Bruxelles a-t-elle vraiment besoin d’Apple? «Un Apple Store, c’est une attraction touristique»
Apple débarque à Bruxelles en grand manitou de «shopping de divertissement». Pour le directeur d’Atrium, cette venue est un «signe positif et symbolique» qui va doper les flux piétons du haut de la ville. Mais qui ne doit masquer le besoin bruxellois de reconnecter ses quartiers en misant sur le commerce de proximité.
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- Publié le 18-09-2015 à 09h50
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Apple fascine. Apple intrigue. Apple attire. Pour preuve, cet étudiant chinois qui campe depuis jeudi devant le nouveau « temple » de la Pomme à Bruxelles: venue d'Allemagne, ce fan pur et dur veut être le premier à entrer.
Le jeune homme est typiquement le genre de voyageur qui aurait été incapable de situer l’avenue de la Toison d’Or sur un plan si la marque qu’il vénère n’y avait planté ses vitrines immaculées. De quoi réjouir les commerçants du quartier, comme l’analyse Arnaud Texier, directeur d’Atrium, l’agence bruxelloise du commerce.
+ PHOTOS | Dans le temple silencieux d’Apple à Bruxelles

«Le flux piéton va augmenter»
Arnaud Texier, vous êtes directeur d’Atrium, l’agence bruxelloise du commerce. L’arrivée d’Apple, c’est une bonne nouvelle pour Bruxelles?
Il ne faut pas se mentir, un spécialiste du marketing comme Daniel Bô le dit: l’arrivée d’un Apple Store dans une ville, c’est plus que l’ouverture d’un magasin: c’est un divertissement. Il suffit de regarder quand vous êtes en city trip à l’étranger: beaucoup font le détour chez Apple où les touristes entrent «juste pour voir». C’est une attraction touristique, un moment symbolique aussi.
Justement, Apple donne parfois aux clients de ses nouveaux «stores» l’impression d’avoir été «choisis», d’être «des élus» par rapport à d’autres villes...
Si vous voulez ramener ça à la prétendue lutte entre Anvers et Bruxelles, sachez qu’il n’y a pas de guerre entre les deux villes. D’ailleurs, la zone de chalandise anversoise commence là où la bruxelloise s’arrête. Je résumerais plutôt le marché belge à Anvers, Bruxelles et Gand. Le «retailer» y détermine son choix selon le lieu le plus propice. Si 700m2 dans une artère dite «triple A», soit à très forte fréquentation, se libère à Anvers avant Bruxelles, il s’y installera.

Vous vous attendez donc à un afflux supplémentaire à la Toison d’Or?
Apple va attirer des Belges qui n’ont pas leurs habitudes à Bruxelles. Atrium prévoit donc une augmentation du flux piéton, oui. Nous avons compté avant et nous recompterons après. Les commerçants du quartier se réjouissent, je crois. Cependant, il ne s’agira pas uniquement d’acheteurs, mais aussi de simples curieux.
Cet impact sur le flux piéton, ça va gonfler les loyers?
Je ne serais pas surpris qu’il y ait une augmentation du foncier en effet, depuis les cinémas de la Toison d’Or jusqu’à l’angle du goulet Louise. Je crois qu’Apple aura un impact direct au-delà de la traversée de la rue du Capitaine Crespel.

Marks & Spencer, Apple: la Toison d’Or et son pendant opposé, le boulevard de Waterloo, s’ouvrent-ils vers d’autres univers que la mode très haut de gamme?
Je redoute plus que tout l’uniformité des quartiers. Ces arrivées sont donc des signaux intéressants pour le haut de la ville. Soulignons le beau travail des courtiers qui ont attiré de grandes enseignes absentes de Bruxelles. Elles incarnent bien le positionnement moyenne gamme de la Toison d’Or, entre les marques populaires de la chaussée d’Ixelles, le «luxe accessible» du goulet bien incarné par Superdry ou Zara Home, et l’exclusif du boulevard de Waterloo. Le quartier est sur la bonne pente même si je redoute toujours d’y voir la rue Neuve s’y dédoubler dans le goulet.
Mais alors qu’Apple arrive dans le «haut», c’est Primark qui devient la locomotive du «bas». Le clivage entre haut et bas de la ville ne s’accroît-il pas?
Primark est surtout la locomotive de Primark! À part ça, je pense qu’il ne faut pas accentuer ce clivage. Le Pentagone n’est pas un ghetto de pauvres. La rue Neuve, c’est quoi? L’artère triple A de Bruxelles, le tout premier choix pour le «mass market». Dans le commerce, on veut se rapprocher au mieux de sa clientèle. Qui est? Celle qui dépense plus pour certains produits. La petite ado qui lâche 15€ pour un sac de fringues rempli chez Primark va aussi vouloir son iPhone. Elle n’ira peut-être pas chez Marks & Spencer, je vous l’accorde...
Vous dites qu’Apple va peser et attirer. Mais Bruxelles a-t-elle vraiment besoin d’Apple?
À côté de l’euphorie, on ressent quand même cette inquiétude: que vont devenir les revendeurs locaux chez qui la majorité des produits sont déjà disponibles? La question de l’ «expérience shopping» se pose également. Apple l’a très bien intégrée. La mission d’Atrium commence là: comment faire de Bruxelles une destination shopping? Il faut appuyer le commerce local car parier sur l’international, à mi-chemin entre Londres et Paris, ça n’a pas de sens.
Sur quoi vous concentrez-vous?
On mise sur l’économie circulaire, l’écologie, le circuit court, la proximité et la qualité. Ce n’est pas du «boboïsme», mais ce qui ressort de nos enquêtes auprès des clients. Ils veulent sentir que le commerçant est concerné par ses choix, qu’il est proche, qu’il ressemble à son quartier et que sa déco comme sa marchandise ne sont pas les mêmes que celles d’à côté. Ces commerces de petite taille doivent subsister et, pour les soutenir, il serait idiot de ne pas saisir l’implantation d’Apple comme une opportunité. «Apple» et «Touristes» ne sont pas des gros mots.

Que diriez-vous aujourd’hui pour «vendre» les alentours directs de la Toison d’Or?
Je ne pense pas qu’il faille encore les vendre. Les rues du Capitaine Crespel, des Drapiers ou des Chevaliers n’ont pas vocation au commerce. En termes de flux piéton, 50m trop haut ou trop bas, ça peut plomber un magasin. On se dit qu’on va profiter du prestigieux voisin juste au coin, mais ça n’est pas si facile.
Et la Toison d’Or elle-même?
Si je tente de convaincre une grande enseigne, je vais démontrer que les flux sont excellents, qu’Apple et Marks & Spencer lui promettent un avenir radieux, que le Gouvernement est conscient qu’il faut réaménager et que c’est très accessible en transport en commun.
Manque-t-il d’autres enseignes de prestige à Bruxelles?
Burger King, Gap... Il manque toujours quelque chose si on écoute les gens. Mais il faut distinguer ce dont on a envie de ce dont on a besoin. La question, c’est: «a-t-on assez de m2?» Dans le centre, il va y en avoir avec le piétonnier. Ensuite, il faut faire en sorte que, dans ces m2, le commerce participe à créer un espace de confort. Chaque quartier doit être identifiable, doté d’un équipement identitaire, qui ne gomme pas les aspérités mais mise sur elles pour se définir. Et oublier le modèle américain, ses perpendiculaires indifférenciées qui se rejoignent trois blocs plus loin.
«Les trottoirs boulevards de Waterloo, c’est la catastrophe»
Vous voyez le haut de la ville «sur la bonne pente» et jugez ces nouvelles enseignes comme «des signes encourageants». Mais pour garantir que les magasins que vous appelez «exclusifs» se maintiennent, vous attendez aussi des efforts sur l’aménagement urbain.
Je lisais le post d’une blogueuse mode anglaise qui s’étonnait positivement de l’expérience de shopping du boulevard de Waterloo. Mais elle y conseille aussi ses lectrices de ne pas chausser de talons aiguilles si elles ne veulent pas rentrer avec la cheville en bouillie.

Les trottoirs sont étroits, il y a trop de voitures...?
Et je ne parle même pas de la station d’essence! Aujourd’hui, le Gouvernement doit encore tenir ses promesses et réaménager les boulevards. Dans ce cadre, l’arrivée d’Apple est très clairement un plus: quand ils négocient, ils ne sont pas tendres. C’est une opportunité: il faut capitaliser sur l’ouverture de l’espace ProWinko pour développer un espace de confort pour les habitants, les touristes, les travailleurs, les piétons et les vélos.
Le piéton n’est pas encore prioritaire à Bruxelles pour ce que vous appelez «l’expérience shopping». Il suffit de voir le Sablon, un éternel parking...
Créer des «promenades shopping», c’était le credo de Charles Picqué. Effectivement, il faut reconnecter les flux car la spécificité de Bruxelles, ce sont ses «quartiers» et leurs identités. Mais il y a trop de «balafres» autoroutières à franchir! Il faut travailler sur la marche et arrêter de prendre le bus pour faire 300m.