Accusée de «pornographie», La Monnaie défend le «Jeanne d’Arc au bûcher» de Castellucci

«Dénaturée», «obscène», «transgenre», «pornographique»: la mise en scène de Castellucci pour le «Jeanne d’Arc au bûcher» programmé à La Monnaie attire les foudres de certains chrétiens. Mais la direction de l’opéra tient bon:

Accusée de «pornographie», La Monnaie défend le «Jeanne d’Arc au bûcher» de Castellucci
Alors que la très réactionnaire Fédération Pro Europa Christiana voit dans la mise en scène de Castellucci une Jeanne d’Arc «pornographique», la direction de La Monnaie rappelle que dès sa mort, «des tableaux et des statues l’ont représentée à ... ©Stofleth / La Monnaie

La Monnaie a assuré lundi défendre la liberté artistique en programmant, du 5 au 12 novembre, l'opéra « Jeanne d'Arc au bûcher », un oratorio dramatique d'Arthur Honegger sur un livret de Paul Claudel, dans une version mise en scène par Romeo Castellucci mais décriée et présentée comme «obscène» par la Fédération Pro Europa Christiana, qui promeut les «valeurs chrétiennes à travers l'Europe».

Cette fédération a demandé l’annulation des six représentations de ce qu’elle présente comme une «version dénaturée», «obscène» et «transgenre» de l’oratorio, prévues au Théâtre royal de la Monnaie à Bruxelles. Elle l’indique dans une lettre adressée au directeur du TRM, Peter de Caluwe, et au ministre des Institutions culturelles fédérales, Didier Reynders (MR). Elle appuie sa démarche par une pétition qui avait déjà recueilli lundi plus de 10.300 signatures.

En 2017 déjà, lors de la dernière de l’oratorio à Lyon, des organisations chrétienne et d’extrême droite s’étaient réunies pour manifester leur mécontentement face à la vision de Jeanne d’Arc dessinée par Castellucci. La manifestation s’était d’ailleurs muée en émeutes et la police avait dû intervenir devant l’opéra.

«Pour la Monnaie, cette initiative va trop loin», a affirmé la direction de l’institution culturelle fédérale dans un communiqué.

La Monnaie se dit «particulièrement attachée à la liberté d’expression».

«Nous respectons les opinions des autres, mais nous leur demandons de faire preuve du même respect à notre égard. La Monnaie soutient à 100% la production de Romeo Castellucci. Mieux encore, nous pensons qu’il s’agit d’un spectacle incontournable», a ajouté l’institution.

Elle a assuré qu’elle prendrait des «mesures de sécurité appropriées afin que les spectateurs puissent profiter des représentations sans dérangement».

«Une représentation pornographique»

La Fédération Pro Europa Christiana a dénoncé que le personnage-symbole de sainte Jeanne d’Arc soit à nouveau la cible d’une représentation pornographique, cette fois à Bruxelles. «Une actrice intégralement dénudée prétend la représenter et pousse l’obscénité jusqu’à changer de sexe au cours de la représentation», souligne-t-elle dans le texte accompagnant la pétition. Elle estime qu’«à travers la Pucelle (d’Orléans, NDLR) c’est l’union de la France avec Dieu qui est prise pour cible».

La Monnaie a répliqué en affirmant qu’au cours des siècles, le personnage de Jeanne d’Arc a fait l’objet d’interprétations diverses et paradoxales et que son image a été régulièrement redessinée, revue, corrigée, déformée, en fonction des idéologies dominantes.

«Romeo Castellucci souhaite défaire Jeanne d’Arc des différentes interprétations dont elle a fait l’objet au fil des siècles. Jeanne d’Arc au bûcher (...) est déjà en soi une tentative de libérer Jeanne d’Arc du poids qui pèse sur elle. La mise en scène (profondément spirituelle) de Castellucci souhaite aller au plus près de la quintessence et présenter Jeanne comme un personnage profondément humain et vulnérable. Aussi, nous montre-t-il une jeune femme seule et abandonnée. Abandonnée par l’État, par l’Église et par la société», souligne le communiqué.

«Même reproche qu’à son procès en 1431»

La Fédération s’offusque de ce que Jeanne apparaît sur scène en vêtements masculins.

«Il s’agit là du même reproche que celui qui lui a été fait lors de son procès en 1431. Considéré comme un signe d’‘héréticité’, le simple fait de s’habiller en homme lui a valu une condamnation au bûcher. Que ce reproche refasse surface près de six cents ans plus tard provoque la stupéfaction. Que Jeanne d’Arc ait choisi de se vêtir comme un homme et de se couper les cheveux est de surcroît un fait historique avéré. C’était en outre un choix d’ordre pratique à une époque où la tenue de guerrier convenait tout simplement au combat», a expliqué la Monnaie.

Quant à la femme nue, «cela non plus n’est pas une représentation révolutionnaire de Jeanne d’Arc. Aussitôt après sa mise à mort, des tableaux et des statues l’ont représentée à moitié nue», a conclu le TRM.

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