Le vaux-hall est toujours vert au parc de Bruxelles: «Les rois s’y montraient»
ARCHIVES | Le vaux-hall du parc de Bruxelles a rallumé ses lampions cet été 2017. Cette architecture tressée, conçue pour abriter les fêtes de «la haute» avant même la naissance de la Belgique, est unique en Belgique. Planqué derrière les arbres, il abrite aussi un... bunker.
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- Publié le 11-08-2017 à 14h29
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«Ici, fin XVIIIe, on est dans le haut de la ville. L’habite une société très chic, la bourgeoisie et la noblesse. L’architecture du vaux-hall doit être à la hauteur». Pas peu fier, Geoffroy Coomans de Brachène, échevin de l’Urbanisme à la Ville de Bruxelles (MR), d’avoir rendu aux boiseries du parc Royal leur vert anglais d’antan. Alors que le lieu revit cet été, ce passionné de patrimoine nous replonge dans ses premières heures, quand seuls les lampions et les orchestres pouvaient tenir Bruxelles éveillée.
L’enceinte est plus vieille que le pays. Quand les frères Bultos, qui exploitent alors le Théâtre de la Monnaie, voient l’édit de Marie-Thérèse définir le «nouveau» quartier royal en 1775, ils s’engouffrent dans la brèche. L’ambition de ce duo au nez fin, qui préside la nuit dans la capitale des Pays-Bas autrichiens, est de donner au quartier de la haute un lieu au lustre et au faste digne de son statut. En 1783, ils implantent leur théâtre à l’emplacement de l’actuel Théâtre du Parc.


Très vite, il faut agrandir», relate Coomans. «À l’époque, il n’y a ni télé, ni divertissement. Et les gens sortent. Les frères sont victimes de leur succès». La fête est continuelle. On construit des salles, dont celle qui est devenue le Cercle Royal Gaulois, et les deux kiosques extérieurs. «Le rectangle du Théâtre du Parc apparaît, on construit la salle dites “des Cariatides” avec ses statues portantes remarquables, on démolit un peu de “vlek”, des pavillons, on élargit l’enceinte. Et on lance les garden-parties. L’actuel parking était un endroit très prisé. On y sort, on s’y montre. Au XIXe, les souverains belges en seront». Napoléon passe, Léopold Ier et Léopold II se montrent.
Mais ces ajouts de bric et de broc «ne sont pas très sérieux» et la Ville devient propriétaire en 1818. «Elle installe un petit kiosque mauresque qui ne plaît pas du tout au bourgmestre de l’époque», continue l’échevin. «En 1913, l’architecte François Malfait esquisse l’architecture telle qu’on la connaît encore aujourd’hui. Le théâtre en tant que tel, c’est le pavillon d’orchestre: les gens y viennent pour de petits spectacles et des concerts d’après-midi».

C’est de cette époque que date le vaux-hall proprement dit. «Cette architecture est tout à fait unique, assure Coomans. «Elle s’inspire de la mode française de l’époque Louis XVI. On y tirait des câbles pour y suspendre de grands lustres». Le terme vient de l’anglais. Il remonterait au manoir occupé près de Londres par un certain Falke de Bréauté au XIIIe siècle. Au cours du temps, son nom s’est transformé de «Falke’s Hall» en «Fox Hall» puis «Vaux Hall». Ensuite, on aurait installé à cet endroit un «spring garden», un «jardin de plaisir»: le «Vaux Hall Spring Garden», qui réunissait les nobles et bourgeois autour d’un pavillon d’orchestre et de galeries, plantés dans un jardin d’agrément. Par métonymie, et par mode anglophile en France, toutes les architectures s’en inspirant prirent le nom de «Vaux Hall».

Malheureusement, la Première Guerre Mondiale glace le goût de la fête des Bruxellois. D’autant que la crise survient. «Dans les années 30, un bunker est construit dans son sous-sol (lire ci-dessous) et, après la 2e Guerre Mondiale, la végétation envahit un vaux-hall phagocyté par les institutions qui l’entourent. Si ce n’est les colonnes métalliques de sa structure, ses cloisons de bois se fragilisent. On ferme dans les années 60», échelonne l’échevin. «On stocke du matériel de jardinage derrière les espaces verts et le dôme se mue en salle de répétition pour le Théâtre du Parc». Bruxelles oublie complètement le vaux-hall, dont le vert bouteille se noie dans les feuillages du parc Royal. Et dans l’oubli. Malgré le classement en 94, seules les quelques voitures parquées là derrière illuminent encore de leur phare le vénérable lieu de plaisirs. Le comble: le pavillon d’orchestre est transformé en... maison habitée.
En 2012, la Ville décide de restaurer. La cellule patrimoine historique est sur le coup. Budget: 2,7 millions d’euros subsidiés à 80% par la Région. Une dalle est coulée, on déboise la grille issue d’un hôtel de maître, on ouvre un accès depuis le parc. Le treillage, surtout, relève de l’orfèvrerie. Coomans: «Une société française spécialisée a dépêché ses ouvriers: ce savoir-faire est introuvable en Belgique. Il a fallu reconstituer le bois par endroits, le traiter, le peindre dans les tons d’époque». Il faut coller, poncer, peindre, tisser: cet artisanat minutieux s’apparente presque au modélisme. Le détail ultime: la reconstitution, sur base d’archives, des vasques de bois qui décorent la toiture. «Un travail fou!» Enfin, il faut comprendre comment tiennent les 500kg de bois et de zinc qui chapeautent le dôme.
Depuis fin juin, le vaux-hall a rallumé ses lampions. Le service culturel de la Ville en a repris la gestion. Danses, projections et jeux animent les week-ends d’été. On ne sait pas si le Roi Philippe y a déjà fait son apparition...
+ Toutes les infos sur les activités du «Vaux-Hall Summer» sur le site de la Ville de Bruxelles

Un bunker accessible depuis le Parlement
Le vaux-hall n'a pas hébergé que des fêtes. En 1938, le climat géopolitique se tend aussi fort que le treillage à la française et les autorités estiment que le parc, au carrefour institutionnel de Bruxelles, est l'endroit stratégique idéal pour creuser un bunker.
«Le vaux-hall n'est pas trop près du Parlement mais pas trop loin non plus», détaille l'échevin du Patrimoine bruxellois Geoffroy Coomans de Brachène (MR). «Ce bunker de commandement est accessible par les caves. Deux passages y mènent: depuis le Sénat et depuis la Chambre. Ils se rejoignent sous la rue de la Loi et débouchent dans l'abri via les caves du Cercle Gaulois».

Le bunker occupe à peu près toute la surface de la cour du vaux-hall. «Il ne sert cependant qu’en 1940 car les Allemands arrivent vite à Bruxelles. De plus, les parlementaires s’y sentent vite à l’étroit: ils se réuniront alors au Métropole, un endroit qu’ils jugent plus conforme à leur standing».
Les Allemands récupèrent le bunker pour leur propre usage et, au sortir du conflit, la Défense y voit un outil à conserver dans le climat de la guerre froide. Le bunker reste utilisable jusqu’en 1981. «Il est même agrandi parce que les autorités ont peur que le souffle d’une éventuelle explosion endommage ses murs: on crée donc un vide technique autour de l’espace fortifié. Les cheminées en sont le dernier témoin».
Pas plus que le bunker, ces cheminées n’auront eu d’utilité.