Avec le fil soluble Resortecs, tout se découd d’un coup: "On assiste déjà à une guerre des matériaux"

La start-up bruxelloise Resortecs a inventé un fil textile qui fond à très haute température. Ce coup de génie séduit les multinationales de la mode en facilitant démontage et recyclage des vêtements. L’impact environnemental et financier est indéniable. La Région bruxelloise y investit 1 million d’euros via finance&invest.brussels.

Si Ariane lui avait donné une pelote du fil conçu par Resortecs, Thésée aurait bien pu ne jamais sortir du labyrinthe. A fortiori dans la fournaise du ciel grec. La mythologie en aurait été bouleversée, comme le sera peut-être l’industrie de la mode. Car la solution conçue par la start-up bruxelloise pourrait bien réserver au gaspillage textile le même sort que le héros au Minotaure.

”Resortecs, c’est une solution qui doit rendre tous les vêtements recyclables”, persuade Cédrick Vanhoeck depuis le Circularium, à Anderlecht, où opère l’entreprise qu’il a fondée en 2017. “Cette solution, elle repose sur deux pans. D’une part, un fil qui combine plusieurs matériaux. Ce fil est thermo-soluble : il se dissout à haute température. D’autre part, un système de démontage thermique : ce four décompose les vêtements assemblés avec du fil Resortecs sans oxydation du coton grâce à l’absence d’oxygène”. Les coutures s’évanouissent et un jean en ressort en pièces détachées : textile, boutons, fermetures éclair… D’après son concepteur, cette haute technologie brevetée assure un rendement “5 fois plus rapide que le démontage manuel actuel”.

La start-up bruxelloise Resortecs a mis au point un fil thermo-soluble: il permet de "démonter" les vêtements qui l'intègrent dès leur conception via passage dans un four à très haute température, sans altérer le tissu. De quoi optimiser leur recyclage en les débarrassant des boutons et zips.
Les marques qui utilisent déjà le fil Resortecs peuvent l'indiquer sur l'étiquette. De quoi guider le recyclage. Et le client qui cherche un vêtement plus vertueux. ©EdA - Mathieu Golinvaux

Les applications sont innombrables. Ainsi, on peut simplement imaginer recycler plus facilement n’importe quel vêtement alors que jusqu’ici, les composants non-textiles constituaient “des désastres” dans la chaîne circulaire. Restera alors à défiler les fibres pour en refaire des bobines. Mais dans le milieu de la mode friand de saisonnalité, on peut aussi envisager de donner une seconde chance aux tonnes d’invendus. Par exemple ? En décousant de pulls et t-shirts un Pokemon à la mode en 2023 pour y recoudre une Reine des Neiges star de 2024. Vous pigez le principe ? Autre usage, dans l’habillement technique : une bande réfléchissante ou un logo abîmés par les lavages sont retirés et remplacés sans déclasser tout le vêtement.

Multinationales séduites…

Visite de la start-up bruxelloise Resortecs par Alexander De Croo à au Circularium de Bruxelles - Cédric Vanhoeck CEO
Cédric Vanhoeck. ©Mathieu Golinvaux
guillement

Combinée aux meilleures technologies de recyclage, la solution Resortecs permettrait à elle seule d'atteindre un quart des objectifs de Paris pour le secteur de la mode.

Sur le plan environnemental, Resortecs n’oublie pas de hisser la voile blanche. D’abord, Cédric Vanhoeck rappelle que “seuls 1 % des matériaux de l’industrie textile sont recyclés”. Lorsque c’est le cas, “52 % du tissu d’origine est gaspillé dans le désassemblage”. Parallèlement, “l’impact CO2 est réduit de 50 % lorsqu’on produit un vêtement avec un vêtement”. Quid de l’eau ? Selon le Water Footprint Network, réseau scientifique qui mesure la quantité d’eau utilisée et polluée par la production de biens, un kilo de coton exige 10.000 litres d’eau. De quoi produire… un t-shirt et un jean. “Notre solution réduit la quantité d’eau nécessaire de 98 %”, assure Cédric Vanhoeck. Évidemment, Resortecs a besoin d’énergie pour alimenter son four. “On maximise le temps d’utilisation pour ne pas gaspiller la chaleur”, promet son concepteur. Qui assure que l’impact CO2 de Resortecs est “50 % moindre qu’une incinération”. Ainsi, un jean cousu avec le fil anderlechtois, démonté et recyclé de façon optimale, permettrait de descendre son impact d’une trentaine (selon les sources) à “7 kilos de CO2”. Pour tout vêtement qui use de la technologie, “la quantité de déchet est réduite de 80 %” par rapport à un démontage manuel. Soit un gain environnemental de “30 % sur l’impact CO2”. L’entrepreneur estime le bonus annuel à “60 millions de tonnes à l’échelle européenne”. Vertueusement utilisée, Resortecs “permettrait à elle seule d’atteindre un quart des objectifs de Paris pour le secteur de la mode. Jusqu’à 1 milliard de tonnes en 2040”. Juste en changeant de fil.

Rayon finances, Resortecs permet évidemment des économies. Que son cofondateur chiffre en milliards. Les marques l’ont bien compris : une cinquantaine d’entre elles testent, voire utilisent déjà les bobines magiques dans leurs usines du Bangladesh, du Vietnam ou d’Europe. Dont Decathlon, H&M ou Bershka. Pas exactement des parangons de l’écologie. “D’accord, mais elles doivent s’adapter aux législations européennes à venir”. Dont celle qui imposera un pourcentage de matière recyclée dans les marchandises. “On assiste déjà à une guerre des matériaux plastiques”, observe Cédric Vanhoeck. “C’est pourquoi Coca-Cola acquiert des acteurs du recyclage pour ses bouteilles”. Dans la mode, le stress devient prégnant sur les stocks de polyester. D’où l’intérêt d’un géant comme Decathlon qui pousse ses recherches sur certains textiles pétrochimiques afin de faciliter leur recyclage. Resortecs coud ainsi des vestes de ski hydrophobes. “Leurs seuls composants non-polyester sont désormais les boutons et zips”. L’ambition des multinationales, aussi peu vertueuse soit-elle à première vue, pourrait permettre à la start-up bruxelloise de générer de nouvelles habitudes : “nous, on veut imposer un nouveau standard. Lancer le système avec ces gros pollueurs peut orienter toute l’industrie vers le circulaire. Pour eux, ce n’est pas un gros changement : ce n’est que du fil. Ils peuvent se lancer maintenant et avancer vite”. D’après le spécialiste, les grandes marques disposent déjà de bancs de recyclage. “Ils étudient désormais le désassemblage. On arrive au bon moment”.

… De Croo aussi

La start-up bruxelloise Resortecs a mis au point un fil thermo-soluble: il permet de "démonter" les vêtements qui l'intègrent dès leur conception via passage dans un four à très haute température, sans altérer le tissu. De quoi optimiser leur recyclage en les débarrassant des boutons et zips.
Le Premier ministre Alexander De Croo estime que l'Europe doit optimaliser les déchets comme ressources et matériaux. ©EdA - Mathieu Golinvaux
Visite de la start-up bruxelloise Resortecs par Alexander De Croo à au Circularium de Bruxelles - Cédric Vanhoeck CEO
Pierre Hermant. ©Mathieu Golinvaux
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C'est un projet qui va changer les comportements dans le monde du textile. On y voit le potentiel pour une success story mondiale.

D’où une levée de fonds de 2,2 millions d’euros, annoncée ce 26 avril en présence du Premier ministre Alexander De Croo. “En Europe, nous avons assez peu de matériaux. Il faut donc voir le déchet comme une ressource, une matière première”, glisse ce dernier. finance&invest.brussels contribue à ce financement à hauteur de 1 million d’euros. “C’est un projet qui va changer les comportements dans le monde du textile”, croit fermement Pierre Hermant, CEO. “À Bruxelles, nous portons l’économie circulaire dans notre cœur. On sait aussi que ça va rapporter de l’argent car il y a un marché. Resortecs a déjà de très gros clients et a le potentiel pour devenir une success story mondiale”.

Comme Thésée à Athènes, Resortecs pourrait bien être couronné roi.

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