Bruxelles les Bains, marchand de sable estival
Fondée en 2003 par la Ville, la plage urbaine de Bruxelles les Bains a ouvert la voie à d’autres événements en Wallonie. Outre une redynamisation du quartier des quais et le développement de l’image d’une «ville qui bouge», son organisateur est aussi devenu malgré lui un... expert en sable.
Publié le 06-07-2018 à 07h00
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Derrière ses haies, l’immeuble du Brussels Major Events (BME) se fait discret. Pourtant, cette maison aux escaliers exigus est au centre d’un cercle coupant des attractions touristiques majeures de la capitale: le Musée Magritte, la place des Palais, le Musée des Instruments de Musique et le Mont-des-Arts à l’arrière-plan propre à déclencher chaque jour des milliers de selfies. Quand il ouvre son balcon, Olivier Mees s’appuie donc en regard du palais de Charles de Lorraine et sa blancheur néoclassique. Majestueux.
Aux murs rouges du bureau, un disque d’or de Maurane dont le boss du BME, dans une autre vie, a été le manager. Face à sa table de travail, une immense photo du DJ Lost Frequencies, embrassant dans sa doudoune une Grand-Place noire de monde, rappelle au directeur que les grands événements que lui confie l’Hôtel de Ville le sont effectivement...
Mais laissons à l’hiver ses plaisirs. Car avec juillet, c’est le sable de Bruxelles les Bains qui préoccupe Olivier Mees et sa manager de la coordination Delphine Romanus. Entre sommet européen, annonce concernant le Tour de France et inauguration imminente de la plage estivale, le téléphone de cette jobiste devenue pilier du BME sonne plus vite que les mojitos ne se vident dans les transats du bord de canal.
La naissance

Olivier Mees jette un coup d’œil dans le rétro. «Bruxelles les Bains remonte à 17 ans. Bertrand Delanoë organise la première plage urbaine à Paris en 2002. Il demande à son collègue Thielemans de le suivre pour créer un réseau européen. Le cabinet du Bourgmestre, dont Philippe Close est le chef, se rend compte que le tourisme peut être porteur. C’est l’après-De Donnea, le tout-sécuritaire, les “robocops” en rue pendant l’Euro 2000... Je me souviens de Close disant: “Bruxelles est la ville la plus citée dans le monde après New York, mais pas pour les bonnes raisons”».
C’est Olivier Mees qui montre au Bourgmestre Thielemans ce que l’événementiel peut amener au tourisme. Manager d’artistes, l’homme venu du privé était aux manettes du BSF (ex-festival Eurit’mix) à sa création en 2002. Il a aussi organisé les deux premières éditions de Plaisirs d’Hiver en marché public. L’inspiration vient pas mal du Québec. «Pour développer le tourisme, l’événementiel est plus rapide à déployer qu’un bâtiment en dur. Il est modulable et pas cher».
La plage est déployée en août 2003. Le cabinet Thielemans organise Bruxelles les Bains pendant deux ans avant d’en céder les clefs au tout frais Bureau des Grands Événements, devenu BME. «C’est tout de suite très gros. On ne s’y attendait pas. Je pense que ça correspondait au besoin des citoyens d’avoir de nouvelles activités en ville l’été, du sport, de la musique... Niveau tourisme, ça ne va pas faire venir des Chinois. Mais on montre que Bruxelles bouge. C’est important pour le “city marketing”».
Un city marketing qui a un prix: Bruxelles les Bains navigue avec un budget de 700.000€ «dont 400.000 de subvention sans lesquels on coulerait».
En faire des tonnes avec le sable

Curieusement, l’expertise la plus souvent questionnée par les autres organisateurs de plage urbaine auprès du BME, c’est celle du sable. «On est un peu devenus des experts, oui. Comme de la glace en hiver. Faut dire: on a amené jusqu’à 3.000 tonnes de sable de la mer du nord», mesure Mees. «Le problème, ce n’est pas de trouver le sable ni de le payer: ce qui coûte, c’est le transport et la manutention. Il arrive en péniche, il faut le transporter par camions, l’étaler avec des bulldozers...». Là, la facture grimpe.

Pour ne pas jeter ces précieux grains chaque année et recommencer le pénible trajet logistique, Bruxelles les Bains imagine les stocker. «On loue alors un terrain voisin du site: c’était parfait. Mais on s’est vite rendu compte qu’il fallait aussi nettoyer le sable. Je ne vous fais pas de dessin... Pour le régénérer, on a donc loué une machine, une sorte de scarificateur de jardin, mais géant, pour le retourner en profondeur».
Le terrain de stockage est aujourd’hui construit. Le BME est donc en quête d’opérateurs, «des entrepreneurs ou des écoles», qui le délesterait de son sable en fin d’événement.
Ultime excentricité imaginée par Olivier Mees concernant le sable? «L’importer d’Ibiza, dans une sorte de partenariat comme avec le sapin de Noël des Plaisirs d’Hiver. Pas 3000 tonnes, hein, mais quelques centaines. Ça aurait été un gros coup marketing mais ce n’était pas tenable. Au niveau durabilité, on nous l’aurait reproché». Et le BME n’aurait pu faire l’autruche.
Exposants: éviter la guerre du mojito

Delphine Romanus se souvient. «Au départ, c’était beaucoup plus simple qu’aujourd’hui: une plage et des paillotes pour les marchands. À l’époque, il n’y avait rien comme événement. On a ouvert la voie aux Apéros Urbains ou aux Piknik Elektronik». Olivier Mees abonde: «Et ça a donné l’impulsion à d’autres plages urbaines».
Le concept cherchant ses marques, il demande des ajustements. «On a subi une véritable guerre du mojito. Les marchands les vendaient au litre et ça se transformait en beuverie», déplore encore Delphine Romanus. «C’était pas très chic: un saut d’un litre de mojito avec les gens autour, penchés sur leur paille. On a interdit directement».

Pour éviter ce type de dérives, Bruxelles les Bains réglemente. En 2018, le mojito se négocie ainsi autour de 6€ «pour éviter que ceux qui proposent de la meilleure qualité ne soient lésés par une course au low cost». Moins de paillotes, qui passent de 70 à 35, et davantage de variété dans les activités permettent aussi à la plage de se prémunir d’une concurrence trop exacerbée tout en évitant ce que Mees appelle «le syndrome feria: un peu de flamenco et beaucoup d’alcool». Les exposants, que le BME considère comme «des partenaires», subissent aussi un petit casting «pour éviter la redondance et assurer une certaine qualité», appuie Romanus.
Une paillote à Bruxelles les Bains se négocie autour de 3000 euros. «Mais ça dépend du type de commerce. Un glacier artisanal ne paye pas le même tarif qu’un bar avec une double terrasse, qui peut grimper à 5000€», nuance la manager de la coordination. Ce loyer ne sucre pas l’organisation, mais intervient «dans l’assurance que le décor et la technique seront à la hauteur». Et s’il pleut, une ristourne intervient-elle? Mees botte en touche: «Les vendeurs font ça toute l’année. Ils savent que sur 5 semaines, ils auront au moins 15 jours de beau temps. Ce n’est pas comme Couleur Café où ils peuvent compter sur 60.000 personnes mais risquent la drache».

Un quartier redynamisé... à quitter?

«La volonté de la Ville dès le départ, c’était de remettre un quartier délaissé sur la carte. Avant Bruxelles les Bains, y avait pas grand monde sur ce quai rénové. La mission, c’était d’y attirer des milliers de personnes sur 5 semaines», rappelle Olivier Mees. «Disons que nous avons ainsi renforcé le renouveau du canal».
Des petites dérives bibitives du début, on est passé à un public davantage «bobo» et familial, «mais qui reste multiculturel». Mees: «On a bien varié la fréquentation sur toute la journée». Cinéma, musique, clubbing, ateliers kids n’y sont pas pour rien. «La proximité des tours de bureaux non plus», remarque le boss. «Le midi, les employés des banques et administrations viennent dîner: c’est full».
Aujourd’hui, les promoteurs s’activent sur les rives du quai Beco (côté Tour & Taxis) et du quai des Péniches (côté musée Kanal), qui seront bientôt reliés par une passerelle cyclo-piétonne permanente: outre le musée, un parc va s’y déployer et les logements du projet Riva étendre l’offre résidentielle amorcée par la tour UpSite. Le déménagement est-il dans l’air pour Bruxelles les Bains? «Pour 2019, ces chantiers nous poussent à réfléchir», confie Mees. «Mais quand on va voir les promoteurs, ils espèrent qu’on restera». Pas d’autre commentaire? «Il n’y a rien de pire que d’abandonner un site à cause de chantiers si le chantier ne se fait pas».


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