Une piscine dans le rond-point de la Gare du Nord: «Nager dans le canal ou les étangs bruxellois, c’est possible»
Bruxelles ne compte aucune piscine extérieure. Pas plus que d’eau de baignade en plein air. Le collectif Pool is Cool plonge donc ce 1er juin dans... la fontaine du rond-point de la Gare du Nord. Le but: se rafraîchir. Mais aussi rafraîchir les idées des pouvoirs publics.
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Publié le 01-06-2018 à 15h13
Bruxelles n’a aucune piscine extérieure! Pas plus que d’eaux de baignade. Et pourtant, un canal traverse la ville alors que de nombreux étangs aux cadres souvent boisés bleuissent sa surface.
Pour attirer l'attention sur cette pénurie qui dure depuis 40 ans et la fermeture du Solarium d'Evere en 1978, le collectif Pool is Cool plonge ce 1er juin dans... le rond-point du boulevard Albert II, entre WTC et Gare du Nord. Ce groupement d'architectes, urbanistes, psychologues et travailleurs sociaux milite depuis 2014 pour l'ouverture d'espaces de baignade extérieurs à Bruxelles. Il est à l'origine du bassin qui a éclaboussé Bozar l'été dernier. Lien Nauwelaerts nous explique les enjeux pour la capitale et son million d'habitants.

Lien Nauwelaerts, vous êtes architecte et membre du collectif Pool is Cool. Où en est votre combat pour davantage de piscines extérieures à Bruxelles?
Nous partons du principe que plus nous proposons de solutions, plus nous aurons de chance d’en concrétiser une. Nous proposons 5 solutions différentes dans une vidéo postée sur Facebook (étang naturel à Neerpede, étang filtré au bois de La Cambre, piscine à Beekkant, barge au bassin Vergote, plongeon dans le canal au bassin de Biestebroek, NDLR). Lors d’une master class en mars, on a aussi étudié 3 concepts en profondeur: une piscine à la friche Josaphat, l’étang de Neerpede et le canal. Chacun a des qualités, mais aussi des enjeux pour les riverains et les politiques communales et régionales, et des impacts en termes paysagers, sociaux, urbanistiques ou financiers.

Les politiques sont ouverts?
Chaque concept est proposé aux politiciens. Bruxelles Environnement a ainsi lancé une étude dont le but est de vérifier la qualité sanitaire des étangs et plans d’eau. L’idée est aussi de mesurer leur accessibilité et de réfléchir aux financements. Le problème est vaste: il ne suffit pas d’ouvrir le lieu et d’attendre que les Bruxellois viennent y passer du temps.
Avez-vous une piste privilégiée?
Une ville comme Bruxelles a besoin de plusieurs piscines car au premier rayon de soleil, tout le monde débarquera au premier bassin qui ouvre.
La baignade dans le canal: c’est réaliste?
À Berlin, Vienne ou Paris, on nage dans les fleuves et canaux. Nous menons des tests à Bruxelles: ils nous ont montré qu’en amont de la ville, l’eau est assez propre. Mais ça fluctue en fonction des moments et des endroits. Nous suggérons donc que les segments plus sales soient équipés de bassins flottants, comme à Berlin. À Londres et à New York, ils testent ainsi des concepts de barges flottantes dont les parois filtreraient l’eau à l’entrée de la piscine: on combinerait ainsi loisirs et projets environnementaux. Concernant le trafic fluvial, la coexistence est possible. Copenhague a réservé une zone de baignade dans son port. Et à Bruxelles, les bateaux industriels ne naviguent pas le dimanche.

Ces initiatives dans d’autres grandes villes vous rendent optimistes?
On ne doit pas réinventer l’eau chaude, mais certaines solutions sont ingénieuses. Je pense à cette idée parisienne de chauffer une piscine extérieure par la chaleur résiduelle d’une entreprise de serveurs. Idem pour une piscine sur le toit d’un immeuble, chauffée par la ventilation des bureaux.

Creuser une piscine ne sera-t-il pas toujours plus cher que d’utiliser un étang?
C’est vrai. Il faut donc miser sur toutes les solutions. Car filtrer naturellement une eau extérieure par les plantes limite par exemple le nombre de baigneurs. D’un autre côté, les piscines extérieures sont moins chères que les intérieures en coût de gestion des bâtiments, même si l’eau doit être chauffée et qu’elles ferment malheureusement en hiver. Encore que: Londres compte des piscines extérieures ouvertes toute l’année, à destination des amateurs d’eau froide. L’idéal, c’est le toit amovible, comme la piscine Josephine Baker sur le canal à Paris.

Le secteur intéresse-t-il le privé?
Dans les autres villes, ce sont surtout les partenariats public-privé qui fonctionnent: le public subsidie une certaine partie des coûts de gestion pour permettre de maintenir des prix démocratiques. Aux Pays-Bas et en Allemagne, les autorités ont dû se résoudre à fermer des piscines, faute de moyens. Des coopératives de citoyens se sont ainsi développées pour les sauver, dans des systèmes tels qu’on le voit au supermarché coopératif BEES Coop à Schaerbeek. Il faut aussi miser sur la diversification des activités: un bar, un resto, un lieu de fête, peuvent générer davantage de revenus et permettre de garder des prix plancher pour les familles. Car les coûts d’une piscine, la gestion des vestiaires, le nettoyage..., ça reste élevé.
Y a-t-il une piscine étrangère qui vous inspire particulièrement?
J’aime la démarche parisienne du «plan nager». Ils ont édité 140 mesures et en 20 ans, ont pu tester de nombreuses propositions. Les trois piscines de La Villette me semblent assez exemplaires: l’eau y est moins polluée qu’on le croit et ils la mesurent en permanence, en amont des bassins. S’ils détectent une anomalie, lors du déversement d’un égout par exemple, ils ferment simplement l’accès temporairement. Ces installations proposent trois piscines: une pataugeoire pour les enfants, un bassin d’1,20m et une piscine pour nager.

Ce militantisme pour la piscine de plein air remonte-t-il à votre enfance?
Je ne suis pas bruxelloise d’origine et comme d’autres membres de Pool is Cool, j’ai des souvenirs de jeunesse associés à la baignade, quand on allait toute une journée au bord d’un lac pour ne rien faire. Nous pensons que l’eau et la nage peuvent aussi rassembler les gens. Une piscine, c’est un endroit où on croise des tout petits enfants et des vieilles personnes, des familles et des amis. Dans une ville comme Bruxelles, c’est capital. Pool is Cool ne milite pas uniquement pour l’hédonisme, mais aussi pour davantage de liberté et de rencontre dans la densité de la ville. Un plaisir tellement basique.

Le premier volet, la campagne d’échantillonnage, d’analyse et d’étude, portera entre autres sur la turbidité (à la capacité de l’eau à diffuser ou absorber la lumière), la salmonelle, les entérocoques intestinaux et les escherichia coli. Le second volet, l’étude sur les caractéristiques des spots, déterminera profondeur, superficie, mesure de protection, utilisation actuelle, couche géologique, alimentation des étangs et eaux de surface.
«Les résultats seront connus et étudiés en octobre», nous précise la porte-parole de la Ministre ce 1er juin. C’est alors que le ou les lieux les plus propices de la baignade seront épinglés. «Les contacts seront alors pris avec les gestionnaires de ceux-ci et les autorités des communes concernées pour lancer une étude de projet», expliquait Fremault en avril. Et d’ajouter aujourd’hui qu’ «il faudra évidemment aménager les lieux, déterminer un système de filtrage, installer des cabines».
On en déduira qu’on ne plongera pas immédiatement à la réception des résultats de l’étude.