EN IMAGES| Dans L’Éveil de Vincent Zabus, un hypocondriaque conquiert le monde de demain
Ces prochains jours, Vincent Zabus devait sortir «L’Éveil». L’album a été reporté mais fait étonnamment sens avec la période que nous traversons.
Publié le 31-03-2020 à 08h34
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L'Éveil. Un titre significatif pour un album qui l'est tout autant.
En compagnie d’Arthur, héros hypocondriaque confronté à un vacillement de son monde (les attentats récents, l’avènement de Trump, la maladie et un «monstre» qui laisse à Bruxelles des traces de morsure), le scénariste Vincent Zabus pose des questions pertinentes et raccord au confinement que nous connaissons.

Vincent, comment se passe votre confinement?
Ce devait être la pleine saison mais toutes mes activités théâtrales avec les Zygomars ou les Bonimenteurs sont reportées. Alors, je marche, je lis, je regarde des films. Je dois avouer que j’ai encore du mal à écrire, je suis trop affecté par la situation. J’espère ne pas être bloqué trop longtemps.

Arthur, votre nouveau héros, est hypocondriaque. Face au Covid-19, ne le sommes-nous pas tous?
Ce qui génère son inquiétude, c’est qu’il interprète tous les petits symptômes, les angoisses. Il n’est pas qu’hypocondriaque et je pense que le lecteur peut s’y reconnaître.
Il est aussi question de la reconstruction d’une société, de se réapproprier le monde. C’est ce qui nous attend, non?
Peut-être, c’est vrai. Dans tous les cas, avec Thomas Campi au dessin, j’ai voulu parler d’engagement, de rapport au monde. Comment s’engage-t-on ou pas dans la vie. Le moyen que j’ai trouvé est de confronter deux personnages. Le premier, c’est Arthur, il est anxieux, replié sur lui-même.

Par la magie du récit, il rencontre Sandrine, son opposé. Elle est dans l’engagement social, marqué. Elle réfléchit le monde avec quelques autres. Je me suis inspiré de l’expérience sociale menée à La Quincaillerie à Bruxelles. Je trouvais intéressant de croiser ces deux personnalités qui n’auraient pas dû se rencontrer. La chance était minime.
Qu’est-ce qui les rassemble?
Les traces d’un monstre, invisible. Il a croqué les arbres, les façades. Nous lorgnons, de loin, le fantastique.

Et l’art a son rôle à jouer.
Plus personnellement, je voulais parler de l’engagement artistique, par le street art, en particulier. Ces graffitis qui nous amènent à réfléchir. Cela revêt un aspect d’art invisible, il est dans la rue et ne se dit pas.
Votre album témoigne de l’importance de vivre.
Je crois qu’il faut continuer à partager. C’est ce que j’essaie de faire avec les moyens de bord, dans le respect des consignes et de ce que chacun peut faire en fonction de ce qu’il est. Ça reste dérisoire par rapport à ceux qui s’exposent, dans le milieu hospitalier, notamment.

Mais il faut que nous nous aidions à inventer, à rester en contact. À la manière d’un chanteur, d’un dessinateur ou juste en parlant, je crois que le partage permet un accès à un fait particulier et à en faire une expérience commune. C’est le sens de ce qu’on appelle humaniser: rester humain et ensemble.

«L'Éveil, c'est celui d'Arthur. Grâce à une rencontre, il apprend à sortir de lui-même, à s'éveiller au monde, aux autres. Celui dont on attendait le moins, au final, réalise quelque chose. Il se libère. Un titre, c'est comme un personnage, s'il ne vient pas vite… cela devient compliqué. »
Mais, justement comment nomme-t-on les héros, alors? «Un personnage existe à partir du moment où on l'appelle. J'ai toujours tendance à les appeler Louis. Arthur, c'était le prénom de mon grand-père et c'est celui de mon filleul. J'ai donc l'impression de le connaître. Ça crée une familiarité, on le détache du papier, il existe. Et, parfois, quand on imagine un dialogue, on se dit: "Ah non, il ne pourrait pas dire ça, ça ne lui ressemble pas!" »

Plus loin que ça, les personnages n'ont pas peur de briser le « quatrième mur » et d'adresser la parole au lecteur. «Un principe de théâtre devant lequel l'éditeur paraissait sceptique. Moi, je pensais que ça pouvait marcher, parce que ça avait déjà été fait. Dans "Chaminou" de Macherot, notamment. Chez Woody Allen aussi. »
De quoi pousser Arthur à vivre des aventures surréalistes. «Par exemple, les lettres des chapitres de l'album entravent notre personnage. Les questions qu'il a dans sa tête s'extériorisent. Comme ses angoisses se matérialisent. Arthur rencontre l'enfant qu'il était. Dans ce drame, nous avons pris quelques libertés poétiques. L'importance est de ne pas perdre le lecteur.» Au contraire, le sens de cet album s'en trouve enrichi. Il faudra sans doute le lire plusieurs fois pour l'épuiser.



Quelle ne sera pas la surprise du lecteur namurois averti, au détour d’une page, de se retrouver sur la place du Québec. La féerie du dessin?
«Cette case était importante, elle est le théâtre de la première manifestation du monstre, une branche tombe, mordue. Que cela se passe dans le quartier Saint-Loup n'était pas voulu. Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite. En amassant sa documentation, peut-être Thomas a-t-il cru que cette place de Namur était bruxelloise.»

Un clin d’oeil, une curiosité qui n’entrave en rien la lecture mais fait le voyage d’une capitale à l’autre.
L’Éveil, Zabus/Campi, 88p, à paraître.