Dans le nouveau simulateur des métros M7 de la STIB : “Y a parfois des p’tits Indiana Jones qui s’aventurent dans les tunnels”
Conduire un métro, c’est se plonger dans un état d’hyperveille. Accélération, frein, ouverture et fermeture de portes : une journée peut ressembler à un long tunnel répétitif. Mais chaque chauffeur de la STIB est prêt à déclencher ses réflexes : ils peaufinent la routine dans un simulateur de conduite ultramoderne. L’engin reproduit les stations du métro bruxellois. Où les formateurs déclenchent jusqu’à 300 incidents différents.
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Publié le 28-03-2023 à 14h07 - Mis à jour le 28-03-2023 à 14h09
Le noir enveloppe le tunnel. Le métro y glisse à 25km/h. Et soudain, après un virage aveugle, trois ouvriers en jaune fluo surgissent dans le champ de vision. Freinage en douceur. L’appareil dépose son museau juste au pied d’un triangle réfléchissant. Les travailleurs libèrent les voies. D’un pas un peu figé. “Et en plus ils tournent le dos aux rails, ce qu’il ne faut jamais faire !”, s’amuse Sandie Balencour, formatrice de conduite métro à la STIB.
C’est que ce n’est pas le véritable tronçon entre Gribaumont et Joséphine-Charlotte que parcourt notre train de la ligne 1, mais sa réplique dans le simulateur de conduite de la STIB. Depuis la nacelle adjacente, la formatrice vient d’y provoquer un incident : des ouvriers sur la voie, ou “OSV” dans le jargon. Ce n’est pas un piège : il est annoncé par un panneau lumineux en entrée de tunnel. D’où la vitesse réduite, car d’habitude, le métro croise à 60km/h.

”Ce nouveau simulateur est beaucoup plus avancé dans la qualité de son imagerie. Toutes les stations ont été modélisées après tournage sur le réseau”, se félicite Sandie Balencour. Ainsi, les stations virtuelles reproduisent l’architecture des vraies. Qu’on reconnaît au premier coup d’œil en y entrant par le poste de commande. “Même les gens sur les quais sont représentatifs”. On le voit dans la station Alma où patientent de nombreux jeunes aux allures d’étudiants. Quoique très rigides. “Dans la vraie vie, ils sont aussi beaucoup plus près de la ligne jaune”, note l’experte, qui connaît chaque plaque métallique et chaque panneau d’affichage des 4 lignes de métro bruxelloises.
Nouvelle signalisation
Ce bijou technologique logé dans un couloir anonyme de la station Delta à Auderghem, la STIB l’utilise depuis plus de 2 ans. Vitesse autorisée, freinage en douceur pour ne pas vous faire basculer, coup d’œil dans les miroirs des quais pour ne pas coincer une poussette dans les portes… : les conducteurs y apprennent le maniement des nouveaux métros M7, en service depuis juillet 2021. En 2023, l’usage de ce “jeu vidéo” est pluriel. C’est ce qu’explique Pieter Cooreman, responsable formation à la STIB. “D’abord, on y forme les nouvelles recrues”. Durée : 40h dans le baquet virtuel. “Ensuite, chaque conducteur de métro y suit deux fois 8h de formation par an. Les malades de longue durée s’y remettent dans le bain”. Les formations permettent d’ailleurs à chaque participant de suivre les manipulations des collègues par écrans interposés. “Enfin, on y simule le passage à la nouvelle signalisation”. Celle-ci est nécessaire au nouveau système de sécurité. Le premier segment concerné sera le “bras” de la ligne 1 entre Aumale et Erasme. Déploiement prévu : “2024”. D’ici-là, on s’exerce à Delta. “Le simulateur est le seul endroit du réseau où on navigue sous la nouvelle signalisation”, sourit le chef. “Le changement se fait à l’arrêt : c’est au conducteur à enclencher le passage entre les deux”.

Le conducteur doit tout gérer, se démerder. Et sans trop de stress. Il y a 1.000 personnes derrière. Et les autres métros qui arrivent.
Certains incidents réels reviennent évidemment plus souvent que d’autres perturber les journées des pilotes. Ce que ne manque pas de simuler Sandie Balencour. “Sur un catalogue de 300 avaries, ce qui arrive le plus, c’est la coupure du 900 volts”. Ça vous est déjà arrivé : c’est quand le métro tombe en rade en plein trajet. “Ça exige une manipulation sur le train, un appel au dispatching et en même temps une communication aux voyageurs : il y a 1.000 personnes derrière, il ne faut pas les faire paniquer”. C’est bien là la différence entre métro d’une part et trams et bus de l’autre : pas question de garer le véhicule et d’attendre les dépanneurs. “Le conducteur doit tout gérer, se démerder. Et sans trop de stress alors que derrière, les autres métros arrivent. Je vous assure : personne à la STIB ne veut devoir gérer une évacuation dans le tunnel”. Ce qu’on évite donc en s’exerçant à Delta.
Hyperveille
Pour Pieter Cooreman, conduire un métro dépasse de loin le passage d’un joystick d’un cran à un autre de l’accélérateur, scandé de boutons d’ouverture et fermeture de portes. Le conducteur de métro doit en effet rester “dans un état d’hyperveille” qui le distingue de l’attention perpétuelle demandée en surface. “Si tout se passe bien, il n’aura aucun incident sur sa journée. Le danger vient de l’anomalie. Comme quand des petits Indiana Jones s’aventurent sur les rails”. Grâce aux heures de simulateur, le réflexe du chauffeur précède alors sa conscience même de l’incident. “On freine avant même de penser à freiner”, assure Sandie Balencour. “C’était le cas en 2022 quand un collègue s’est arrêté juste à temps devant une personne poussée sur les voies”. Mais les gammes n’épargnent pas toute erreur humaine. “La plus fréquente, et de loin, ça reste quand même un feu rouge brûlé”. Et en cas de contestation, le simulateur enregistre tout pour ses élèves : c’est un peu l’arbitrage au VAR du football. “Sur la M7, un grand danger, c’est que le métro peut partir tout seul. Mais il faut accumuler une cascade d’erreurs et d’oublis”. Le simulateur est donc là pour imprimer la routine dans l’inconscient des chauffeurs.

Si tout se passe bien, il n'aura aucun incident sur sa journée. Le danger vient de l'anomalie. Comme quand des petits Indiana Jones s'aventurent sur les rails.
Dans le futur, le M7 doit permettre à la STIB de franchir le pas vers l’automatisation complète de son métro. Objectif : un métro toutes les 2 minutes. Le simulateur sera-t-il sur une voie de garage ? “On n’y est pas encore”, prévient Pieter Cooreman. “Mais à ce moment-là, on peut dire que le mode dépannage deviendra la norme pour certains agents. Le poste de conduite disparaîtra pour laisser davantage de place aux voyageurs. Des strapontins seront ajoutés à la place des commandes. Nous disposerons alors d’un tableau de bord compact logé sous ceux-ci. En cas d’anomalie, l’intervention humaine restera prépondérante”. Tout ça restera répliqué dans le simulateur. Pas de quoi donc remiser “un investissement à 7 chiffres” qui suivra l’évolution du métro de la STIB “pendant 40 ans”.