Ces millions d’euros qui échappent aux communes bruxelloises : comment les opérateurs télécoms esquivent les taxes de la capitale
Certaines communes espèrent depuis plus de 10 ans le versement de la taxe antenne et pylône GSM. Les bourgmestres pourraient bientôt harmoniser leurs taxes.
Publié le 02-01-2023 à 21h52
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Avant la fin 2022, les communes bruxelloises devaient, comme chaque année, adopter leurs taxes pour l’année à venir. Et il y en a une qui fait grincer les dents des receveurs communaux : la taxe sur les pylônes et antennes GSM.
La perception de cette taxe est un véritable calvaire depuis des années. En temps de crise, ce trou dans les finances communales pèse encore plus lourd. À Anderlecht par exemple, la receveuse communale estime que 15 millions d’euros n’ont pas encore été payés par les opérateurs.
Le problème vient principalement de défauts formels : certains réglements-taxes étaient mal ficelés et il était dès lors aisé de les contester en justice. Certaines communes ont perdu leurs batailles en justice, d’autres les ont gagnées. Car qui dit autonomie communale, dit 19 règlements différents en Région bruxelloise… En moyenne, les taux tournent autour de 7 000 ou 8 000 euros par pylône par an. Cavalier seul, Uccle fait pour sa part les choix de taxer sur la puissance de l’installation, tout en étudiant la possibilité de désormais passer à une taxation au pylône.
Des litiges de plus d’une décennie
Première instance, deuxième instance, cassation… Le chemin judiciaire est long et sinueux pour toucher ces importantes sommes, et entre-temps les ardoises s’allongent. À Anderlecht, la plus, vielle perception en litige date de 2011. Les opérateurs attaquent “systématiquement” en justice. “Et il faut aussi compter les frais d’avocat, sur 10 ans : ce sont des centaines de milliers d’euros”, nous explique la receveuse communale.
L’argent ne dort même pas sur les comptes communaux. En effet, frileuses à l’idée de perdre leur procès et sur conseils d’avocats, les communes préfèrent ne pas réclamer l’argent directement avant le procès (alors qu’elle en aurait le droit). “Celui qui a l’argent sur son compte peut payer plus cher à la fin du procès”, nous explique un receveur. ” Sur des procédures de plusieurs années, les intérêts peuvent coûter très cher”, ajoute Khalil Aouasti (PS) échevin des Finances de Koekelberg.
Alors les communes s’organisent. Déjà en prévoyant avec des provisions. Uccle par exemple à un compte de 20 millions d’euros mis uniquement pour prévenir le cas où elle ne toucherait pas ces taxes. Pour rappel et à titre de comparaison, la dette de la commune s’élève à 92 millions d’euros. Koekelberg applique aussi ce système de provisions, inscrit dans les circulaires régionales : “Nous sommes obligées d’inscrire la recette de la taxe au budget, en mettant le même montant en provision. Cela nous fait une somme nulle qui ne fausse donc pas le résultat du budget. Sans cela, le boni cumulé des communes comprendrait des sommes non perçues. Ce boni sert notamment aux investissements. Investir avec de l’argent que l’on n’a pas, c’est toujours problématique,” explique Khalil Aouasti. Certaines communes sous plan financier ne peuvent toutefois plus mettre de côté. La Région leur demande en effet d’utiliser l’argent pour boucler des exercices budgétaires compliqués.
Une harmonisation en vue
Mais prévenir ce n’est pas encore guérir. Les pouvoirs locaux tentent de s’organiser pour développer des règlements moins attaquables. Koekelberg vient d’ajouter les notions d’“exploitants” dans le sien, ce qui permet plus facilement de taxer tous ceux qui utilisent une antenne sans forcement en être propriétaire. À noter que plusieurs opérateurs peuvent se partager la même installation.
Bruxelles-Ville ou Anderlecht nous indiquent qu’elles sont en train de gagner leur procès petit à petit. Les règlements ont évolué. La conférence des bourgmestres travaille sur une harmonisation des textes pour les rendre plus solides juridiquement. Cela faciliterait aussi le dialogue avec les opérateurs. “Je préférerais avoir des recettes divisées par deux, mais qui rentrent dans les caisses plutôt que de devoir faire de provisions”, commente Valentine Delwart (MR) échevine des Finances à Uccle. L’idée d’une taxe régionalisée a toutefois été exclue, certaines communes souhaitant conserver la main sur les montants de la taxe. Selon Christian Lamouline (Les Engagés), bourgmestre de Berchem-Sainte-Agathe, qui attend toujours 6,3 millions d’euros des opérateurs, les négociations en vue d’une harmonisation ont beaucoup avancé lors de la dernière conférence des bourgmestres : “Tout n’est pas encore négocié, mais on pourrait aboutir à un texte dans les mois, voire les semaines à venir.”
Reste à récupérer les taxes encore en litige. Parmi les 19 communes, certaines ont négocié directement avec les opérateurs, mais n’en font pas spécialement la publicité. Jette a par exemple eu un accord avec Orange l’an passé. Anderlecht vient aussi d’aboutir à un deal avec un opérateur sur un litige passé. Selon le bourgmestre de Berchem, un texte harmonisé servira surtout pour le futur, mais permettra aussi de faciliter les négociations pour les litiges passés. “L’union, c’est notre seule force face aux opérateurs.”
Contactés par nos soins, certains opérateurs nous renvoient vers la branche “telecom industries” de la fédération d’entreprises Agoria. Cette dernière n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.