Bientôt des éoliennes sur les toits de Bruxelles ? "Dans les villes, il y a des canyons urbains"

La ville bénéficie d’un potentiel de production d’énergie propre encore non exploité : le vent. Pour autant que les études confirment leur bien-fondé, des éoliennes de petite taille pourraient venir enrichir le mix énergétique de la capitale.

Li. B.
Energie éolienne urbaine
Energie éolienne urbaine ©D.R.

Verra-t-on se dresser un jour des éoliennes en haut des tours du quartier Nord, le long du canal, dans les espaces verts, sur les toits de bâtiments industriels ou encore sur ceux des habitations bruxelloises ? La question peut sembler incongrue, elle est pourtant bel et bien d’actualité. “En fait, on n’y pense même pas !”, entame Alessandro Gambale, cofondateur de BuildWind. “On n’y pense pas parce qu’il n’existe actuellement pas de données fiables sur les capacités de production d’énergie éolienne dans la capitale”, poursuit-il. Nul ne sait dès lors juger de la pertinence d’investir dans ce type d‘énergie renouvelable, comme on le fait pourtant déjà avec le photovoltaïque.

"Il n’existe actuellement pas de données fiables sur les capacités de production d’énergie éolienne dans la capitale”

Cette question fait précisément l’objet de recherches poussées que mènent conjointement BuildWind et la faculté d’architecture de l’UCLouvain dans le cadre du projet Wind Energy in Brussels (WEB). Soutenu par Innoviris, il fait partie des sept initiatives de recherche et développement sur lesquelles mise, cette année, la Région bruxelloise pour parvenir à la décarbonation de l’énergie pour, par ce biais notamment, atteindre une réduction de 47 % de ses émissions de gaz à effet de serre de la Région d’ici à 2030 (par rapport à 2005).

Energie éolienne urbaine
Un exemple de modèle d'éolienne urbaine. ©D.R.

Modéliser la ville et simuler les conditions météo

“Comme pour toutes les énergies renouvelables, il est difficile de prédire avec certitude la production d’énergie éolienne en ville”, explique Alessandro Gambale. Pour une question d’interdépendance, tout doit être analysé au cas par cas : chaque maison, chaque quartier…” Voilà probablement l’une des raisons pour lesquelles personne ne s’était encore lancé dans ce laborieux – et coûteux – exercice.

Pour y parvenir, le projet WEB a choisi la voie du numérique, au départ d’un modèle de cartographie 3D de la ville déjà existant. “La première étape est cependant de le corriger et de l’améliorer”, précise Alessandro Gambale. Notamment avec des détails géographiques essentiels sur l’occupation des toits (des installations préexistantes empêchent-elles celles de turbines ?) Ce modèle, une fois mis à jour, sera alors croisé avec les données météorologiques récoltées à Zaventem ces 30 dernières années. À cet égard, “on dispose d’outils matures pour simuler le vent en ville”, assure l’ingénieur.

Du potentiel…

Il y a très probablement un potentiel non exploité à Bruxelles”, poursuit-il. Comparable à une ville comme Rotterdam, où le projet éolien est un rien plus avancé, Bruxelles dispose d’un atout de taille : celui de la “direction relativement constante du vent”, soulève Alessandro Gambale. Cela facilite indéniablement les choses : une fois que les lieux soumis aux vents sont ciblés, ils ne changent plus fondamentalement.

Bruxelles est par ailleurs caractérisée par sa densité. Si cela peut sembler être un inconvénient à la production d’énergie éolienne, ce n’est pas tout à fait exact. “Lorsque l’on détermine la capacité éolienne, il convient de prendre en considération la vitesse du vent et les turbulences, c’est-à-dire la capacité des bâtiments à accélérer ou à freiner le vent”, analyse M. Gambale. La forme d’un toit peut, par exemple, accélérer le vent au bénéfice d’une turbine idéalement placée. La densité du bâti a donc un impact considérable sur le potentiel de l’éolien en ville.

Le vent étant plus fort en altitude, on pourrait placer des éoliennes en haut des tours. Par ailleurs, “dans les villes, il y a des canyons urbains” : ces avenues qui fonctionnent comme un corridor dans lequel s’engouffre le vent. “Le canal pourrait être un bon endroit pour placer des éoliennes. Imaginez successivement : une éolienne, un lampadaire… ”. Les toits des bâtiments industriels, “très présents à Anderlecht ou à Molenbeek” sont aussi des lieux au potentiel intéressant. “En réalité, chaque toit, pour autant qu’il soit bien localisé, a du potentiel, au même titre que les espaces verts, plus dégagés”, souligne Alessandro Gambale.

Energie éolienne urbaine
Un exemple de modèle d'éolienne urbaine. ©D.R.

Et des limites

Il y a cependant des limites à l’éolien. Comme on l’a dit, la densité de la ville est aussi une contrainte puisque les bâtiments se protègent mutuellement du vent. En outre, à Bruxelles, “la plupart du bâti est bas”, soulève M. Gambale. La force du vent sur les toits y est dès lors moindre. Et “dans le cas où on voudrait installer plusieurs éoliennes, ou des éoliennes plus hautes, il faudrait prendre en compte la stabilité des bâtiments”, ajoute-t-il.

“Dans une ville au large patrimoine immobilier”, les contraintes urbanistiques ne sont pas négligeables non plus. “Avec de nombreux bâtiments historiques, il n’est pas toujours possible d’installer des éoliennes là où elles seraient pourtant les plus efficaces”, concède Alessandro Gambale.

Les limites peuvent enfin être d’ordre psychologique : l’éolien vient avec son lot de nuisances visuelles et sonores, soulèvent souvent ses détracteurs. Ces impacts aussi, seront analysés. Les éoliennes urbaines sont cependant différentes de celles que l’on voit à la campagne : elles mesurent de 1 à 3 mètres de haut ; les pales sont placées verticalement. Dans des conditions d’exposition au vent idéales, une éolienne urbaine développe une puissance nominale de 1500W. "Les puissances réelles ainsi que le temps pendant lequel cette puissance sera produite dépendent fortement des conditions locales du vent : vitesse, direction et turbulence", souligne toutefois M. Gambale.

Quel bénéfice pour l’environnement ?

Plus globalement que la mesure du potentiel éolien, les chercheurs veulent déterminer quel serait le bénéfice, pour l’environnement, de l’installation d’éoliennes. Cela nécessite de prendre en compte l’entièreté de leur cycle de vie : de leur production à la gestion de leur fin de vie.

Si l’étude se limite à fournir des données fiables endéans les deux ans, celles-ci serviront surtout à qui voudra s’en saisir : les pouvoirs publics pourraient décider de subsidier cette énergie au même titre que le solaire ; l’industrie comme les entreprises pourraient y voir un potentiel de développement économique…

L’éolien pourrait ainsi venir en complément des autres sources d’énergie, en fonction du potentiel qu’offre chaque bâtiment. Idéalement, il faudrait d’ailleurs “avoir une stratégie globale dès la construction d’un bâtiment afin d’en améliorer l’efficacité énergétique et la production d’énergie”. Et si cela n’est plus possible pour le bâti existant, ça le reste pour les nouvelles constructions.


Le quartier Nord à l’étude

Pour se faire une idée de ce à quoi on peut s’attendre en termes de production énergétique, WEB se focalise sur deux quartiers représentatifs et aux contextes différents : d’abord le quartier Nord et, ensuite, un quartier à déterminer dans la commune d’Ixelles. L’objectif est de pouvoir appliquer les résultats à d’autres communes, espèrent les chercheurs.

“Le quartier Nord présente l’avantage d’avoir de hautes tours, qui plus est gérées par un propriétaire, ce qui facilite les choses”, précise Alessandro Gambale. Cette étude s’inscrit dans une dynamique positive puisque “la Ville de Bruxelles souhaite que ce quartier devienne à énergie positive”, donc produise plus d’énergie qu’il n’en consomme.

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