Trottinettes : plutôt que l’interdiction comme à Paris, Bruxelles parie sur la drop zone

Les habitants de Paris ont voté pour l’interdiction des trottinettes électriques dans leurs rues. Bruxelles n’embraye pas : un texte doit bientôt venir mettre de l’ordre sur les trottoirs. Son outil principal : la drop zone. En attendant, opérateurs et clients slaloment dans la diversité des règles communales.

Les employés bruxellois de l'opérateur de trottinettes et vélos électriques partagé Tier doivent régulièrement redresser des dominos de véhicules.
Les employés bruxellois de l'opérateur de trottinettes et vélos électriques partagés Tier doivent régulièrement redresser des dominos de véhicules. La drop zone généralisée, souhaitée par les opérateurs, devrait limiter ces désagréments. ©EdA - Julien Rensonnet

”Les opérateurs et les clients s’en foutent complètement”.

Le Bourgmestre d’Uccle “ne demande pas la lune”. Il souhaite juste que les piétons “ne soient pas obligés d’enjamber des trottinettes” à chaque coin de rue. Mais “depuis deux ans” qu’il alerte, Boris Dilliès (MR) estime que “rien n’a bougé au niveau régional”. Alors il a “simplement” fait appliquer le Règlement Général de Police, valable sur les 19 communes de la capitale : “il stipule que le cheminement piéton ne peut pas être obstrué”. Conséquence : chaque trottinette encombrante est enlevée par les services communaux. Coût pour l’opérateur : 250€. La mesure remonte à 6 mois. Et depuis lors, “les opérateurs ont désactivé la possibilité de stationner leurs trottinettes sur Uccle”. Boris Dilliès devient donc de fait le premier Bourgmestre à ne plus tolérer les très décriés engins de micromobilité. “Mais je n’ai dû mettre en place aucune interdiction”.

Des trottinettes électriques partagées stationnées sur une dropzone de Bruxelles.
1000 drop zones sont attendues à l'été selon la Région. Et 3.000 à terme. ©EdA - Julien Rensonnet

Le libéral note qu’à “Copenhague ou Amsterdam, villes innovantes en termes de mobilité, on ne voit pas tout ce bazar”. Aussi n’est-il pas surpris par la votation parisienne qui enterre les trottinettes. “Bien sûr ce sont ceux qui sont contre qui se sont déplacés”. Même son de cloche du côté de Woluwe-Saint-Pierre. “Le vote est-il représentatif ? On peut s’interroger sur sa forme”, concède Alexandre Pirson, échevin de la Mobilité (Les Engagés). “Mais sur le fond, c’est interpellant. C’est clair : c’est un sujet qui clive”. L’élu Les Engagés en sait quelque chose : sa commune de l’ouest bruxellois fait partie des pionnières en matière de lutte contre les nuisances des trottinettes. “Nous avons instauré la première drop zone en 2019”. Il s’agit de ces emplacements destinés à la micromobilité, similaires aux places de parking des voitures. Une ordonnance validée au Parlement bruxellois en 2022 en impose l’usage. Sa traduction en arrêté est en cours. “L’ambition, c’est que les communes verrouillent l’usage petit à petit”, confirme-t-on au cabinet de la Ministre de la Mobilité Elke Van den Brandt (Groen). “On a prévu 1.000 drop zones d’ici l’été”. À terme, il ne devrait plus être possible de terminer une course hors drop zone. “Et si ça fonctionne, si les cheminements piétons ne sont plus obstrués, il n’y a aucune raison de se priver de ce moyen de transport”. L’ordonnance en prévoit 3.000.

Slalom

Saint-Gilles fait partie des communes bruxelloises qui implémentent les drop zones destinées aux vélos et trottinettes électriques partagées.
Saint-Gilles fait partie des communes bruxelloises qui implémentent les drop zones. ©EdA - Julien Rensonnet

Dans l’attente, les communes slaloment entre les mesures. Usagers et opérateurs aussi. “La Région tend vers la généralisation des drop zones et c’est positif”, avance François-Xavier Giraud, city manager bruxellois pour l’opérateur Tier. Qui s’empresse de nuancer : “Il faut que le maillage soit dense et bien pensé, ce qui n’est pas le cas partout”. La Région recommande certaines bonnes pratiques. Mais les communes ne suivent pas toujours. A Berchem-Sainte-Agathe, Koekelberg et Evere, il est déjà est impossible d’arrêter sa course hors drop zone. Ailleurs, l’usage reste mixte. Woluwe-Saint-Pierre avance sur le dossier, comme Saint-Gilles ou la Ville de Bruxelles. “Plaisirs d’Hiver a servi de laboratoire. Maintenant, on cible la rue Neuve et certains quartiers commerçants”, y détaille le cabinet de l’échevin de la Mobilité Bart Dhondt (Groen). “Mais l’étendue du territoire et sa disparité font que ça ne se fera pas en une nuit”. Et le flou persiste. “La compréhension des mesures reste compliquée pour l’utilisateur”, déplore François-Xavier Giraud. “Parfois, la règle change en passant d’un trottoir à l’autre”.

 François-Xavier Giraud, manager de l’opérateur Tier à Bruxelles: «
François-Xavier Giraud. ©ÉdA – Julien RENSONNET
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Parfois, la règle change en passant d'un trottoir à l'autre.

Woluwe-Saint-Pierre compte aujourd’hui 160 drop zones. La volonté de la commune est de compléter cet équipement tout en laissant la porte ouverte au stationnement libre. “L’été 2023 servira de test”, pense Alexandre Pirson. “On espère que ça va prendre. Mais si les plaintes explosent, on imposera la drop zone” pour terminer les voyages. L’édile ne veut pas en arriver à une interdiction totale à la uccloise : “ça serait dommage, c’est un maillon important dans la politique de mobilité”. Les autorités sanpétrusiennes pratiquent déjà tout un arsenal de “signaux dissuasifs” : des frais d’enlèvement à 80€ additionnés de 5€ par jour d’entreposage. “Ce n’est pas pour la rentabilité : c’est ce que nous coûte l’enlèvement”, précise Pirson. Moins douloureux que les 250€ ucclois. Là encore, l’arrêté qui traduit l’ordonnance mettra de l’ordre avec un tarif généralisé : 25€ le déplacement, 80€ l’enlèvement, 10€ par jour de stock.

Alexandre Pirson echevin de la mobilité a Wolluwe saint Pierre nouvelle bornes de recharge
Alexandre Pirson. ©Bernard Demoulin
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80€, ce n’est pas pour la rentabilité : c’est ce que nous coûte l’enlèvement.

Des trottinettes et vélos électriques partagés enlevés lors d'une opération communale à Woluwe-Saint-Pierre.
Woluwe-Saint-Pierre organise des tournées d'enlèvement des trottinettes encombrantes, et facture chaque prise à 80€. Les opérateurs ne répercutent pas toujours cette redevance au client. ©EdA - Julien Rensonnet

Chez Tier, François-Xavier Giraud avoue que ces pénalités “coûtent plusieurs milliers d’euros par mois”. Et sont difficiles à répercuter à l’usager : “souvent, ce sont des passants ou des enfants qui déplacent les trottinettes. Si la photo de notre usager prouve qu’il a bien rangé l’engin, on ne peut pas lui facturer la redevance”. Et le manager bruxellois de grincer : “les redevances ne devraient pas varier autant. C’est parfois disproportionné. À Uccle, c’est plus cher qu’une voiture mal garée mise en fourrière : ça n’a aucun sens”. Les opérateurs plaident pour investir les places de stationnement juste en amont des passages piétons, “contraires au code de la route”. De quoi éloigner les enfants des engins.

2,6km par trajet

Autre moyen de diminuer l’encombrement : peser sur le nombre de trottinettes. “C’est prévu dans l’ordonnance”, rappelle le cabinet Van den Brandt. De 20.000 en 2023, les trottinettes devraient progressivement descendre aux alentours de 15.000. Tier, qui opère 4.000 trottinettes à Bruxelles, salue la volonté régionale de revoir ses critères de sélection “sur le mode des appels d’offres” et non sur “les performances” des différents concurrents : “se baser sur le nombre d’utilisateurs, ça pénaliserait les derniers opérateurs arrivés et engendrerait une guerre des prix”.

Des trottinettes électriques partagées stationnées dans une rue de Bruxelles.
À Paris, les chiffres montrent que ce sont surtout les transports en commun qui pâtissent de l'usage des trottinettes. ©EdA - Julien Rensonnet

Reste une inconnue dans le débat : à Paris, le peu d’efficacité des trottinettes sur le report modal des automobilistes a été souligné. Selon l’Observatoire Parisien de Mobilité, ce sont surtout les transports en commun (34 %) et la marche (29 %) qui pâtissent de la trottinette, pour seulement 2 % à la voiture personnelle. Le chiffre passe à 19 % si on englobe tous les modes motorisés (taxis, scooters…). À Uccle, Boris Dilliès paraphrase : “75 % des utilisateurs ne renoncent pas à la voiture. La trottinette est un désastre environnemental, qui nous vient de Chine par containers entiers”. Les chiffres bruxellois qui pourraient corroborer cette idée ne sont pas encore publics. Les dernières statistiques recueillies dans la capitale nous disent cependant qu’entre février 2021 et 2022, le nombre de voyages quotidiens en trottinettes électriques partagées a bondi de… 554 %. Ce qui donnait 18.912 voyages par jour. Et une moyenne de 1,53 trajet par trottinette chaque 24h. Distance parcourue en moyenne par trajet : 2,6km. Soit une demi-heure de marche. Dilliès : “On nous fabrique une génération d’obèses”.

Des trottinettes électriques partagées stationnées dans une rue de Bruxelles.
La Région bruxelloise va progressivement diminuer le nombre de trottinettes dans ses rues. L'objectif est d'avoisiner les 15.000 engins. ©EdA - Julien Rensonnet

La vitesse trop bridée ?

L’autre volet qui questionne quant aux trottinettes, c’est leur vitesse parfois jugée excessive. Et dangereuse. L’ordonnance bruxelloise a prévu de réduire celle-ci. Et du même coup, les risques qui en découlent.

Une campagne de com est en cours pour inciter les utilisateurs à plus de prudence”, rappelle-t-on au cabinet d’Elke Van den Brandt, Ministre bruxelloise de la Mobilité (Groen). Surtout, “la vitesse des trottinettes est bridée depuis l’été passé”. On navigue désormais à 20km/h dans Bruxelles, et on descend à 8km/h sur les zones piétonnes de la zone Unesco-De Brouckère du Pentagone ou de la chaussée d’Ixelles. “Il fallait trouver un moyen d’éviter les conflits grandissants”.

Les trottinettes sont bridées à 8km/h sur le piétonnier de Bruxelles et sa zone Unesco.
Les trottinettes sont bridées à 8km/h sur le piétonnier de Bruxelles et sa zone Unesco. ©EdA - Julien Rensonnet

Du côté des opérateurs, on estime que ces limitations pourraient être mieux pensées. “Certains utilisateurs ont été impactés car les seuils ont changé très précipitamment en juillet 2022”, regrette François-Xavier Giraud, city manager pour Tier. “En centre-ville, sur le piétonnier, la limitation à 8km/h nous semble exagérée la nuit. Car c’est le chemin le plus direct. Sur la chaussée d’Ixelles, un danger survient de la différence de vitesse avec les bus, les vélos et les trottinettes privées qui, elles, ne sont pas bridées”.

Le responsable de Tier plaide donc pour une limitation variable selon les horaires. “15km/h la nuit nous semble un compromis plus intelligent”.

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