Marcolini: «Le pourcentage de cacao dans une tablette, on s’en fout»
Le Salon du Chocolat s’ouvre ce vendredi à Tour & Taxis. Dans l’ombre des géants de l’industrie, les artisans belges comptent y démontrer leur savoir-faire. Car comme le vin, le cacao a ses terroirs et ses grands crus. En porte-drapeau, Pierre Marcolini veut affiner les connaissances d’un public trop souvent obnubilé par les marques. Et qui ignore tout d’un produit dont il consomme pourtant 10 kilos par an…
Publié le 06-02-2014 à 10h08
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Pierre Marcolini, ces indications de pourcentage de cacao sur les tablettes de chocolat, on dirait que ça vous énerve…
C’est comme si sur le vin, on indiquait uniquement qu’il chiffre 12 ou 14°. Or le cacao, c’est du végétal. Il y a trois grandes familles: criollo, forastero et trinitario. Mais leurs fèves plantées à Cuba, au Pérou ou au Vietnam bénéficient de terroirs différents. Ce sont des cépages, comme pour le vin un cabernet ou un pinot noir. In fine, le goût du chocolat dépend donc du sol, de son hydrométrie, des températures… Comme le raisin ou les tomates. Le réduire à son pourcentage, ça n’a aucun sens. Et le taux de sucre: on s’en fout! Ce sont les variétés qui créent la typicité du chocolat.
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N’y a-t-il pas un paradoxe en Belgique, énorme consommateur moyen par habitant, de voir autant d’ignorance sur le sujet? On connaît bien mieux le vin ou la bière…
En Belgique, le consommateur ne connaît que les marques. Quand je parle des fèves, je lis le désarroi dans le regard des gens. «Mais de quoi parle-t-il?» Un Salon comme celui-ci peut permettre de bousculer les habitudes: une opportunité exceptionnelle pour les artisans.
Ce salon va vous servir à démontrer tout ça?
C’est l’occasion de pouvoir s’exprimer, oui. Dans un «Palais des Saveurs», différents crus de fèves seront dégustés. On y montrera les phases de torréfaction, de conchage ou de raffinage. C’est aussi l’occasion de rencontrer le public. Dans notre atelier à Haren, on emploie 80 personnes. On va montrer ce qu’elles y font, ouvrir les portes des petits secrets du chocolat.
Exposer à côté des industriels, ça ne vous dérange pas?
Comme dans le vin ou le whisky, il y a plusieurs vitesses dans le chocolat. Au niveau de la qualité comme des prix. Vu le lien de la Belgique avec le chocolat, je crois qu’il y a place aujourd’hui pour un chocolat de dégustation. Une tablette chère chez Marcolini, il ne faut donc pas la confondre avec celle du voisin.
Votre chocolat est effectivement plus cher…
Forcément. On peut acheter les fèves à 12€ la tonne ou 2€ la tonne. De même, nous payons le planteur 6 fois plus cher que l’industrie, car nous sommes persuadés qu’il faut donner le prix juste. Enfin, nous sommes les seuls, à Bruxelles, qui transformons nous-même notre cacao. Impossible dès lors de vendre à 1 ou 2€ le kilo: on oscille entre 20 et 25€ le kilo.
Il y a place pour ce marché?
Pourquoi la Belgique n’est-elle pas capable de reconnaître les types de fèves? Arrêtons d’ouvrir des magasins plan-plan. Proposons des chocolats plus petits, plus amers. Il faut aussi fabriquer son chocolat, et pas uniquement travailler le produit fourni par les grossistes.
«Chocolatier»: un terme galvaudé?
Il faut pérenniser la profession. Ça passe par l’enseignement. Quand j’ai dit à ma maman que je voulais être chocolatier, elle m’a reproché de n’avoir même pas encore commencé d’autres études. Il faut revaloriser les professions manuelles, leur apporter un nouveau regard. Regardez comme la France valorise son artisanat! En Belgique, il n’y a pas d’argent dans l’enseignement professionnel. Alors qu’on ne s’étonne pas si les consommateurs se tournent vers l’industriel!
+ Salon du Chocolat de Bruxelles, vendredi 7 (11h-21h, 8,50€), samedi 8 et dimanche 9 février (10h-18h, 10€) à Tour & Taxis, 86 C avenue du Port à 1.000 Bruxelles. 5€ de 3 à 12 ans, 25€ family pack (2 adultes + 2 enfants).
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L’Asie continue de fondre
L'exportation de chocolat représente 0,61% des exports belges.Récemment, ceux-ci se sont principalement orientés vers les puissances émergentes d'Asie.La classe moyenne y est de plus en plus friande de chocolat, une gourmandise qui reste peu connue à l'est.Conséquence: l'explosion des ventes de l'or brun atteint désormais 20% annuels.
Vous êtes à un salon à Tokyo lors de ce week-end bruxellois du chocolat: où en est le marché en Asie?
Il y a 30 ans, les Japonais ne connaissaient pas le chocolat. C’est la même chose en Corée ou en Chine. J’ai participé à une foire à Seoul dernièrement. On attendait 10.000 visiteurs: il y en a eu 35.000.
Pour vous, c’est un laboratoire?
On met sur pieds des échanges. On teste du chocolat au yuzu ou au thé et on ramène de là-bas autant de secrets qu’on y importe. C’est important: un artisan doit pouvoir se remettre en question.