À Bruxelles, la rue Neuve se remet difficilement du Covid: «Elle est devenue une 2e rue de Brabant»
Vide locatif, outlet et pop-up stores, chantiers, etc. l’artère commerçante la plus fréquentée du pays affiche un triste visage.
Publié le 09-05-2022 à 13h22
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La rue Neuve a-t-elle perdu son lustre d’antan? L’artère commerçante la plus fréquentée du pays affiche un bien triste visage depuis quelques mois. N’importe quel promeneur constatera l’étendue du vide locatif et la flopée de pop-up et outlet stores. Jeudi dernier, nous avons compté une quinzaine de surfaces commerciales à louer ou en travaux, six magasins éphémères, de type outlet, une somme impressionnante d’enseignes spécialisées dans les baskets et sneakers, sans oublier une litanie de fast-foods… Récemment, Diesel est parti. Dans le bas de la rue (côté Monnaie) survit Naf Naf; bien plus haut, brille encore Lego. Entre les deux, c’est morne plaine, ou presque.
Alain Berlinblau est né sur la rue Neuve, à l’étage du magasin de fourrures de son père, au coin de la rue Neuve et de la rue aux Choux. "Ça s’appelait Fourrures du Nord, mon père l’a ouvert en 1936, le magasin a tenu jusqu’en 1990. À l’époque, il y avait six magasins de fourrure sur la rue Neuve et environs. On vendait beaucoup de vison." Lorsqu’il descend en ville aujourd’hui, son cœur saigne. "La rue Neuve ne s’est jamais positionnée sur les marques de luxe mais le bas de la ville d’une certaine aura, d’une respectabilité grâce à la qualité de ses commerces. On avait Delvaux, le maroquinier Louise Fontaine, la maison du porte-plume, etc. Aujourd’hui, c’est devenu une deuxième rue de Brabant", ose-t-il, un brin provocateur.
L’arrêté mendicité a apaisé l’artère
Directeur de l’autre association de commerçants – l’officielle, créée par la Ville de Bruxelles voici trois ans -, Quentin Huet ne partage pas le pessimisme de son confrère. "Certes, le vide locatif est élevé en ce moment. Mais c’est assez logique. Nous sommes dans une période post-stress Covid. Nous avons subi une grosse pression immobilière à cause de la pandémie. Les magasins ne faisaient plus de chiffre d’affaires, nous avons donc connu une période de négociation sur les loyers. Mais maintenant, la situation reprend son cours normal. Pas encore celui de 2019 mais ça repart." Quentin Huet se réjouit surtout du nouvel aspect de la rue Neuve. Depuis l’arrêté mendicité pris par la Ville de Bruxelles, "les Roms sont partis, la mendicité infantile, la malpropreté, les vols dans les magasins", ont disparu. "Aujourd’hui, la rue Neuve est apaisée par rapport à ce qui constituait une énorme problématique. Tous les dix mètres, une personne accompagnée d’un enfant tendait la main… Sur ce plan, on a fait un vrai bond en avant."
Cela n’a pas empêché Diesel ou Okaïdi de partir tandis que les magasins Camaïeu ou Pimkie ont fait faillite. "Certes, mais on va accueillir la marque NewYorker (à la place de l’ancien H&M, face au Quick, NDLR) très prochainement, plusieurs immeubles sont en chantier, on espère que les enseignes de qualité vont revenir." Pourtant, en 2018 déjà, Cushman&Wakefield reconnaissait que le public de la rue Neuve avait changé, qu’elle attirait une clientèle "plus locale, plus populaire, jouissant d’un moindre pouvoir d’achat", constatait Boris van Haare Heijmeijer. Pour Victoria Tanret, responsable des ventes pour le retail chez Cushman&Wakefield, "un Diesel n’a peut-être plus sa place rue Neuve mais cela n’a rien d’inquiétant. Les rues commerçantes, les quartiers évoluent, ça n’est pas un problème. La question est d’avoir les bonnes marques au bon endroit. Qui aurait imaginé un Cool Blue ou un H&M dans le goulet Louise?"
Le vrai enjeu: l’accessibilité
Même sentiment chez Jonathan Degluse, partner et responsable de l’équipe du centre-ville chez Cushman et Wakefield. "La crise Covid a précipité la chute de magasins déjà en difficulté. Il faut remettre l’activité en marche, cela prend un peu de temps mais la dynamique est là. Nike va s’agrandir, NewYorker est pile dans la gamme de la rue Neuve, une chaîne américaine va bientôt arriver, etc." Lui pointe surtout la difficulté des plus grandes surfaces. "Il n’y a plus beaucoup de preneurs pour les espaces de 500-600 m²", comme l’ancien Benetton toujours en recherche de locataire. "Par contre, pour les espaces de 200 m², c’est reparti."
Tous s’accordent pour dire que le grand chantier de la rue Neuve et, plus largement, du bas de la ville, cela reste l’accessibilité. "On ne sait pas y accéder, on ne sait pas s’y garer, même le GPS s’y perd. Or, on ne vient pas acheter des vêtements à vélo ou à pied. On prend sa voiture", relève Alain Berlinblau, qui se rappelle d’une clientèle qui venait d’Alost, de Waterloo, etc.
Pour Jonathan Delguste, le piétonnier est une bonne chose. "Le problème est plus général et, en effet, liée à l’accessibilité du bas de la ville." C’est justement ce chantier que va lancer Quentin Huet prochainement. "C’est le vrai enjeu. La capitale n’est pas difficile d’accès. Du Brabant wallon, on est dans le centre-ville en trente minutes – hors heures de pointe. Le problème est que les gens ne savent pas comment y arriver, ni comment se garer. J’aimerais que la Ville réussisse à expliquer clairement comment on arrive en ville, combien de temps ça prend et combien ça coûte de s’y garer!" Prévu le 16 août prochain, le nouveau plan de circulation de l’hyper-centre-ville est peut-être l’occasion ou jamais…