Immersion en images dans le Bruxelles noir de «Black»: «On a reçu l’autorisation de la rue»
«Black» filme Bruxelles comme rarement on l’a vu au cinéma. Une ville gigantesque, diversifiée, belle et sombre, avec ses recoins que personne ne veut voir. Pour confronter le film à la réalité, on arpente les rues du tournage avec le réalisateur Bilall Fallah et son comédien Aboubakr Bensaihi. Une virée en images et en sons, toute en nuances.
Publié le 10-11-2015 à 09h52
«Bruxelles, c’est Bruxelles. Tu peux pas la comparer avec une autre ville». Bilall Fallah est un enfant de Bruxelles. Avec son comparse Adil El Arbi, il filme la ville comme peu avant lui. Casquette de basket vissée sur le crâne, jean baggy et bomber floqué des 5 lettres de «Black», il vous guide sur les lieux du tournage, un décor réel à peine fantasmé. «Ces quartiers, ils ont leur propre monde».
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Matonge


Plus qu’un décor, Matonge est un véritable personnage de «Black». Ses rues grouillantes, ses salons de coiffure bariolés, ses conversations joviales, mais aussi ses nuits de trafic («On a dû obtenir l’autorisation de la rue pour tourner») et ses coulisses interlopes.
Dans notre reportage en images, le réalisateur Bilall Fallah vous emmène dans la fameuse galerie décorée de fresques et résonant d’hymnes chrétiens. Ou quand l’exotisme s’invite à deux pas de la seconde artère commerçante la plus fréquentée de Bruxelles.

L’appartement des Black Bronx
C’est l’endroit le plus noir du film: l’appartement de la bande des Black Bronx, à Matonge. Dans ses dominantes bleues, le lieu est absolument incroyable avec ses néons et son panneau de basket, au centre. Et puis, il y a ces grillages aussi, symboliques puisqu’ils le ferment au monde tout en le cadenassant de l’intérieur. Tout le film repose en effet sur l’impossibilité pour les kids d’échapper au gang. «C’est notre décorateur qui en a eu l’idée. D’ailleurs ils sont du premier plan, pour donner la symbolique du film», s’enthousiasme Bilall Fallah. «En réalité, c’est un magasin abandonné. L’espace et l’absence de murs en fait aussi un monde très ouvert, où tu ne peux rien cacher. Tout le monde te voit dormir ou faire l’amour: il n’y a plus de vie privée. Parce que la bande partage tout: on te protège, mais en même temps on t’enferme».
Les Marolles

Quelques scènes du film se déroulent dans les Marolles, «quartier authentique». C’est parfois par accident, comme ce jour où un appartement où doivent se tourner quelques plans est fermé. «On s’est rabattus sur une scène où un copain vient chercher Marwan en voiture», se souvient Fallah en passant au Sablon, non loin du lieu où la scène s’est goupillée. «Ah, c’est ici le Sablon», remarque Aboubakr Bensaihi, le jeune comédien principal qui endosse le training de Marwan. «Moi j’étais jamais venu mais un frère bien, pour manger des macarons: 17€ il a payé, le mec!»
Mais le véritable monument marollien de «Black», c’est la Cité Hellemans, un gros bloc art nouveau rouge où habitent Mavela et sa maman. On voit d’ailleurs souvent la jeune fille au balcon, lorsqu’elle vit encore «à l’air libre» en plein jour, avant de plonger dans la bande. «Bruxelles est belle et cette architecture en est aussi le symbole», nous confie le réalisateur. Dans notre reportage en images, où il vous en dit plus sur sa vision du lieu. «Il y a cette chaleur! Quand tu y fais un plan, c’est comme une peinture».
Beekkant
Avec ses rampes d’accès lumineuses, la station de métro Beekkant a quelque chose d’une base polaire. Ou lunaire, dans la nuit molenbeekoise. Aboubakr Bensaihi a grandi à deux pas, comme son personnage. Là-bas, le tout jeune comédien est sur son territoire. Il serre des mains, croise des regards, cogne des épaules, avec toujours le mot qui claque pour saluer les frères. Il a joué ce rôle aussi pendant le tournage. «T’es sûr qu’il y aura pas de problème, parce que si quelques gars veulent foutre un peu la merde, j’leur dis “ eh pote, j’viens d’ici ”. Je connais l’terrain et donc forcément, y a plus de respect». La station de métro s’est transformée dans son esprit: «C’est devenu un lieu mémorable. jMolenbeek, c’est chouette d’y vivre. J’suis fier de Bruxelles, fier de ma ville. Maintenant, j’la voit comme New York. On y a tourné un film à la Scorcese. J’vivrai toujours à Bruxelles».

L’église
Les scènes d’amour entre Mavela et Marwan s’épanouissent dans le cocon éclairé à la bougie d’une église. Dans cette bulle, les deux ados trouvent enfin l’apaisement, ils ne sont plus en représentation. Ces scènes ont été tournées au Gesu, à Saint-Josse. «Dans le livre de Dirk Bracke, ces scènes se passent dans une maison», concède Bilall Fallah, réalisateur. «Mais nous, on voulait retrouver ce côté shakespearien de l’histoire d’amour, le caractère un peu sanctifié. Pour eux, l’église est un sanctuaire, une cachette, comme dans “ Roméo et Juliette ”».
La voiture
C’est une scène cruciale du film: la rage au ventre, Marwan s’embarque dans une virée nocturne en bagnole. Les tunnels de la Petite Ceinture se succèdent dans des flashs lumineux très hollywoodiens. Le personnage aussi est dans un tunnel, noir. Sur le siège passager, Mavela flippe un peu. Le ton monte. On règle ses comptes. «C’est une fusillade», compare Bilall Fallah. «Le dialogue est tellement violent. On pensait à un crash, les faire débouler dans une station de métro, mais il ne fallait pas en rajouter: les mots sont assez forts». Le symbole est d’autant plus fort que la voiture est omniprésente dans la Bruxelles de 2015.
Les toits
On voit d’ailleurs souvent le flux automobile s’écouler comme un fleuve de tôles, pulsation urbaine au pied des tours, lorsque les bandes ou le couple se retrouvent sur les toits. Ces majestueux plans aériens, «tournés sans drone», accentuent l’aspect gigantesque et tortueux de la ville. «Là où la bande des 1080 se rassemble, on voyait là où j’habite: génial», glisse Aboubakr Bensaihi, le jeune Marwan du film.
Poétiques, éthérés, les ciels s’assombrissent aussi au cours du récit. «On voulait la grandeur, on voulait la ville», appuie Fallah. «On avait déjà tourné sur les toits pour “Image”: on avait donc l’expérience et le repérage était fait, ce qui peut parfois prendre beaucoup de temps et d’argent». Les toits rythment donc le film et offrent une bouffée d’air au spectateur. Ils dictent aussi les tonalités de l’image. «Au début, il y a beaucoup de soleil, on joue sur le jaune, la chaleur. Puis s’assombrit, ça devient très dark, le bleu, le noir». Comme à Gotham.