”Non, un renard qui n’a pas peur de l’humain dans un jardin de Bruxelles, ce n’est pas anormal” : Thomas Jean prône la cohabitation avec le sauvage
Le fondateur de la chaîne YouTube “La Minute Sauvage” lance un nouveau projet pour “anticiper nos relations futures avec les autres espèces”. Le Bruxellois bat en brèche les clichés sur les animaux sauvages “peureux” qui fuient l’humain. Pour son prochain livre, il va observer sangliers, cerfs ou castors dans d’autres villes d’Europe. Avant de revoir le loup en Soignes ?
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Publié le 07-03-2023 à 10h58 - Mis à jour le 07-03-2023 à 12h24
”C’est quand même dingue de se dire qu’au début du XXe siècle, il ne restait qu’un seul loup en Belgique”.
100 ans plus tard, Thomas Jean n’a aucune illusion. Il sait à quel point la cohabitation des humains avec le vivant reste épineuse (lire ci-dessous). Mais le naturaliste amateur bruxellois est optimiste. “Les loups reviennent. Il y a deux meutes dans le pays. Et on les observe à 30km de Bruxelles, dans le Brabant. La question n’est pas de savoir si on va les revoir en Soignes, mais quand”.
Alors le youtubeur derrière La Minute Sauvage veut “anticiper nos relations futures avec les autres espèces”. Pas seulement le loup, mais tous les animaux “sauvages”. Pour son prochain livre, “Sauvage”, il va établir un état des lieux de cette cohabitation. “Sur les réseaux sociaux, je suis souvent confronté à des réflexions qui présupposent qu’un animal sauvage habitué à la présence humaine, ce n’est pas normal. L’exemple typique, c’est le renard à Bruxelles”. Un goupil qui toise un Bruxellois au fond de son jardin n’a plus rien d’exceptionnel. Pas plus que de voir le canidé traverser nos rues en plein jour. “Mon constat, c’est que le renard bruxellois n’a plus peur de l’humain. Et que ce n’est pas anormal. Depuis les années 90, la plupart des renards qu’on croise à Bruxelles y sont nés. Ces générations ne sont pas chassées et l’espèce est strictement protégée. De plus, les zones vertes détruites par l’immobilier le poussent à côtoyer l’humain. D’où cette cohabitation”.
Mon constat, c'est que le renard bruxellois n'a plus peur de l'humain. Et que ce n'est pas anormal.
Selon Thomas Jean, le chevreuil de Soignes n’a pas plus peur du promeneur. “Mais si on sort de Bruxelles, dans les forêts wallonnes, on ne croise pas un renard. Et le chevreuil te flaire à 200m puis décampe”. Le documentariste pense donc que “la perception de l’animal sauvage craintif et fantomatique est biaisée”. Il se pose cette question : “Cette perception n’est-elle pas le fruit d’une relation conflictuelle et dominatrice du monde vivant ?” Et de relater sa rencontre avec un loup aux Pays-Bas. “Il était jeune, massif, une vraie bête sauvage. Mais il avait intégré les voitures et l’humain comme des éléments de son environnement. Selon moi, ça prouve que d’autres comportements sont possibles : un loup pourrait se balader comme un canard. Et nous on pourrait l’observer, l’étudier. Alors qu’aujourd’hui, un tel loup ne fuyant pas les humains reste considéré comme déviant”.
Castors, cerfs, sangliers et… hamsters

Pour étayer ses hypothèses, Thomas Jean va partir à la rencontre d’autres espèces sauvages européennes, dans des villes et villages où la cohabitation est tantôt harmonieuse, tantôt moins. “Je vais commencer par observer les castors en Hongrie, dans un village en périphérie de Budapest où ils peuplent un ruisseau qui traverse les habitations. Dans ce pays, les castors sont protégés comme les renards à Bruxelles. Mais au bord du Danube, dans les zones boisées, l’harmonie s’effrite : ils dézinguent tout”. Se succéderont ensuite des voyages à Rome où les sangliers se gavent des restes des touristes, dans les Abruzzes où des cerfs et biches sauvages paissent dans les villages, à Vienne où les hamsters creusent leurs terriers dans les pelouses, ou en Roumanie où l’ours emprunte les chemins de randonnée. “Il y a beaucoup de lieux en Europe où l’animal n’a pas peur de l’humain. Pas plus que les girafes et antilopes au Botswana ne fuient les 4X4”.
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Si on arrêtait d'agresser la faune sauvage par nos méthodes de gestion archaïques, on pourrait croiser une harde de cerfs et de biches dans les Fagnes d'ici quelques années.
Revenons à nos moutons. Ou plutôt à nos loups. N’est-ce pas dangereux pour eux qu’ils n’aient pas peur de nous ? “On me pose souvent cette question. Parce que le loup reste chassable dans certains pays et peut être victime de braconnage ailleurs. Mon discours, ce n’est pas de dire qu’on doit être amis avec tous les animaux sauvages. Mais il faut les respecter. Mon travail n’est pas isolé. Dans le monde associatif, la littérature scientifique et philosophique, de plus en plus de personnes assurent qu’il faut changer de paradigme : si on arrêtait d’agresser la faune sauvage par nos méthodes de gestion archaïques, on pourrait croiser une harde de cerfs et de biches dans les Fagnes d’ici quelques années. Dans mes séances d’observation en Wallonie, je croise régulièrement des biches estropiées par la chasse, des faons à 3 pattes. Et on va dire que c’est un tir manqué ? Comme un but manqué ? C’est pas un sport, ça. C’est odieux”.
+ Thomas Jean lance un crowdfunding pour financer son livre. Vous pouvez le soutenir en précommandant l’ouvrage sur la page Kisskissbankbank de La Minute Sauvage. Par ailleurs, la série “Coexistence” issue du premier livre de Thomas Jean sur la faune bruxelloise sera projetée en intégralité le 22 mars à 19h30 au Cinéma Aventure, en présence de l’équipe.
Le sanglier et le loup s’approchent de Bruxelles : doit-on les chasser ?
Deux seigneurs des forêts du nord de l’Europe amorcent leur retour vers Bruxelles : le sanglier et le loup. Le premier avait disparu de la Forêt de Soignes depuis 1917. Mais à l’hiver 2006, il a repointé le bout de sa truffe. En 2022, la Fondation Forêt de Soignes mentionne sa présence à l’arboretum de Tervueren comme sur la partie bruxelloise de la forêt, entre Woluwe, Auderghem et Watermael-Boitsfort. Bien entendu, l’animal qui peut peser jusqu’à 300 kilos ne passe pas inaperçu. La hêtraie, mais aussi les prairies et même les terrains de golf des environs peuvent être labourés sur le passage des hardes.
”Le sanglier se multiplie en Belgique du fait des méthodes de gestion liées à la chasse”, grince Thomas Jean. “Notamment le nourrissage artificiel, qui engendre le dépôt de tonnes et tonnes de nourriture dans les forêts. La maturité sexuelle des laies dépend en effet de leur poids. D’où l’explosion. Et les risques, notamment via la peste porcine, qui exige parfois d’éliminer tous les sangliers d’une zone”.
Les chasseurs disent être là pour réguler. Mais la population de sangliers et de cervidés croient de façon exponentielle depuis des décennies. Preuve que cette "gestion" ne marche pas.
Le youtubeur n’est pas tendre avec les chasseurs. “Ils disent être là pour réguler. Mais la population de sangliers et de cervidés croit de façon exponentielle depuis des décennies. Preuve que cette “gestion” ne marche pas”. Selon le Bruxellois, il conviendrait désormais de bannir la chasse “comme hobby” pour ne plus autoriser qu’une chasse “professionnelle à des fins scientifiques”. Elle serait l’apanage de gardes forestiers, sortes de rangers “dont c’est le métier”. Et d’expliciter : “ça se déroulerait la nuit, avec des silencieux, des lunettes de vision nocturne, pour ne pas déranger toute la forêt”. L’efficacité serait multipliée : “1 balle tuerait un animal alors qu’en moyenne, la chasse utilise… 7 balles par trophée”. Ensuite, on recalculerait les populations chaque année pour adapter le nombre de cibles.
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Traumatisme

Le loup, disparu depuis la fin du XIXe à Bruxelles, ne pourrait-il être une partie de la solution dans cette gestion repensée ? On sait que le prédateur se rapproche progressivement de la Soignes. Il a été aperçu à 4 reprises dans le Brabant en février 2023 selon le réseau Welcome Wolf. Thomas Jean reste prudent.” Il n’est pas encore assez répandu”. La naturaliste voit encore des obstacles, comme les autoroutes “qui vont faire des morts chez les louveteaux”, ou encore “la densité du bâti”. Surtout, le photographe reste “interpellé face aux lacunes en matière de prévention”. Selon lui, mieux prendre en compte la présence du loup permettrait d’éviter les prises du loup dans les élevages. “Car des éleveurs attaqués, c’est un traumatisme émotionnel, financier, logistique et professionnel”. Face à un tel trauma, suggérer une cohabitation “sur des bases si dramatique” semble hasardeux.
Il faudra pourtant cohabiter. C’est en tout cas ce que prêche le créateur de La Minute Sauvage. “Si on continue comme ça, il faudra flinguer tous les sangliers et autoriser les tirs sélectifs sur le loup. Or, une attaque de loup sur un troupeau, ce n’est plus une question de survie. Pas plus qu’un renard qui rentre dans un poulailler. On va chez le boucher et le soir-même on mange du poulet rôti”. Reste l’argument massue : “le nombre d’attaque du loup sur l’humain, il est de zéro”.
Si on continue comme ça, il faudra flinguer tous les sangliers et autoriser les tirs sélectifs sur le loup.