Thomas Gunzig en terrain vache
Un cinquantenaire désabusé et une vache sous peau de femme sont les ingrédients du plus sombre roman de l’écrivain belge, "Le sang des bêtes".
Publié le 28-01-2022 à 06h00
"Qu'est-ce que tu fais de ta vie?" La question que pose Mathilde à son mari, Tom, est exactement celle qui, depuis quelque temps, turlupine ce cinquantenaire qui se sent fatigué. Pas une grosse fatigue l'empêchant de vivre, une lancinante, plus insidieuse, qui lui donne envie de ne rien faire, de rester assis en regardant le temps passer. Ou par la fenêtre du magasin de compléments alimentaires pour bodybuilders où travaille cet ancien adepte des salles de musculation. Et, justement, sur le trottoir d'en face, il voit une femme maltraitée par un homme et se précipite à son secours. Or la belle rousse, contre toute apparence, est une vache. Une vraie vache à laquelle une sorte de docteur Mabuse a donné une apparence humaine. Que faire?
Voici le point de départ du Sang des bêtes, le nouveau et sombre roman de l'auteur bruxellois Thomas Gunzig dont le goût pour les situations fantasques, voire fantastiques, imprègne la majorité de ses romans. Tel son précédent, Feel Good, où l'on voit une femme voler un bébé que personne ne réclame, qui ressort au Livre de Poche. "L'imaginaire est l'un des plus beaux outils pour appréhender le réel, il ne faut pas avoir peur d'assumer cette dimension. Je suis toujours désolé quand on fait la différence entre la littérature "blanche" et celle de genre, jamais couronnée, par exemple, par des prix littéraires", observe celui qui a reçu le prix Rossel en 2001 pour son premier roman, Mort d'un parfait bilingue.
"Je travaille beaucoup à l'intuition, explique-t-il. Je me jette à l'eau sans trop savoir où cela va me mener et le scénario s'élabore progressivement. Ici, je suis parti de cette idée de base, à laquelle est liée la question de l'apparence, et donc du corps humain, qui m'intéresse beaucoup depuis longtemps. J'ai eu un parcours assez semblable à celui du personnage, je pratique beaucoup les arts martiaux, je connais donc bien le milieu du fitness et du bodybuilding. Pourtant, écrire reste un artisanat plus centré sur le travail littéraire, sur l'écriture, que sur le propos. C'est la partie la plus passionnante: comment faire naître du réel à partir d'une phrase, d'un chapitre."
Comme nombre de romans qui sortent actuellement, Le Sang des bêtes a été entamé durant le premier confinement du printemps 2020, période que ce père de trois enfants a détestée. Et qui a peut-être joué sur son inspiration, son roman ressemblant à une sorte de huis clos multipliant les dialogues et scènes de famille. Autour de Tom, outre sa femme et la vache humaine, apparaissent en effet son fils Jérémie, jeune homme réservé et sensible, son contraire, et Jade, sa compagne, jeune fille végane très concernée par les questions liées au genre et par l'avenir de la planète. Ainsi que Maurice, son père juif (qui ressemble à celui de l'auteur), qui reste hanté par la Shoah. Et que Gunzig campe avec une tendresse parfois un peu. vache.
Thomas Gunzig, «Le sang des bêtes», Au Diable Vauvert, 223 p.