Festival Taktik: la tactique à quatre coups des kets pour une école sans injustice
Le premier festival Taktik se tient ce week-end des 25 et 26 juin au Théâtre National. Il a été monté par et pour « les jeunes de 13 à 17 ans ». On rencontre 3 d’entre eux, qui réfléchissent à ce que peut être une école belge demain. Attention : ça phosphore.
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- Publié le 23-06-2022 à 10h15
- Mis à jour le 23-06-2022 à 14h40
À la place des gradins: un skatepark, un village associatif, des consoles de jeux vidéo et des fourneaux… Ce week-end, la grande salle du Théâtre National se transforme.Ses architectes sont des ados, qui goupillent là-bas un inédit festival « par et pour les jeunes de 13 à 17 ans ».Ces 25 et 26 juin 2022, les parents n’ont donc pas droit de cité au Taktik premier du nom.
Mais la programmation ne sera pas uniquement branchée roulettes, manettes et cupcakes: au Taktik, les kids veulent débattre.Entre deux concerts, ils discuteront climat avec Adélaïde Charlier et Zakia Khattabi ou harcèlement avec Philippe Close et Maïté Meeûs, fondatrice du compte Instagram @balance_ton_bar.Surtout, ils comptent parler de l’école."Leur" école.
Ce thème s’est imposé au cours d’ateliers et de forums organisés depuis octobre 2020 par Bruxelles Laïque.C’est là toute l’ambition de Taktik: donner la parole aux jeunes, auxquels les adultes restent sourds jusqu’ici.Ainsi, une dizaine d’ados réunis au sein du Comité J ont piloté l’organisation du festival.Ils ont eu le temps puisque ce dernier a été décalé deux fois par le covid.Ils sont désormais affûtés.On a pu s’en rendre compte en discutant avec trois d’entre eux.En une heure, Chaymae Moulathoum (17 ans, Woluwe-Saint-Lambert), Doha Jaadi (19 ans, Molenbeek) et Jules Thiran (17 ans, Laeken) ont dessiné pour nous les contours d’un système scolaire "moins injuste". Leurs préoccupations se concentrent sur 4 grands thèmes. Ils ont hâte de présenter les conclusions de leurs débats ce dimanche 25 juin à la Ministre Caroline Désir.

On vous sent très engagés.
Doha: On nous dit tout le temps qu’on est la prochaine génération, "l’avenir". On aime débattre, on a hâte de présenter nos conclusions aux personnalités politiques. Il faut accélérer les choses.
Jules: "L’avenir"? Dans quelle mesure laisse-t-on la jeunesse prendre cet avenir en main? Alors on pense aussi à ceux qui passeront après nous sur les bancs.
Chaymae: On nous met la pression pour le climat mais en même temps, on nous interdit d’aller manifester. C’est considéré comme de la brosse!
Doha: Moi j’ai eu peur trop longtemps. À l’école, on m’a reproché d’avoir un agenda de ministre. Désormais, je suis déterminée. Parce que les adultes, ils ont un bic et une feuille et ils savent où signer pour foutre la merde!
1. Un syndicat des élèves
Vous lancez donc l’idée d’un syndicat étudiant…
Chaymae: Un tel syndicat défendrait notre point de vue, celui des jeunes.
Doha: L’idée, c’est de donner plus de lumière au CEF, le Comité des Élèves Francophone. Au lieu d’aller chacun de son côté dans chaque école, mettons-nous ensemble!
Jules: On voudrait un représentant de chaque école auquel on puisse faire appel en cas de problème avec un prof.Si celui-ci tient des propos incorrects, racistes, sexistes, ou donne des examens qui n’ont rien à voir avec la matière.
Concrètement?
Jules: Une histoire s’est passée dernièrement. Une élève a demandé à ouvrir une fenêtre. Il faisait trop chaud. Le prof a simplement refusé. Sans raison, sans explication. Il faisait 35 degrés en classe.L’élève s’est levée, a ouvert elle-même. Elle a été perçue comme "rebelle" par tous les profs.Ce n’est pas normal de voir tous les adultes d’un établissement qui se retournent contre une ado. Un syndicat pourrait apaiser la situation.Admettre qu’il y a une autorité non respectée tout en relativisant l’incident du point de vue de l’élève.
Doha: Les profs ne sont pas assez contrôlés dans leur classe. Parfois, on se retrouve face à des murs. Or, j’ai des droits en tant qu’élève.Mais où les trouver?

Chaymae: Dans une telle situation, on peut se sentir seule.Un syndicat nous montrerait que ce n’est pas notre école qui n’est pas normale, que ça se répète ailleurs.
Doha: Il faut instaurer un truc neutre, où l’élève peut parler des règles de l’école.
2. Un PMS plus efficace
Chaymae: Le PMS, ce n’est pas efficace: il faut un meilleur soutien. Ils n’ont pas assez d’employés. Leurs effectifs dépendent du nombre d’élèves.Parfois, ça les arrange qu’on ne parle pas avec eux: ils ont moins de travail.Personnellement, j’ai galéré pour trouver l’adresse mail du PMS dans mon école.Et si je la demande à un éducateur, ce n’est plus anonyme. On se base sur des observations, on a rencontré des travailleurs des PMS.Ce n’est pas un bureau des plaintes qui sortent de nulle part.
Doha: Moi, il m’a fallu 2 mois pour obtenir un rendez-vous! J’étais à Anderlecht dans une école de "racailles".Le PMS était invisible. Puis quand j’ai changé pour Saint-Gilles, j’ai tout de suite trouvé.
Chaymae: Il n’y a pas d’antenne partout.Parfois, il faut aller dans une autre commune pour consulter le PMS. On doit justifier son absence. Y a toujours des profs qui soufflent.
Doha: Chaque prof veut sortir ses griffes.
Jules: Dans mon école, le PMS, c’est seulement 2 jours/semaine.
Doha: Petite, un directeur a fait signer un document à ma maman.Elle ne parle pas français.Elle a fait confiance.Je me suis retrouvée en enseignement spécial.J’avais soi-disant un problème de langage.
Chaymae: C’est pareil partout, des parents pas informés, qui maîtrisent mal la langue, à qui des profs font signer des papiers pour changer d’option…
Doha: À 15 ans, j’me suis réveillée. Je me sentais comme en prison. Je ne disais à personne que j’étais dans le spécialisé. Je sais que beaucoup y sont par erreur. C’est alors que j’ai galéré pour avoir un rendez-vous au PMS.Ça tournait autour du pot, parole de logopède contre parole de prof.
Et ensuite?
Doha: Cette année, je suis en professionnel.J’ai voulu reconstruire mon dossier de zéro. J’ai vécu un changement très brusque: le PMS de ma nouvelle école m’a beaucoup aidé. J’y vois une injustice. Je me suis rendu compte que j’avais beaucoup de retard. Désormais, j’ai un autiste à côté de moi en classe. Son papa est avocat: il connaît ses droits. Moi j’ai passé la moitié de ma vie dans l’enseignement spécial…
Jules: Comment ça se fait?! Après 11 ans dans le système scolaire belge, Doha ne sait pas ce qu’est une multiplication! Voilà à quoi doit servir un PMS! Et un syndicat d’élèves. On voit trop de hiérarchie en fonction des quartiers, des parents… C’est la loterie!
Doha: Ils n’enseignent pas, ils nous rabaissent. C’est dégueulasse!
3. Les droits des jeunes
Jules: On voudrait pouvoir déterminer quand un comportement sort du cadre.Être plus conscients de nos droits en tant qu’élèves.
Chaymae: Si un prof dépasse les limites, s’il y a abus de pouvoir. Vu la pénurie de profs, ils ont comme une immunité. Mon prof d’anglais et néerlandais, ça fait 40 ans qu’il est là. Il sort des blagues racistes et homophobes, mais on peut pas se permettre de le licencier car il enseigne à beaucoup de classes.

Doha: On veut aussi pouvoir dénoncer des injustices, comme quand tous les blancs d’une classe réussissent et pas les Arabes.
Chaymae: Une amie congolaise a été harcelée pendant des mois par un garçon. Elle a fini par lui mettre une gifle.Mais c’est elle qui a eu les menaces ensuite.Le garçon est immunisé.
Jules: Face à de tels comportements, c’est difficile d’en référer aux profs.Parfois, on rencontre des problèmes plus sérieux que deux élèves qui papotent au fond de la classe.
Doha: Où chercher nos droits?À part dans Google, je sais pas…
4. Le Règlement d’ordre intérieur (ROI)
C’est un éternel point de crispation, ce fameux ROI…
Doha: Chaque école a son ROI mais moi, je ne l’ai jamais vu.Je vois plutôt un éducateur à la grille qui scanne les filles…
Chaymae: Débardeur?Jupe?Short?Interdit pour les filles! Ça "excite" les garçons! C’est "vulgaire". Les tresses des Africaines?OK, mais pas teintes! Pas de piercing!
Doha: Et pas de motifs militaires parce que "ça exacerbe les conflits". Ni des drapeaux. Sauf le belge: "On peut faire des exceptions"! Et pour les tatouages, les profs ne nous jugent "pas assez matures".
Jules: On voudrait un ROI commun à chaque école.Il pourrait par exemple ouvrir à un uniforme choisi par les élèves eux-mêmes.
Vous plaidez pour un uniforme? Étonnant!
Jules: J’ai fait une année en Irlande. Dans une école non mixte, avec uniforme.Je pensais que ça serait l’horreur.Mais les profs y sont plus respectueux. Ça évite aussi aux parents de se ruiner pour que leur enfant suive la mode.
