, archéologues, sociologues, paparazzis, artistes, nous y racontent en quoi ces objets sont révélateurs”, commente Christine Dupont, curatrice. “Ce talit, châle de prière hébraïque, est complètement usé. Comme la religion juive interdit de le jeter, il a été remisé dans la “gueniza”, l’entrepôt de la synagogue du vieux Brno, dans l’ancienne Bohème. Il en a été exhumé lors de fouilles en République Tchèque, dans les ruines de cette synagogue. Il témoigne en fait de la destruction totale de cette communauté juive durant la shoah. Mis au rebut, ce talit est devenu un extraordinaire trésor”. Dans la même pièce, sur un registre plus frivole, on découvre aussi une bouteille de vodka tirée des poubelles de Kate Moss par deux paparazzis, lancés dans l’insolite projet d’inventorier les poubelles des stars.

La toilette sèche avant l’heure

De l'amphore romaine à l'iPhone, empereur de l'obsolescence programmée, "Jeter", la nouvelle expo de la Maison de l'Histoire Européenne, montre que le déchet est aussi vieux que le Vieux Continent.
Avec cette chaise percée pour récupérer les excréments, le vicaire anglican Henry Moule a lutté contre la chasse d'eau dans le dernier quart du XIXe siècle, qu'il considérait commune une invention du diable. ©EdA - Julien Rensonnet

Étonnant objet, ce siège percé tout de bois verni qui remonte au dernier quart du XIXe siècle. On le doit à un vicaire anglican, Henry Moule, véritable précurseur. “Jusqu’à la fin du XIXe siècle, tout ce qu’on jette en ville se réutilise dans les campagnes. C’est le cas des os pour la gélatine, des déchets organiques pour les fertilisants…”, résume la curatrice. Mais les conditions d’hygiène s’améliorant, on invente… la chasse d’eau. “Moule la considère comme le diable. Parce que la chasse d’eau envoie les excréments directement dans les rivières. D’où une perte de matière organique pour fertiliser les champs”. Son invention est destinée aux particuliers qui souhaitent encore capitaliser sur ce qu’ils laissent derrière eux. Elle aura une fameuse postérité. “Elle entre en effet avec nos préoccupations écologiques les plus actuelles”.

Deux robes en papier, un mur entre elles

De l'amphore romaine à l'iPhone, empereur de l'obsolescence programmée, "Jeter", la nouvelle expo de la Maison de l'Histoire Européenne, montre que le déchet est aussi vieux que le Vieux Continent.
Cette robe colorée très sixties, en papier, comme le filet à provisions, témoignent de l'économie de la débrouille qui régnait en Europe de l'Est dans la seconde moitié du XXe siècle. ©EdA - Julien Rensonnet

Les années 60 sonnent pour l’humanité le départ d’une consommation effrénée où le jetable, vanté par la pub, s’impose en valeur cardinale dans les supermarchés. En témoignent rasoirs, appareils photos jetables ou kits d’aviation, qui s’ils réveillent en nous une certaine nostalgie, sont devenus complètement obsolètes en 2023. Preuve ultime dans les vitrines de l’expo : une robe jetable américaine, pas si éloignée de notre fast fashion actuelle. Mais en vis-à-vis, son équivalent d’Europe de l’Est nous tape dans l’œil avec ses couleurs criardes. “Durant ces années-là, l’économie à l’est poussait aux efforts de récupération et de recyclage, suscitait la débrouillardise”, souligne Christine Dupont. “C’est le cas de cette robe conçue à Prague, dont on vante les possibilités de réparation”. Cette économie du rationnement incitait aussi à ne jamais se séparer de sacs réutilisables, “au cas où on tombait sur une marchandise rare”. S’utilisaient aussi des gobelets télescopiques “qui résonnent avec nos gourdes actuelles”.

Un drapeau qui pousse le bouchon

De l'amphore romaine à l'iPhone, empereur de l'obsolescence programmée, "Jeter", la nouvelle expo de la Maison de l'Histoire Européenne, montre que le déchet est aussi vieux que le Vieux Continent.
C'est peut-être l’œuvre la plus marquante de "Jeter": un drapeau du Zimbabwe, tissé des bouchons plastiques et claviers usagés exportés là-bas depuis l'Europe. ©EdA - Julien Rensonnet

Le parcours de “Jeter” est parsemé d’œuvres d’art qui toutes, dénoncent notre propension à jeter et nous forcent à ouvrir les yeux sur cette gabegie permanente. On y croise par exemple une Venus aux Chiffons de l’Italien Pistoletto qui s’épanche sur des fripes des Petits Riens. Encore plus impressionnant peut-être, ce drapeau du Zimbabwe signé Moffat Takadiwa. “Il est composé de bouchons de plastique, de touches de claviers d’ordinateurs, fournis par des travailleurs de Harare. L’œuvre dénonce la surproduction, mais surtout l’exportation des déchets européens”, pointe la curatrice. Qui continue : “De tout temps, les déchets ont été évacués vers les périphéries, où travaillent et vivent des personnes plus précaires. Des chiffonniers du XIXe siècle aux recycleurs actuels en Afrique subsaharienne. On sait qu’aujourd’hui, le fameux “Fermez le couvercle et n’y pensez plus” attribué à Eugène Poubelle, l’inventeur de l’objet qui porte son nom, ne peut plus fonctionner”.

Le plastique, c’était chic

De l'amphore romaine à l'iPhone, empereur de l'obsolescence programmée, "Jeter", la nouvelle expo de la Maison de l'Histoire Européenne, montre que le déchet est aussi vieux que le Vieux Continent.
Pour produire 20.000 boules de billard en ivoire, il fallait jadis sacrifier 2.000 éléphant. Le plastique est donc vu comme un argument pour sauver l'environnement. ©EdA - Julien Rensonnet

C’en est presqu’un gag : fut un temps où le plastique était vendu comme la solution miracle pour préserver l’environnement. C’est le cas des… boules de billard. Une pub vintage rappelle ainsi que jadis, pour produire 20.000 boules de billard, il fallait sacrifier… 2.000 éléphants. On convient ici de l’avancée. Plus difficile à entendre : l’introduction progressive du sous-produit pétrolier dans les sacs de grande distribution pour remplacer le papier et donc, épargner les arbres. Ou comment acheter un chat dans un sac.

+“Jeter – Histoire d’une crise contemporaine”, expo gratuite à la Maison de l’Histoire Européenne, jusqu’au 14 janvier 2024, rue Belliard 135 (entrée via le parc Léopold), 1000 Bruxelles, lundi de 13 à 18h, du mardi au vendredi de 9 à 18h, samedi et dimanche de 11 à 18h.


Le déchet, un phénomène aussi vieux que le Vieux Continent

Des rasoirs et appareils photos jetables, un iPhone démonté, des m3 de cartons et d’emballages de snacks, des moches chaises de jardin en plastique, un conditionnement de test PCR, des milliers de composants informatiques, des vieux biclous, un tambour de machine à laver customisé en barbecue… Tous ces déchets, ça fait pas tache, dans l’un des plus beaux palais de Bruxelles ? À la Maison de l’Histoire Européenne, cube art déco dû à Michel Polak dans le très chic parc Léopold, ces vieux brols s’alignent dans les vitrines : ils sont présentés comme de véritables œuvres d’art pour l’expo “Jeter”. Certains sont sortis des âges comme cette amphore romaine, d’autres sont plus récents comme ce buste décrépit de Lénine. Ou le premier sachet plastique au logo Carrefour. Tous retracent une histoire qu’on croit actuelle, mais aussi vieille que le Vieux Continent : celle des déchets.

De l'amphore romaine à l'iPhone, empereur de l'obsolescence programmée, "Jeter", la nouvelle expo de la Maison de l'Histoire Européenne, montre que le déchet est aussi vieux que le Vieux Continent.
Des chiffonniers du XIXe siècle aux monceaux de plastique de 2023, "Jeter" retrace l'histoire de l'Europe par ses déchets. ©EdA - Julien Rensonnet
De l'amphore romaine à l'iPhone, empereur de l'obsolescence programmée, "Jeter", la nouvelle expo de la Maison de l'Histoire Européenne, montre que le déchet est aussi vieux que le Vieux Continent.
Christine Dupont, curatrice de l'expo "Jeter" à la Maison de l'Histoire Européenne à Bruxelles. ©EdA - Julien Rensonnet
guillement

Nous pensons que nos déchets ont énormément de choses à nous dire. Et permettent de raconter l'histoire de l'Europe sous un angle nouveau.

”On n’a pas voulu ressasser les images classiques, les monceaux de déchets qui jonchent les plages, même si c’est l’une des faces les plus tangibles et puantes du phénomène”, prévient d’emblée Christine Dupont, curatrice. “Nous pensons plutôt que nos déchets ont énormément de choses à nous dire. Et permettent de raconter l’histoire de l’Europe sous un angle nouveau. De nous interroger aussi sur les choses qu’on jette et celles qu’on garde”.

Casserole

De l'amphore romaine à l'iPhone, empereur de l'obsolescence programmée, "Jeter", la nouvelle expo de la Maison de l'Histoire Européenne, montre que le déchet est aussi vieux que le Vieux Continent.
Des oeuvres parsèment le parcours, comme cette Vénus aux Chiffons ou cette photo de Martin Parr. ©EdA - Julien Rensonnet
De l'amphore romaine à l'iPhone, empereur de l'obsolescence programmée, "Jeter", la nouvelle expo de la Maison de l'Histoire Européenne, montre que le déchet est aussi vieux que le Vieux Continent.
Un ingénieux casque militaire reconverti en poêlon. ©EdA - Julien Rensonnet

Le parcours est didactique. Il remonte au temps des chiffonniers, figures urbaines mythifiées, transite par les innovations techniques comme la poubelle, s’ancre de plain-pied dans l’ère de la consommation via ses vitrines aux couleurs sixties, puis pose les grandes questions inhérentes à notre XXIe siècle sur l’obsolescence programmée, la récup, la réparation et le recyclage. Dont on se rend compte qu’ils existent aussi depuis la nuit des temps. Mais ses deux salles, montées sur des structures réutilisables d’échafaudages de chantier et meublées de plastique recyclé à Bruxelles, sont aussi très ludiques. On y croise des pièces insolites comme ce casque militaire transformé en casserole, et puis des œuvres d’art géniales tel ce cliché choc de Martin Parr, photographe de nos dérives consuméristes.

Expo "Jeter" à la Maison de l'Histoire Européenne.
La Maison de l'Histoire Européenne a rassemblé dans cette installation tous ses déchets produits en 8 mois. ©EdA - Julien Rensonnet
guillement

Ce mur de déchets rassemble tout ce que notre musée produit en 8 mois, sans compter les déchets organiques bien sûr.

Et puis bien sûr, la Maison de l’Histoire Européenne ne tombe pas dans le piège de répéter les errements qu’elle dénonce. “La première installation de l’expo, c’est ce mur de déchets. Il rassemble tout ce que notre musée produit en 8 mois, sans compter les déchets organiques bien sûr”, révèle Christine Dupont. S’y entassent les collations des visiteurs, les anneaux des classeurs, les bâches publicitaires, les A4 passés à la broyeuse… Pas rien. On passe ensuite sous un compteur numérique, qui quittera le zéro dès le vernissage : “Il additionnera le nombre de tonnes de déchets produits dans le monde le temps de l’expo”. Vertige garanti. Rendez-vous le 24 janvier 2024 pour se désoler.

De l'amphore romaine à l'iPhone, empereur de l'obsolescence programmée, "Jeter", la nouvelle expo de la Maison de l'Histoire Européenne, montre que le déchet est aussi vieux que le Vieux Continent.
De l'amphore romaine à l'iPhone, empereur de l'obsolescence programmée, "Jeter", la nouvelle expo de la Maison de l'Histoire Européenne, montre que le déchet est aussi vieux que le Vieux Continent. ©EdA - Julien Rensonnet
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