Une nuit avec les oubliés du Palais des Droits : “un jour, nous témoignerons devant une foule des merveilles solidaires des Belges”
Immersion au sein du camp de demandeurs d’asile, qui campent face au Petit Château, près du canal à Molenbeek-Saint-Jean.
Publié le 22-02-2023 à 21h06 - Mis à jour le 23-02-2023 à 11h42
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”On se sent soutenu. On vient de passer une semaine difficile. On se sentait oublié, rejeté. Aujourd’hui, je vois des gens qui peuvent pleurer pour nous.” Beaucoup d’émotion transparaît dans la voix de Phocas (prénom d’emprunt), demandeur d’asile burundais. “Un jour, j’espère que nous témoignerons devant une grande foule les merveilles solidaires de la population belge.”
Ils sont environ 200 Burundais, Afghans, Palestiniens à avoir planté leur tente sur la rive opposée au Petit Château, après la sortie chaotique du Palais des Droits. Ensemble, ils se partagent 118 tentes, selon le comptage du mercredi matin opéré par les travailleurs de la cohésion sociale molenbeekoise.
Évacuation du squat de la rue des Palais : l’opération terminée, certaines personnes tentent de se faire passer pour des occupants (photos)Ce mardi soir, une quinzaine de citoyens bénévoles venus de toute la Belgique, avec un food-truck, quelques instruments et leur tente pour passer la soirée et la nuit avec les demandeurs d’asile. Parmi ceux-ci, la plupart portent encore le fameux bracelet bleu, signe qu’ils étaient au Palais des Droits il y a encore une semaine, et que les autorités politiques n’ont pas trouvé d’hébergement pour eux.
Une fois la nourriture avalée, c’est l’heure des discours. Chaque communauté a désigné un porte-parole qui monte sur un petit banc public pour raconter à l’audience la situation au pays, les raisons qui ont poussé à l’exode, et les conditions de vie ici, dans la capitale de l’Europe.
22 heures. D’habitude, c’est l’heure où le thé commence à manquer, où les corps se refroidissent, on négocie les partages de tente, les partages de couette. Le Samusocial débarquera finalement à 22 h 30 pour amener un stock de couvertures, le partage se fait dans le calme et le dialogue. Ce soir, on veille un peu plus tard, on profite d’une guitare à cinq cordes, d’une trompette et d’un tambourin pour chanter la beauté de son pays, remixer Khaled ou Shakira. En cercle, les Afghans apprennent à tout le monde la danse traditionnelle du pays, quelques pas, un tour sur soi-même, des vagues avec les mains. D’autres diffusent la scène en live sur leur Facebook.
Incendie au squat de la rue des Palais à Schaerbeek: les occupants refusent d'évacuer (vidéo)Dans une semi-indifférence, la rue de l’avenir est mondiovision. La soirée ne sera tout de même pas longue, “on sait qu’après dix heures en Belgique, on ne peut plus faire de bruit, et on veut garder une bonne relation avec les voisins”.
Pendant que certains chantent, un homme s’empare d’une feuille noire, dont il colorie un tiers à la craie jaune, l’autre à la craie rouge, pour former le drapeau belge. Il l’attache à un drapeau afghan qu’un autre a dessiné, un de ses concitoyens vient embrasser le drapeau avant de regagner sa tente.
À l’orée du canal
Minuit approche. Seuls quelques irréductibles se partagent un mégot et taillent une bavette. Phocas en est, il livre ses projets d’avenir. “Je veux deux choses, apprendre à construire, pour aider à bâtir ce pays en guise de reconnaissance, et j’aimerais aussi apprendre à travailler dans un home.” Il a même déjà un projet de carrière pour ses enfants, encore au pays. “Je veux les encourager à devenir des policiers belges. J’ai été étonné par le bon comportement de la police, qui nous conseille et montre de l’affection ici. Les policiers molenbeekois se sont comportés en bons parents pour nous.”
À part ça, le village dans la ville s’est endormi. Sur les quais, tout le monde craint la nuit. Si la presse s’est surtout inquiétée des températures, elle a oublié l’humidité du canal, qui percole et ruisselle à l’intérieur des tentes. Les bâches achetées chez Action pour un peu plus de dix euros par les citoyens solidaires limitent les dégâts.
Attendre, pour ne pas manquer le départ
Une nuit en tente sur un trottoir ressemble plus à une succession de microsiestes, où chaque bruit est sujet à questionnements. Des étudiants imbibés, une discussion dans une langue inconnue, un autre demandeur d’asile à la recherche d’un endroit ou dormir, on se demande à quel moment la toile de tente s’ouvrira. Finalement, quand le sommeil gagne, c’est le froid qui réveille, vers 4 heures du matin.
Il est 8 h 30 quand “Mama Chai” (Maman Thé) passe avec les thermos. Elle a été surnommée de la sorte car elle amène la précieuse boisson deux fois par jour. La journée peut commencer. Son programme ? “Attendre, et espérer avoir une solution. Personne n’ose travailler en noir, on a trop peur de manquer l’évacuation”, raconte un Burundais. C’est le grand jour pour Ismat, réfugié Afghan, arrivé en Belgique le 10 octobre. Il devait être convié au Petit Château le 20 octobre pour une interview. Le rendez-vous a finalement été postposé au 4 janvier, et puis finalement remis à ce mercredi, où il espère pouvoir expliquer son histoire et voir son dossier avancer.
Crise de l’accueil : un mort au Palais des droits à SchaerbeekPour les autres Afghans du pont de la victoire, le mercredi est surtout le jour du grand nettoyage. On enlève les tentes et les palettes qui les séparent du sol, et on nettoie tout pour lutter contre la gale qui gangrène le camp. “On dit au gouvernement : s’il vous plaît, ne vous moquez pas de nous. On a besoin d’un centre. Nous sommes tous malades, mais comment pouvons-nous nous soigner ?”
Les sanitaires disponibles sont à quinze minutes à pieds, à l’association DoucheFlux, présente (avec La Fontaine) sur le travail de décontamination depuis le déploiement du Palais des Droits. Amitiés sans Frontières, la Croix-Rouge, et la plateforme citoyenne composent notamment le corps associatif impliqué. Ce vendredi, une chaîne humaine sera organisée pour encercler le Petit Château, en guise de manifestation.
Ce mercredi, la plateforme citoyenne, le Samusocial et la Croix-Rouge (pour l’aspect médical) ouvraient 140 places dans un ancien home à Anderlecht. 45 personnes ont été prises en charge via le réseau de maraudes des deux organisations, et le centre devrait être rempli d’ici vendredi. “C’est une bonne nouvelle, mais ça reste un sparadrap sur une fracture ouverte”, commente Mehdi Kassou, directeur de la plateforme citoyenne. Le pont de la victoire restera donc encore peuplé, tant qu’une solution structurelle ne sera proposée, analyse-t-il.