L’ex-lobbyiste d’Uber auditionné: “Pascal Smet n’a bu qu’un café; on a traité les chauffeurs de façon horrible; on voulait rendre les taxis exsangues”

L’audition du lobbyiste d’Uber Mark MacGann par les parlementaires bruxellois a eu lieu ce 15 février. Il est entendu dans le scandale des Uber Files, qui implique plusieurs décideurs de la capitale.

Romain Masquelier
Belga
Uber files: Uber ne se préoccupait pas des chauffeurs, il voulait le monopole du marché
Selon le lanceur d'alerte Mark MacGann, Uber ne se préoccupait pas des chauffeurs, il voulait le monopole du marché. ©BELGA

Uber n'a jamais eu l'intention de moderniser le secteur du taxi à Bruxelles. La multinationale voulait s'emparer du marché par tous les moyens, y compris illégaux, pour y exercer un monopole, a affirmé mercredi après-midi le lanceur d'alerte et ex-lobbyiste d'Uber, Mark MacGann, devant la commission Uber du parlement bruxellois.

Cet homme a joué un rôle clé dans les "Uber Files", l'enquête menée par un consortium international de journalistes comprenant, du côté belge, Le Soir, Knack, et De Tijd. Ces journalistes ont eu accès à plus de 124.000 documents confidentiels livrant nombre d'informations sur la manière dont l'entreprise américaine a tissé sa toile et sur ses démarches pour obtenir des législations plus avantageuses. La commission spéciale du parlement bruxellois a été mise sur pied, notamment, pour tenter d'y voir plus clair sur la stratégie d'influence d'Uber dans la capitale belge, dans le contexte de la réforme du plan taxi adoptée il y a quelques mois.

Il rencontre Smet à deux reprises

L'enquête a révélé l'existence de contacts entre Uber et le gouvernement bruxellois pour préparer celle-ci, et en particulier entre Mark MacGann et l'ex-ministre de la Mobilité Pascal Smet (One.Brussels-Vooruit).

L'ex-lobbyiste d'Uber a précisé mercredi n'avoir rencontré Pascal Smet qu'à deux reprises à son cabinet, à l'époque où celui-ci planchait sur la réforme du plan taxis. Il l'a également vu à l'Hôtel Amigo, où le ministre n'a rien consommé d'autre qu'un café, a-t-il détaillé."J'avais le téléphone portable de Pascal Smet. Pourquoi? Parce que je l'ai connu avant de commencer chez Uber." La rencontre s'est produite, selon l'ancien lobbyiste, via une association visant à soutenir les enfants nés avec le VIH. "C'était une accointance. On se croisait de temps en temps socialement, dans la rue ou dans un restaurant. Je n'ai jamais été chez lui, il n'est jamais allé chez moi. Je ne peux pas dire que c'est un ami, mais j'avais son portable."

”Il nous demandait d’être moins arrogants et je pense qu’il avait raison. C’était un comportement de voyou”, a-t-il ajouté à propos de la multinationale dont il a rappelé à plusieurs reprises qu’elle avait été jugée hors la loi.

Quant aux relations avec Boris Dilliès, bourgmestre d'Uccle, et à l'époque député bruxellois? Deux rencontres "maximum" ont eu lieu. "Il me semble, mais je ne suis pas certain, que, quand j'ai pris un café avec Boris Dilliès au Pain Quotidien, c'est moi qui ai payé pour les deux cafés. Mais je ne suis pas sûr. Et ça s'arrête là." Quand le bourgmestre d’Uccle s’est plaint du prix prohibitif d’une course, aucun remboursement n’a été effectué, assure l’ancien d’Uber.

Lors de ses activités, qui remontent à 2014, le lanceur d’alerte irlandais dit avoir été confronté à de nombreux refus d’autres dirigeants socialistes lorsqu’il sollicitait des rencontres, comme avec Rudi Vervoort ou Laurette Onkelinx

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Pascal Smet nous demandait d'être moins arrogants et je pense qu'il avait raison. C'était un comportement de voyou.

"Droit d'impunité"

Mark MacGann est revenu sur les pratiques d’Uber à son arrivée en Belgique. "Uber était imprégnée d’un sentiment de droit et d’impunité. Uber avait raison, tous les autres avaient tort. La réponse à chaque problème : ‘ne demandez pas la permission : foncez’. Tous les moyens sont bons. On savait pertinemment bien que nous travaillions dans l’illégalité. Uber a mis en place une stratégie agressive et des moyens inédits pour faire pression sur des gouvernements du monde entier."

L’ex-lobbyiste fait notamment état de dumping et de subventions de courses pour "acheter le marché", de smartphones offerts aux chauffeurs, et d’études jugées biaisées ("dès le départ, les données étaient faussées").

L’Irlandais confirme aussi qu’Uber a dédommagé des chauffeurs pour manifester devant le cabinet de Rudi Vervoort ("on a faussé la donne") et que la société a eu accès à des drafts de textes afin de donner un avis et que des amendements ont alors été suggérés.

Sans épargner le secteur du taxi qui avait selon lui besoin d’être modernisé, certainement dans une capitale comme Bruxelles, il a également dit comprendre la frustration des chauffeurs de taxis face à une société Uber reconnue comme illégale, mais qui ne faisait que croître à Bruxelles.

”On voulait les rendre exsangues”

Plus largement, M. McGann a expliqué qu’Uber s’appliquait à faire passer dans les médias le message selon lequel ceux qui étaient contre Uber étaient d’office dans la poche du secteur du taxi.

La multinationale a par ailleurs, selon lui, tout fait au début pour attirer le plus grand nombre de chauffeurs possible afin de pouvoir offrir une course toutes les trois minutes.

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On a vendu du rêve aux chauffeurs et on les a traités comme des héros, on subventionnait les courses pour acheter le marché.

”On leur a donc vendu du rêve et on les a traités comme des héros, on subventionnait les courses pour acheter le marché”, a-t-il commenté. Mais après un certain temps, les chauffeurs ont dû payer des commissions plus élevées et ont été traités “de façon horrible” par Uber. L’objectif était de conserver à tout prix leur statut d’indépendant, non pour eux-mêmes mais pour la cotation en bourse.

”On ne cherchait pas la co-existence avec les Taxis bleus et verts”. On voulait les rendre “exsangues”, a-t-il encore dit.

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