Mais au fait, comment sont dessinées les mailles Good Move ? “Un carrefour, c’est presqu’un être vivant”

Good Move, sujet brûlant à Bruxelles. Ses opposants reprochent souvent à ces plans de mobilité hyperlocaux d’être parachutés par des experts “hors sol” sans tenir compte “des réalités des quartiers”. Deux consultants qui planchent sur ces mailles décryptent leur méthode. Et contredisent certaines idées reçues.

La chaussée de Haecht, l'avenue Rogier et la rue Royale Sainte-Marie, à Schaerbeek, font partie de la maille Colignon/Josaphat du plan Good Move. Plusieurs de ces axes ont vu leur circulation modifiée par le plan.
La chaussée de Haecht, l'avenue Rogier et la rue Royale Sainte-Marie, à Schaerbeek, font partie de la maille Colignon/Josaphat du plan Good Move. Plusieurs de ces axes ont vu leur circulation modifiée par le plan. ©EdA - Julien Rensonnet

”Nous voulons agir sur le trafic de transit. Ce trafic qui veut éviter les grands axes. L’objectif de Good Move, c’est de diminuer de 30 % le trafic routier à Bruxelles. Et donc lutter contre le trafic de transit”.

Alexandre Van Pestel est administrateur du bureau bruxellois Espaces Mobilités. Avec ses collègues, cet expert a travaillé sur les mailles Good Move Colignon-Josaphat à Schaerbeek ou Dieleghem à Jette, l’un des axes de ce fameux plan régional de mobilité. Avec des fortunes diverses. L’homme a donc un avis autorisé sur le très polémique plan régional alliant urbanisme et mobilité pour apaiser les quartiers. Loin de certaines impressions, il nous explique à quel point les plans locaux, parfois violemment remis en question par les riverains ou les tenants de la voiture, ne tombent pas de nulle part.

Suivi GPS

Tout projet démarre par la récolte de données sur le terrain, en plus du retour d’expérience des riverains et élus. “La base de notre travail, c’est l’objectivation. On ne peut pas se baser uniquement sur le ressenti”, appuie Alexandre Van Pestel. Des comptages existants sont récupérés. Ou de nouveaux comptages entrepris. La société Stratec, alliée à Espaces Mobilités pour les 2 mailles précitées, est spécialiste de ce genre de comptages. “Relevés de vitesse des radars policiers, comptages des véhicules par caméras ou tubes sur sections de rues, comptages des piétons, historiques de vitesses de parcours des transports publics… On récolte un paquet de données”, assure Éléonore Baranger, consultante mobilité chez Stratec. Qui doit disposer d’observations relevées 7 jours sur 7, 24h sur 24.

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La base de notre travail, c’est l’objectivation. On ne peut pas se baser uniquement sur le ressenti.

En 2023, les statistiques reposent aussi sur les données GPS. Ce sont les “floating car data”. Anonymes, elles sont précieuses car, en plus du nombre, elles indiquent la vitesse et, surtout, la provenance de chaque véhicule. De l’or en barre pour construire une maille Good Move. “Elles peuvent être fournies par une entreprise comme Be-Mobile, qui trace les GPS embarqués dans les voitures”, catégorise Éléonore Baranger. “Nous leur achetons un accès à une plateforme qui nous permet de sélectionner les rues souhaitées. On peut aussi exporter les données à l’échelle de la région”. Ainsi, dans la maille Colignon-Josaphat, le “floating car data” a pu fournir une analyse pointue des provenances et directions à l’épineux carrefour Haecht/Rogier.

La chaussée de Haecht, l'avenue Rogier et la rue Royale Sainte-Marie, à Schaerbeek, font partie de la maille Colignon/Josaphat du plan Good Move. Plusieurs de ces axes ont vu leur circulation modifiée par le plan.
L'épineux carrefour Haecht/Rogier a été modifié par la maille Good Move Colignon/Josaphat: la chaussée de Haecht n'est plus accessible que dans un sens. ©EdA - Julien Rensonnet

Transit, vraiment ?

Les enseignements de ces relevés peuvent contredire certaines intuitions. Ainsi, “on y distingue très bien le trafic de transit du trafic local, généré par les gens du quartier”, assure Alexandre Van Pestel. Avec certaines surprises : “Sur Colignon-Josaphat, les données montrent que 50 % du trafic mesuré roule moins de 5km”. Ce qui est assez peu pour un voyage en voiture. “Les chiffres sont similaires sur toute la Région”, renchérit Éléonore Baranger. “30 % du trafic roulent moins de 2km”.

Confronter de tels chiffres aux ressentis des riverains et des autorités lors des phases de participation peut donc vite devenir épineux. On comprend aussi pourquoi, politiquement, il est moins risqué de s’attaquer au transit qu’au trafic local. Surtout qu’on souligne sans arrêt que les Bruxellois sont peu motorisés avec 0,58 voiture par ménage pour 1,14 en Flandre et 1,11 en Wallonie selon Statbel. Baranger sourit : “N’oublions pas la densité : moins de voitures par ménage, ça reste toujours beaucoup de voitures à Bruxelles. Mais oui, ces données permettent de discuter de l’intérêt du report modal avec habitants et dirigeants car ces courtes distances impactent immédiatement les territoires concernés”. L’experte avoue que “le moment le plus délicat, c’est quand on demande aux riverains d’imaginer concrètement les conséquences d’un potentiel sens interdit”. Ça se corse encore quand les consultants souhaitent modéliser les scénarios les plus ambitieux à long terme, par exemple en installant des verrous à l’embouchure de certaines rues. Si Ixelles a réussi l’examen à Flagey, on a vu à Anderlecht et Schaerbeek que certains n’hésitent pas à les faire sauter eux-mêmes.

Le "floating car data" permet aux experts en mobilité de déterminer d'où viennent et où vont les automobilistes depuis un carrefour ou un axe donné. Et ainsi trier le transit du trafic local.
Le "floating car data" permet aux experts en mobilité de déterminer d'où viennent et où vont les automobilistes depuis un carrefour ou un axe donné. Et ainsi trier le transit du trafic local. ©EdA - Julien Rensonnet
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30% du trafic bruxellois roule moins de 2km. Ce qui permet de discuter de l’intérêt du report modal avec habitants et dirigeants car ces courtes distances impactent immédiatement les territoires concernés.

Évidemment, les statistiques dans les disques durs se doublent d’un diagnostic de terrain avec les services mobilité et urbanisme communaux. “Ils pointent les endroits problématiques”, résume Van Pestel. Baranger abonde : “On ne part pas de zéro : les communes ont leurs propres diagnostics. Elles connaissent les points noirs”. D’autres mesures de terrain s’ajoutent, comme le comptage des passagers qui montent et descendent de bus ou celui des piétons sur les passages. “L’agence du commerce hub.brussels dispose aussi de statistiques dans les rues commerçantes”, note l’expert d’Espaces Mobilités. Et il ne faut pas oublier le stationnement. Son enjeu est crucial selon la consultante Stratec qui, de Molenbeek à Woluwe, se retrouve régulièrement à additionner les parkings vides et occupés à 5h du mat. “On doit aussi mesurer la durée de stationnement”.

Évaporation

Des modèles sont calculés. Chaque option éprouvée. Chaque report de trafic potentiel évalué. “Un carrefour, c’est presqu’un être vivant”, image Alexandre Van Pestel. “L’inconnue, c’est l’adaptation des comportements”. Et la fameuse évaporation du trafic : “la circulation ne se déplace pas à 100 % d’un carrefour à l’autre : certains changent d’heure, d’autres de route, d’autres encore de mode de transport”.

Enfin, les bureaux adressent leurs recommandations. “Nous offrons de la consultance”, insiste Éléonore Baranger. “Nous fournissons plusieurs options. La décision finale revient toujours au politique”. Le monitoring des mesures permet aussi de les affiner. Conscient du marasme émotionnel désormais inhérent à Good Move, Alexandre Van Pestel estime qu'” on ne peut pas reprocher à la Région de ne pas être ambitieuse”. Il rappelle que les quartiers apaisés sont “des moyens rapides pour réduire à court terme les nuisances sonores, les émissions de CO2, l’encombrement et les risques de la vitesse”. On est loin des années que demandent d’autres mesures, tels les parkings de délestage. Le spécialiste reconnaît : “parfois, il faut être honnête, le riverain devra faire un détour tant les quartiers sont complexes”. Il juge primordial de donner le temps aux mesures avant de tout bazarder. “Chaque maille est un puzzle qui prend son sens quand toutes les pièces sont assemblées. Quoiqu’il arrive, on passera par une période chaotique, comme dans tous les grands projets. Il ne faut pas croire le contraire. Mais il faut se lancer”.


Les limites des mailles Good Move

Selon Alexandre Van Pestel, d’Espaces Mobilités, les mailles Good Move telles qu’initialement prévue présentent certains écueils.

La chaussée de Haecht, l'avenue Rogier et la rue Royale Sainte-Marie, à Schaerbeek, font partie de la maille Colignon/Josaphat du plan Good Move. Plusieurs de ces axes ont vu leur circulation modifiée par le plan.
Les modification des bords de mailles Good Move impactent tous les modes de transport: automobilistes, mais aussi STIB ou cyclistes. ©EdA - Julien Rensonnet
  1. Des mailles trop grandes : “Par exemple, Colignon-Josaphat présente une superficie énorme. On l’a donc divisée en 3 sous-quartiers”.
  2. Les bordures de mailles, enjeu complexe. Les périmètres des mailles correspondent généralement à des grands axes. “Or, tous les transports s’y retrouvent”. Y repousser le transit peut dès lors impacter STIB et autres modes. “Par ailleurs, il y a des habitants sur ses axes. Ils doivent accepter le trafic supplémentaire, mais on ne peut pas y renvoyer des centaines de voitures”. D’où cet objectif de réduire la pression automobile sur la ville “via les différents piliers de Good Move, pour impacter au minimum les bords de mailles. D’autant que la voiture n’est pas dominante dans les foyers à Bruxelles”. Conclusion : “c’est la pression automobile extérieure à Bruxelles qu’il faut faire baisser”.
  3. La qualité de l’espace public, une vraie plus-value. “Si on ajoute une contrainte dans un quartier, on ne peut pas se contenter de jouer avec des sens uniques où tout le monde se perd”. Il faut que riverains et usagers sortent gagnants, “par exemple “en verdurisant, en requalifiant l’espace public mais aussi en améliorant l’efficacité pour les autres modes de transport comme la STIB, la marche et le vélo”.
  4. Un équilibre délicat. “Plus on contraint, plus on apaise. Mais en même temps, plus on complique l’accès des riverains aux écoles, aux commerces… Il faut manier finement le curseur”.
  5. La participation restera minoritaire. “On ne peut obliger personne à participer à l’élaboration, mais sans doute doit-on toucher les riverains davantage en amont. Trop de gens passent à côté de l’info ou ne s’y intéressent pas. 50 à 100 participants sur un atelier, c’est déjà un succès. Il ne faut pas non plus être démago : on ne peut pas rencontrer tout le monde”. Mais le processus actuel ne prêche-t-il pas que des convaincus ? “Au début, comme souvent dans toutes les études, ce sont surtout les gens motivés qui participent et veulent aller encore plus loin. Et à la fin, ce sont les opposants qui arrivent”. Dans certains cas, le débat est aussi parasité par les desiderata personnels : “On est le réceptacle de toutes les frustrations”.
La chaussée de Haecht, l'avenue Rogier et la rue Royale Sainte-Marie, à Schaerbeek, font partie de la maille Colignon/Josaphat du plan Good Move. Plusieurs de ces axes ont vu leur circulation modifiée par le plan.
Difficile pour l'heure de se féliciter de la qualité de l'espace public dans la chaussée de Haecht mise à sens unique. Mais le processus est en marche. ©EdA - Julien Rensonnet

Tous les experts pratiquent Bruxelles au quotidien

L’ambition du Gouvernement régional avec Good Move, c’est de recouvrir les 161,32km2 de la Région bruxelloise maille après maille. Objectif : 2030. Dans l’accord de 2020, le territoire a été découpé en 50 mailles. Le rythme de croisière prévu est de lancer chaque année 5 appels à projets pour 5 nouvelles mailles. Ceux-ci dépendent donc des volontés communales.

Après sélection assurée par le politique, les dossiers échoient aux consortiums de bureaux d’études. Certaines boîtes sont en effet davantage spécialisées en mobilité, d’autres en aménagement d’espaces publics, d’autres encore en faisabilité, en communication ou en participation. Les consortiums doivent répondre aux appels à projets. S’ils sont sélectionnés, ils ne peuvent prétendre à la vague suivante.

D’après nos interlocuteurs, deux des 3 consortiums déjà mandatés “sont 100 % bruxellois”. Et tous pratiquent Bruxelles au quotidien pour y vivre et y travailler. Une réponse à ceux qui suspectent le parachutage de spécialistes “hors sol” et peu au fait des réalités de la capitale.

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