Danny sert l’Anticrise, une pils à 1€20: «je serais gêné de demander 1,70€»
Danny sert l’«Anticrise», une bière à 1€20. Il estime qu’InBev se moque des cafetiers et des consommateurs. Dans son quartier de Ganshoren, la pils de La Vue de Bruxelles est un succès.
/s3.amazonaws.com/arc-authors/ipmgroup/dcc40ade-bd2d-4162-a4ae-bae33f6f8bd4.png)
- Publié le 01-02-2012 à 14h23
«Si l’Anticrise est bonne ? Elle me fait mourir à petit feu. Viens avec moi à Saint-Luc, cet après-midi: ils vont me faire une prise de sang. Tu vas voir si elle est bonne, l’Anticrise!»
Au pied de la Basilique de Koekelberg, à La Vue de Bruxelles, les tournées pleuvent plus vite qu’ailleurs. Le café ne désemplit pas. Danny Bauweraerts, 13 ans derrière les pompes, y tire «L’Anticrise», une pils à 1,20€. La solution bruxelloise pour contrer les augmentations continuelles d’InBev.
«L'Anticrise, c'est la bière du patron de la Brasserie de Saint-Omer, en France. Au goût, elle est un peu plus amère que la Jupe et tend vers la Stella. Elle me revient à 49,90€ le fût. Soit deux fois moins que les 97€ des pils belges habituelles de chez InBev». Qui vont augmenter de 5,5% en moyenne dès mars, comme le géant belgo-brésilien l'a annoncé ce 31janvier. «Les cafetiers devront répercuter cette hausse sur leur chope: elle coûtera 1,70€ . Pour certains clients, la différence sur une base de 10 verres par jour, ça peut faire beaucoup: 1825€ par an si on compare avec l'Anticrise. Des belles vacances, quoi!»
«Dan, quand t’as le temps, tu m’remets une Anticrise?»
Sur les tabourets ou aux tables, les clients de Danny ont fait le même calcul. « Pour mon portefeuille, ça fait une sacrée différence», appuie Didier, qui redemande sa deuxième blonde au patron. «Je ne fréquente plus que ce bar-ci. Je trouve que l’Anticrise est une très bonne bière. Si je devais boire les autres pils, j’irais moins souvent au café: à 1,70€, je préférerais encore boire ma chope chez moi! Les gens ne peuvent plus se permettre ça: j’espère qu’InBev va voir son bénéfice diminuer!» Au bout du comptoir, on opine alors que Danny remplit les côtelés: «Quand les autres augmenteront, on s’ra toujours aussi saouls, ici!»
Dans le dos de Didier, sur la banquette en skaï, un couple jovial résiste valeureusement à l’envahisseur français. «On a testé l’Anticrise pour s’habituer: elle n’est pas plus mauvaise qu’une autre», concède Alain, comme chez lui à La Vue de Bruxelles. «Seulement, on est trop habitués à la Jupiler. Mais en mars, avec l’augmentation, c’est décidé: on change!»
«Avec InBev, le service, c’est zéro»
Si Danny ne veut pas concurrencer les autres troquets du quartier, il glisse que l’Anticrise lui a sans doute ramené quelques clients. «Surtout des jeunes. Hier soir, j’ai eu des scouts. Ils sont partis à 2h du mat’et n’ont bu que de l’Anticrise».
Le patron est surtout très fier de son village gaulois dressé face à la puissance de la multinationale. Dont il méprise les méthodes. «Ils ont le monopole, ils tiennent les bistrots. Et le service, c’est zéro: ils font payer 150€ pour un nettoyage des pompes. Le prix des matières premières? L’électricité ? Des conneries! La bière, c’est 90% d’eau! Comment y font, alors, à Saint-Omer, pour brasser à moitié prix? Et encore, je compte les intermédiaires de la livraison! Ce qui coûte, c’est le marketing: les beaux logos. Mais le client, il s’en fout du logo. Je serais gêné de tirer une bière à 1,70€.»
Une pils à 1,20€: comment ça marche?La pils à 1,20€ de Danny est en réalité une commande de la FeBeD, la Fédération Belge des Distributeurs de boissons. Ce sont ces grossistes qui ont pris l'initiative de faire développer cette bière et de la proposer aux détaillants. Mais comment une telle différence avec les produits InBev est-elle jouable ?
Olivier Michel, vous représentez la FeBeD. Comment la brasserie de Saint-Omer peut-elle vous fournir une pils 50% moins cher que InBev?
Saint-Omer ne nous vend pas sa pils à un prix horriblement bas. C'est le prix du marché. Ce qui fait la différence avec InBev ou Maes et leurs bières vedette s, c'est le conditionnement, la pub et le marketing: les verres, les gadgets. Pas de ça avec notre bière du patron: vous n'en avez jamais entendu parler. Mais je vous assure que c'est une bière de qualité.
Quand InBev dit que le prix des matières premières ou de l'électricité augmente le prix de la bière, ils mentent?
Je ne dis pas qu'ils mentent: il est indéniable que ces facteurs jouent. Mais je crois qu'ils insistent là-dessus parce que tout le monde comprend ces mécanismes du marché. C'est un peu facile. Je rappelle tout de même qu'InBev a augmenté deux fois en 2011. Ils se justifient aussi en arguant que la bière augmente moins que d'autres biens de consommation comme l'eau, le café ou l'essence. C'est un peu court. Duvel, de son côté, n'augmente pas: c'est un choix stratégique à moyen terme pour soutenir le secteur.
Justement, l'augmentation est-elle dangereuse pour les grossistes?
C'est une très mauvaise nouvelle pour tout le secteur. Qui est déjà touché par d'autres mesures comme la TVA, l'interdiction du tabac, les contrôles de l'AFSCA… Or, nous sommes l'un des derniers secteurs à pouvoir employer de la main-d'œuvre peu ou pas qualifiée. Nous devrions recevoir plus de soutien.
Aujourd'hui, combien de cafetiers proposent votre pils du patron?
C'est difficile à dire. On l'a lancée depuis 2 ans. D'abord en bacs, sous le nom de Freedom. Maintenant en fûts. Les débuts ont été modestes mais ça commence à prendre. Dans ma clientèle, 10 à 15% des revendeurs en commandent. Vu son prix et sa qualité, elle marche également très bien pour les festivités.
Vous faites du lobbying pour la diffuser?
On ne fait que la proposer: nous n'investissons pas dessus pour, justement, conserver ses avantages. Il faut quand même garder une marge. Mais dans les zones modestes, comme c'est mon cas en Hainaut, choisir cette pils devient parfois une évidence.
Chaque jour, retrouvez sur notre site des informations inédites sur Bruxelles.
Si vous désirez recevoir notre newsletter quotidienne d'informations bruxelloises, cliquez ici.