Après Berlin, des blocs et un moral en béton sur les Plaisirs d’Hiver
Berlin a surgi dans le quotidien de clochettes tintinnabulantes des marchands de Plaisirs d’Hiver, à Bruxelles. Sur un marché de Noël protégé par des plots de béton, le sentiment de sécurité varie d’un chalet à l’autre. Malgré cette ambiance subitement rafraîchie, tous veulent «continuer» face aux «salopards» et aux «imbéciles».
Publié le 20-12-2016 à 14h19
Un renne hoche lentement la tête dans les reflets métalliques de la grande roue. Le cycle infini de l’automate métaphorise presque l’abnégation du marché de Noël bruxellois: malgré Paris, malgré Bruxelles, malgré Nice, il saupoudre cette fin d’année de neige artificielle et de clochettes tintinnabulantes.
Dans les chalets, la gueule de bois des commerçants n’est pas due au vin chaud. Ils auraient même tendance à la soigner dans ce remède séculaire. Car Berlin a surgi dans leur quotidien de pulls étoilés et bonnets rouges, même protégé par les plots de béton installés suite à l’attentat de Nice.

«Une trahison aux Allemands»
«C’est très triste. C’est une trahison aux Allemands qui ont ouvert leur cœur à l’étranger». À l’ombre de la Bourse, Adem Mert propose choucroute, glühwein et saucisse à l’enseigne du seul resto allemand de Bruxelles, basé près de Schuman. D’origine turque, grandi à Berlin, il vit en Belgique depuis 17 ans où «jamais il ne s’est moins senti étranger» par rapport à d’autres villes d’Europe. Au lendemain de l’attentat dans sa ville natale, l’homme est inconsolable. «Dans un marché de Noël, qui signifie “famille” et “paix”, c’est impardonnable».

Plus prosaïquement, Adam n’a pas peur pour sa sécurité à Plaisirs d’Hiver. Malgré les nombreux poids lourds qui stationnent sur le boulevard ce 20 décembre pour livrer leurs cargaisons. «C’est une zone piétonne donc une attaque au camion ou à la voiture me semble improbable. Mais avec le terrorisme, on n’est jamais à l’abri: il surgit de partout. Ils ont grandi ici, puis ils nous attaquent. Il faut faire plus pour l’intégration bien sûr, mais j’ai l’impression que tout ça marche dans la mauvaise direction».

Soldats et poutine
On croise trois soldats en kaki, on évite deux camionnettes de livraison, on longe le boulevard que barrera ce soir un combi de police, comme depuis le début des Plaisirs d’Hiver. Après quelques slaloms dans les ruelles pavées où manœuvrer un camion à bonne vitesse ne semble pas à la portée du premier venu, on débouche à l’arrière de Sainte-Catherine. C’est là qu’est planté le village québécois, dans un gentil givre loin de rivaliser avec les minimums qui glacent Montréal.

«Un engin pareil, rien peut l’arrêter. C’est pas ces petits plots sur le trottoir qui vont nous protéger». Taieb Jerad plonge les frites pour ses poutines dans leur premier bain matinal. «Un camion, qu’est-ce qu’il fout à cette heure-là près du marché de Noël?! Et heureusement que c’était lundi, parce que sinon... Ce week-end, ici à Bruxelles, c’était impossible de circuler. J’ai voulu aller rechercher un saut de frites vers 19h: c’était bondé! Si un salopard nous joue truc comme à Berlin à ce moment-là, ça fait des dégâts énormes!»
«Si les familles laissent tomber, je comprendrai»
Anxieux, le Belge émigré au Québec souffle aussi par rapport à des chiffres nettement meilleurs qu’en 2015. Même s’il craint un impact négatif de l’attentat allemand. «On est satisfait jusque-là. Mais si les familles, avec leurs enfants, laissaient tomber leur visite cette semaine, je comprendrais. Ma conviction à moi par contre, c’est qu’il ne faut pas craquer devant ces salopards».

Huilant ses taques à crêpes, Jean-François Carton ne «cède pas non plus à la panique». Le Français de Lasne, habitué des Plaisirs d’Hiver, assure même que 2016 «atteint peut-être 80% de 2014, la meilleure année». La météo y est «sans doute» pour quelque chose évidemment, mais le moral aussi «repart à la hausse». Dans son aubette des quais encadrés de bornes de béton et d’obstacles dissimulés derrière des planches de bois clair, l’homme se dit «100% confiant par rapport à la sécurité même si le risque zéro n’existe pas. Les militaires patrouillent, la police aussi: je me sens totalement en sûreté».
Vent frais
Mais quand même, on sent le marchand refroidi. «Ça jette un froid, oui. C’est pas notre métier qui est ciblé: c’est le monde qui perd la tête. C’est dommage car le marché de Noël surprend positivement. On pensait qu’il faudrait 3 ou 4 ans pour se relever mais c’est la foule, avec beaucoup de touristes le week-end. La preuve que Bruxelles garde son attrait. Alors c’est pas une minorité d’imbéciles qui vont dicter le monde».
Dans les reflets de la grande roue, le renne de peluche acquiesce.
Les chiffres confirment le sentiment des commerçants

Le premier week-end de décembre, 406.000 visiteurs ont fréquenté les Plaisirs d’hiver en trois jours, a indiqué mardi le bourgmestre de la Ville de Bruxelles Yvan Mayeur (PS) qui dresse ce 20 décembre un premier bilan de la fréquentation de l’événement.
Sur les 406.000 visiteurs du week-end du 2 au 4 décembre, 104.000 étaient des touristes étrangers venant principalement de France, Espagne, Allemagne et Royaume-Uni. Environ 110.000 touristes venaient des provinces belges, par ordre d’importance du Brabant-Wallon, du Hainaut, du Brabant flamand et de la Flandre orientale. Environ 192.000 visiteurs venaient de la région de Bruxelles-Capitale. Quelque 31.200 personnes ont passé au moins une des deux nuits à Bruxelles-Ville.
Le week-end suivant a eu une fréquentation plus importante, mais les chiffres précis n’ont pas encore été communiqués.
Comment on compte?
Deux moyens de comptage sont utilisés. Un opérateur téléphonique capte les GSM à un point donné en notifiant le lieu de facturation des usagers. La cellule informatique de l’ULB dénombre par ailleurs les tentatives des GSM de capter du wifi. Les deux techniques ont donné des résultats similaires.
«Nous avons une année exceptionnelle», se réjouit Yvan Mayeur. «Il y a un retour des gens vers le centre-ville.»
En comparaison, 1,5 million de visiteurs ont été dénombrés en 2014 sur l’entièreté de l’édition précédente. En 2015, ce taux de fréquentation est tombé à un million à la suite des attentats de Paris.
(Belga)
Sécurité «optimale» à Plaisirs d’Hiver

Le Bourgmestre de la Ville de Bruxelles Yvan Mayeur (PS) a par ailleurs rappelé qu’il avait demandé à sa police lundi soir déjà d’évaluer une nouvelle fois le dispositif de sécurité des Plaisirs d’Hiver. Les forces de l’ordre ont assuré mardi matin qu’il était optimal. Seul un point mineur sera corrigé.
Le dispositif déployé aux Plaisirs d’Hiver a déjà été adapté à la suite de l’attentat à Nice en juillet dernier. Des blocs de béton (notre diaporama) ont notamment été placés à des endroits stratégiques pour éviter qu’un camion ne puisse prendre de la vitesse à proximité des marchés. En conséquence, le bourgmestre a annoncé sans grande surprise que les Plaisirs d’Hiver sont maintenus.
Des rencontres avec les grandes villes d’Europe
Au lendemain de l’attentat à Berlin, le bourgmestre a aussi annoncé qu’il demandera au ministère de l’Intérieur une nouvelle évaluation par l’OCAM (Organe de coordination pour l’analyse de la menace) pour le feu d’artifice de la Saint-Sylvestre. Il communiquera la semaine prochaine sur la décision de maintenir ou d’annuler le feu d’artifice.
Mayeur a enfin exprimé sa solidarité envers le maire de la Ville de Berlin. «Nous travaillons d’ailleurs ensemble, les grandes villes, pour tenter d’apporter des réponses à ces situations et nous continuerons. Des rencontres sont encore prévues en 2017».
(Belga)