"La cuisine de collectivité est considérée comme le bas du panier": comment le Collectif Cantines Durables veut redonner goût au dîner à l’école
Le Collectif Développement Cantines Durables (CDCD) veut revaloriser les dîners scolaires. Leur coordinatrice Sylvie Deschampheleire explique comment sa stratégie peut démarrer par un bol de soupe à 1,50€.
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- Publié le 28-08-2023 à 07h30
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Que mange-t-on dans les cantines scolaires bruxelloises ?
Il n’y a pas nécessairement une cantine dans les écoles. Nous préférons donc parler d'” offre alimentaire”. Quand il y en a une, Bruxelles dispose de tellement peu d’opérateurs que 50 % des écoles font appel à l’intercommunale Les Cuisines Bruxelloises. Interviennent aussi les gros opérateurs de catering industriel. C’est assez typique de tout le système alimentaire des écoles belges.
Quelle conséquence dans l’assiette ?
Du poulet de Pologne, des fruits et légumes du sud de l’Europe, des céréales achetées sur le marché international, comme les viandes et le poisson. Ce système atteint ses limites.
Pourquoi cette situation ?
Les écoles font face à une perte d’infrastructure interne : il n’y a plus de cuisines ni de cuisiniers, ni de réfectoires parfois. Désormais, ce sont des techniciens de surface qui “assemblent” les repas industriels livrés. Ce n’est pas leur métier.

Nous gardons une vision gastronomique de la restauration. La cuisine de collectivité est considérée comme le bas du panier.
Il n’y a plus de “cantiniers” ?
Cette matière n’est plus enseignée chez nous depuis une dizaine d’années. Nous plaidons pour un retour de cette orientation professionnelle dans les formations qualifiantes horeca. Nous gardons une vision gastronomique de la restauration. La cuisine de collectivité est considérée comme le bas du panier. Pourtant, rien n’est facile dans une carrière dans l’horeca. Revalorisées, les collectivités pourraient être vues comme un moyen de concilier vie de famille et exigence d’un haut niveau de cuisine. On a besoin de créatifs pour réinvestir l’école.
Voit-on une différence entre réseaux ?
Ça ne se marque pas vraiment. On constate juste que les directions du réseau catholique ont davantage de liberté.
Et entre nord et sud de Bruxelles ?
Pas de différence non plus. Les disparités se notent plus distinctement lorsqu’on tient compte de l’indice socio-économique des établissements. Dans 25 % des écoles de Wallonie-Bruxelles, la population est touchée par la pauvreté. Ce sont ces écoles qui sont ciblées par les actions “repas gratuits” voulu par le vice-Président de la Fédération Frédéric Daerden. A nos yeux pourtant, tout le système scolaire est défavorisé au niveau alimentaire. Et tous les élèves doivent avoir droit à la top qualité.
Alors que proposez-vous ?
Notre politique comporte trois axes. (1) Une cuisine “pleine de vie”, bio, dans des sols vivants, sans pesticide ni produits nocifs. (2) Une cuisine locale et/ou en circuit court. (3) Une cuisine davantage végétale, avec 25 % de l’offre sans aucun produit animal.
Jouable ? Payable ?
Nous inversons le prisme qui base les repas sur l’assiette avant de budgéter. Nous estimons que le budget d’un repas oscille entre 2,5 et 3,5€ par enfant. Sur cette base, nous proposons 29 concepts de repas, de la soupe au menu complet, qui reposent sur 200 références de produits et pas plus. Le coût des ingrédients y représente de 34 centimes (pour la soupe) à 2,55€ (pour l’assiette adulte 100 % bio). Sur ce postulat, notre action se concentre sur deux formules : un potage-collation sans transiger sur la qualité des légumes d’une part, et d’autre part un accompagnement total pour redéfinir une cantine durable dans l’école sur plusieurs années.

Les effets sont perceptibles ?
Dans les écoles à l’indice socio-économique le plus bas, on arrive parfois dans des cantines où on sert des frites froides ou des chips. Si on les remplace par un bol de soupe de légumes de saison à 50 centimes, qui sait l’impact après une année ? On pourrait avoir un changement de perception dans les mentalités des parents. Et proposer des repas à 2,50 ou 3,50€.
Comment le politique accueille-t-il vos idées ?
Pour transformer les pratiques, il faut toucher à l’opérationnel, à l’équipement. Or, pour l’instant, il n’y a pas de budget. Le Collectif Développement Cantines Durables fonctionne avec 12 ETP. Pour stabiliser cette structure qui accompagne le changement dans les écoles, il faut 1,25 million annuel. Ce n’est pas énorme face aux 50 millions des repas gratuits de M. Daerden. Car il ne suffit pas d’ouvrir le portefeuille et acheter des légumes : il faut former les cuisiniers, stimuler les relations avec les producteurs locaux, revoir les systèmes de facturation, sensibiliser les directions… Il n’y a pas aujourd’hui de prise de conscience de la complexité de cet aspect opérationnel en FWB. Quid par exemple si le repas gratuit fait passer les commandes de 150 à 300 repas quotidiens dans une école et que la cuisine collective du CPAS ne suit pas ?
Doit-on davantage enseigner la cuisine à l’école ?
Bien sûr ! C’est dans les plans d’ailleurs. L’alimentation à l’école, elle enseigne de facto. On peut faire l’expérience de goûter, mais aussi intégrer la cuisine à de nombreuses matières : étude du milieu, géographie, math… Attention : il ne sert à rien de valoriser l’alimentation en cours et de servir n’importe quoi à midi.
La cantine scolaire ainsi revalorisée, c’est un réservoir d’emplois ?
Rien qu’avec nos potages, on a formé 18 fabricants à la production. Pour deux bols par semaine, on en fournit 1 million sur toute l’année, soit un volume de 7 millions de litres. Ce qui correspond à 2 % seulement des écoles fondamentales et secondaires. Ça laisse imaginer le potentiel. Tout ça en soutenant le maraîchage local et la fabrication en insertion socioprofessionnelle ou non.
Mange-t-on mieux dans les écoles étrangères ?
La France n’est pas meilleure que la Belgique. Le Canada non plus, pourtant souvent à la pointe, même si les politiques s’engagent plus fermement. Et en Flandre, c’est encore pire.
La cuisine que vous valorisez réduit aussi les déchets ?
Nous, c’est zéro déchet évidemment. Mais si on valorise le goût, forcément il y aura moins de gaspis.

On ne peut pas exiger une distance maximale pour amener un légume? Très bien, alors exigeons que le fournisseur puisse accueillir tous les enfants sur son champs deux fois par an.
Les marchés publics des communes exigent souvent d’opter pour l’offre la moins chère. Cela complique-t-il votre action ?
Nous avons des astuces pour faire venir en cuisine ce dont on a besoin. On ne peut pas exiger une distance maximale pour amener un légume ? Très bien, alors exigeons que le fournisseur puisse accueillir tous les enfants sur son champ deux fois par an. Ça a un sens pédagogique et c’est donc justifiable dans un appel d’offres scolaire.
Quid du régime halal, qu’on sait délicat à Bruxelles ?
Nous avons décidé de ne pas interroger le critère dans un premier temps. Mais si on sert un repas 100 % végétal trois fois par semaine, on évite la question. Nous l’expérimentons dans 12 écoles de Bruxelles. Dans un second temps, nous allons ouvrir la discussion avec les responsables religieux et les acteurs de la filière pour donner confiance aux familles. Le projet est en cours.
Et l’option végétarienne ?
Nous l’appelons Végéta +. Car nous voulons inciter les cuisiniers à oublier les steaks végétaux au profit d’une augmentation de la diversité des aliments : noix, bonnes huiles, céréales, légumineuses. Plutôt que 10 ingrédients de base comme c’est le cas aujourd’hui, on passe à 40 voire 70. Un steak de korn, de tofu, de seitan, ça reste un steak. On ne va pas apprendre à un chef à cuire un steak. On préfère donc miser sur les bols de saison complets.
Et les enfants, ils aiment ?
Ils sont curieux, ils goûtent. Des légumes cuits au four avec un peu d’huile, aucun enfant ne va refuser. Nous, on les fait expérimenter, déguster. Des zakouskis par exemple. Et la semaine après, si c’est au menu, ils le prendront.
Seulement 14 écoles “Good Food”, primes pour des fruits et légumes
La stratégie Good Food de la Région bruxelloise s’applique aussi à changer les habitudes. Selon le cabinet du Ministre de l’Environnement Alain Maron (Écolo), 15 établissements scolaires ont obtenu le label (13 en maternelle et primaire et 1 seul en secondaire). Une paille quand on sait que la région compte plus de 1.000 établissements francophones.
“Les cantines candidates à la labellisation peuvent bénéficier d’accompagnements et de formations gratuites”. Le cabinet Maron ajoute qu’il “existe des primes pour l’éducation à l’environnement”, via un potager par exemple, et une prime pour la distribution de fruits et légumes aux enfants, jusqu’à 9€/enfant/année scolaire.