Grève de la faim des sans-papiers: «De toute façon, nous sommes déjà morts»
Plus de 400 sans-papiers mènent une grève de la faim depuis 47 jours à Bruxelles. Reportage, entre colère et désespoir.
- Publié le 08-07-2021 à 07h00
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Ce sont des êtres allongés, livides, le visage émacié et les yeux hagards. La grève de la faim d’environ 475 sans-papiers se poursuit, à Bruxelles. Entamée le 23 mai, l’action en est arrivée à son 47e jour.
Ces dizaines de personnes se sont posées dans trois lieux de la capitale, à savoir l’église du Béguinage et les cafétérias des deux universités libres: l’ULB et la VUB.
C’est dans les locaux de cette dernière que nous avons rencontré plusieurs grévistes de la faim. Tous demandent une régularisation, mais les options avancées jusqu’ici – des régularisations au cas par cas – par le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration Sammy Mahdi (CD&V) et le Premier ministre Alexander De Croo (Open Vld) ne les satisfont aucunement. Alors le combat se poursuit, au péril de leur vie.
Plutôt que de mourir lentement, je me demande si je ne vais pas aller m’acheter de l’essence et me foutre le feu.
Chacun, parmi la septantaine de personnes installées sur le campus, a traversé ses propres épreuves. Mais les histoires se ressemblent souvent. Ce sont des femmes et des hommes qui sont arrivés en Belgique, parfois il y a plus de dix ans, pour enchaîner les boulots et survivre grâce à la débrouille. Ils attendent aujourd’hui une régularisation dans le pays où ils vivent et travaillent.

«J'ai travaillé comme un fou dans le nettoyage des vêtements du personnel de maisons de repos. Des journées de 8 h à 21 h», raconte Ahmed, 37 ans, arrivé d'Algérie en 2009. «Nous sommes tous des travailleurs, nous voulons travailler et payer nos impôts ici. Nous ne sommes certainement pas là pour profiter du système. Les patrons ont bien profité de nous. Mais maintenant, y en a marre», lance-t-il.
Les mots lâchés avec émotion. «Je pesais 90 kg avant la grève, j'en pèse 67. On est comme des cadavres, des carcasses qui marchent. Que voulez-vous qu'on fasse? De toute façon, on est déjà morts. Sans papiers, vous ne pouvez rien faire.» Et Ahmed d'imaginer le pire: «Plutôt que de mourir lentement, je me demande si je ne vais pas aller m'acheter de l'essence et me foutre le feu. Et je ne suis pas le seul ici à penser cela.»
L’indifférence qui tue
Ibrahim, algérien également, reconnaît que la grève devient particulièrement éprouvante. «Il y a des gens qui sont prêts à avaler des lames Gillette. Ce n'est pas dans mon tempérament. Mais je suis faible. Si je marche quelques mètres, je commence à avoir des vertiges.» Il n'est pas question d'arrêter pour autant. «Ce serait une très grosse responsabilité, estime-t-il. Tout ce qu'on demande, c'est de ne plus faire l'objet de ségrégation. D'être des citoyens normaux, avoir un petit compte en banque, payer nos contributions. Mais nous sommes abandonnés, négligés, face à une indifférence qui nous tue».
Tous expriment cette envie de s'insérer dans la société belge. «Je suis un soldat pour la Belgique, je mourrais pour ce pays», explique Nazir, âgé de 27 ans et venu de Tanger il y a six ans. Le jeune homme se définit comme un vrai Bruxellois, lui qui a cumulé les boulots dans la capitale et qui en connaît les quartiers comme sa poche. Retourner au Maroc, il ne le fera pas. Hormis ses parents, une bonne part de sa famille se trouve en Belgique. «Je voulais améliorer ma vie. J'ai bossé 7j/7, j'ai sacrifié beaucoup pour la Belgique. Mais sans papiers, c'est de l'esclavage», exprime Nazir.


Les portes de l’église du Béguinage sont closes depuis mardi. Et si c’est un calme apparent qui règne sur la place surplombée par l’édifice, ce sont des sentiments de désespoir et de colère qui s’expriment parmi les grévistes de la faim.
Ils sont 250 à occuper l’église, retranchés derrière un portail qu’ils ont décidé de verrouiller pour protester contre l’absence de solutions satisfaisantes proposées par le gouvernement. Hier, le personnel médical ne pouvait plus accéder à l’intérieur, pas plus que les médias d’ailleurs.

«La situation est lamentable. Si vous rentrez à l'intérieur, vous pleurerez», décrit Ahmed, gréviste et porte-parole du mouvement. L'état de santé des personnes inquiète. «Nous appelons l'ambulance, des personnes sont hospitalisées. C'est encore arrivé ce matin, expliquait Ahmed ce mercredi. Moi-même, j'ai été hospitalisé. On voit apparaître depuis deux semaines des problèmes cardiaques, d'épilepsie, gastriques, respiratoires, des symptômes post-traumatiques, etc.»
Face à la durée de la grève, la question se pose nécessairement: leur vie est-elle en danger? «Le but n'est pas d'arriver à cette étape. Nous avons des référents médicaux, eux-mêmes sans-papiers, qui surveillent les personnes 24 h/24», rassure-t-il quelque peu.
Le combat se poursuivra
Il n'est toutefois pas question d'arrêter. « Pourquoi le fait-on? Pour obtenir quelque chose. Et là, nous n'avons rien. On ne cherche pas la victoire, on n'est pas dans une logique de vainqueurs et de vaincus. Au final, tout le monde doit être vainqueur», les sans-papiers comme les autorités politiques et la société belge dans son ensemble.
Les grévistes ne demandent pas la lune, «mais simplement un titre de séjour pour pouvoir travailler. Il y a des vies à l'intérieur de cette église, des gens qui ont un ancrage durable en Belgique, où ils ont forgé leurs cercles d'amitié, familial, professionnel», poursuit Ahmed.
Âgé de 52 ans, il est lui-même venu du Maroc il y a 10 ans, a travaillé plusieurs années comme électricien. Il attend aujourd'hui un retour de la Belgique. «Un minimum de dignité, dit-il. Parce que jusqu'à présent, nous sommes moins bien traités que des animaux.»