Salah Abdeslam: “J’ai fait preuve de respect envers les victimes, j’ai collaboré… Il y a de l’évolution : seul un aveugle dirait le contraire”
Salah Abdeslam veut prouver qu’il a évolué. “Bien sûr j’ai de l’humanité”, assure-t-il devant la cour d’assises de Bruxelles au procès des attentats du 22 mars 2016.
Publié le 24-05-2023 à 09h45
L’audience de ce mardi 23 mai 2023, au procès des attentats du 22 mars 2016, devant la cour d’assises de Bruxelles, a été marquée par l’intervention de Salah Abdeslam, à la suite du long exposé du psychiatre qui l’avait rencontré en novembre 2021. L’accusé a posé plusieurs questions lui-même à l’expert en santé mentale et a pris la parole pour un commentaire après ce témoignage. “Bien sûr j’ai de l’humanité”, a-t-il clamé, évoquant de “l’évolution” dans son cheminement psychique.
Le rapport du docteur Daniel Zaguri a captivé l’attention de la cour durant plusieurs heures mardi après-midi. Tout comme la présentation des expertises psychiatriques des autres accusés, cet exposé a suscité de nombreuses questions parmi les juges, les jurés, les procureurs et les avocats, dans le but de trouver des éléments de réponse à la question qui brûle : “comment un homme si ordinaire a-t-il pu participer à un crime de masse ?”, a ainsi résumé le docteur Zaguri. Bien que très sollicité par les parties pour comprendre les mécanismes psychiques qui peuvent se mettre en place chez un potentiel auteur d’attentat, le médecin a précisé qu’il n’avait pas réponse à tout.
Il alterne entre les postures du petit gars de Molenbeek et celle du soldat de Dieu.
Concernant Salah Abdeslam, l’expert a pu livrer quelques observations, même s’il ne s’est entretenu qu’une seule fois avec lui, durant 2h30. “Il alterne entre les postures du petit gars de Molenbeek et celle du soldat de Dieu”, entre “protestation d’humanité et revendication d’un engagement déterminé”, entre “postures plus authentiques et postures de surenchère”. En d’autres termes, a expliqué le psychiatre “le choix du combat était, à ses yeux, une action de guerre nécessaire liée à l’intervention militaire des Français en Syrie et aux exactions commises par le régime de Bachar el-Assad”, mais il lui disait aussi “ne pas être insensible à la souffrance des victimes” des attentats.
”À chaque question qu’on lui posait, il nous récitait le bréviaire des radicalisés, mais pas comme un perroquet. On sentait que sa carapace n’était pas si solide que ça. On avait l’impression qu’un vacillement, une oscillation était à l’œuvre”, a affirmé le professionnel. “C’est un homme-système comme tous les sujets radicalisés, mais en même temps on sent que ça se lézarde, on entrevoit une légère faillite du système”.
On sentait que sa carapace n'était pas si solide que ça. On avait l'impression qu'un vacillement, une oscillation était à l'œuvre.
Salah Abdeslam s’est engouffré dans la brèche laissée par cet exposé tout en nuance pour assurer qu’il n’est pas “un monstre” dépourvu d’émotions. “Bien sûr j’ai de l’humanité, j’ai fait le bon choix à ce moment-là [en abandonnant la ceinture explosive]. J’ai été jugé de toute façon [au procès des attentats du 13 novembre 2015 à Paris]. Je voulais dire qu’il y a de l’évolution voilà. J’ai fait preuve de respect à l’égard des victimes, j’ai participé aux débats, j’ai collaboré… Ça montre qu’il y a de l’évolution, seul un aveugle dirait le contraire”, s’est-il exprimé.
”J’essaie de construire un avenir malgré le calvaire que j’ai subi en France [soit une incarcération en régime strict], et malgré toutes ces choses que j’ai sur les épaules et avec lesquelles je dois vivre. J’ai perdu un frère, j’ai ma famille qui est détruite, j’ai un avenir incertain, mais j’essaie de me battre, de rester vivant”, a-t-il encore dit.
J'ai perdu un frère, j'ai ma famille qui est détruite, j'ai un avenir incertain, mais j'essaie de me battre, de rester vivant.
Mardi, la cour a également entendu plusieurs témoins de moralité de l’accusé Hervé Bayingana Muhirwa. L’un de ses cousins l’a décrit comme “une personne serviable” et “plutôt introvertie”. Au sujet du fait qu’il se serait radicalisé, le témoin a dit toute son incompréhension. Sa conversion à l’Islam “ressemblait au départ à un 'caprice de jeune'. Il était discret sur le sujet. […] Il répondait de manière évasive, en souriant. Et, personnellement, je ne l’ai jamais entendu faire du prosélytisme ou essayer de convaincre qui que ce soit”, a-t-il dit. “Rien ne laissait envisager la suite. On ne connaît jamais vraiment intimement les personnes, mais au vu de ce que je savais de lui, de sa situation familiale plutôt équilibrée… Vraiment, je ne comprends toujours pas”.
Un pasteur, proche de la famille Bayingana Muhirwa, s’est quant à lui attardé sur le traumatisme du génocide au Rwanda qu’a vécu l’accusé. Pour ce dernier, le Laekenois de 38 ans est un rescapé de guerre, un “traumatisé qui s’ignore”, qui avait besoin d’un entourage et s’est tourné vers l’Islam. Selon lui, il a fait des “erreurs de jugement” en côtoyant des personnes radicalisées, mais il serait “injuste de lui faire porter le poids des attentats”.